Suspension du Parlement : Boris Johnson désavoué par la justice écossaise

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La suspension du parlement illegale aux yeux de la justice ecossaise[reuters.com]
(Crédits : Toby Melville)

par Michael Holden et Guy Faulconbridge

LONDRES (Reuters) - A sept semaines de la date théorique du Brexit, la plus haute instance judiciaire d'Ecosse a jugé mercredi que la décision du Premier ministre britannique Boris Johnson de suspendre les travaux du Parlement était illégale et devrait être annulée, accentuant l'incertitude qui entoure la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne.

Joanna Cherry, l'élue du Parti national écossais (SNP) à l'origine de la saisine de l'Inner Court of Session d'Edimbourg, a aussitôt réclamé que le Parlement de Westminster soit immédiatement reconvoqué.

"On ne peut pas enfreindre la loi impunément, Boris Johnson", a-t-elle lancé. "Nous réclamons que le Parlement soit immédiatement reconvoqué", a-t-elle ajouté sur Sky News.

Plusieurs députés se sont réunis dans la journée devant Westminster pour obtenir la réouverture du Parlement.

Le gouvernement Johnson a annoncé pour sa part qu'il ferait appel de cette décision, prise à l'unanimité des trois juges de l'instance écossaise, devant la Cour suprême du Royaume-Uni. L'affaire devrait être examinée à partir de mardi prochain, selon un avocat.

"Mon gouvernement n'est pas autoritaire", a réagi Boris Johnson. "Si les parlementaires d'opposition divergent avec notre approche, ils ont toujours la possibilité d'accepter une élection", a-t-il ajouté.

En vertu d'une procédure dite de "prorogation", les deux chambres du Parlement britannique, les Communes et les Lords, ont été suspendues dans la nuit de lundi à mardi jusqu'au 14 octobre, date à laquelle Elizabeth II prononcera le "discours de la reine", préparé par son gouvernement et ouvrant formellement une nouvelle session parlementaire.

Il est de tradition dans la monarchie parlementaire britannique de suspendre les travaux de Westminster avant un discours de la reine. Mais dans le contexte actuel, où le Royaume-Uni s'apprête à vivre l'un des développements majeurs de son histoire, la décision de Boris Johnson annoncée le 28 août a été aussitôt dénoncée par ses opposants, qui y voient une manoeuvre pour les réduire au silence et passer en force afin de réaliser le Brexit à la date du 31 octobre prochain.

TENSIONS AU SEIN DU LABOUR

Dans leur arrêt, les juges écossais retiennent cet argument et estiment que la raison principale de la "prorogation" du Parlement réside dans la volonté de faire obstacle aux parlementaires et de permettre à Boris Johnson de poursuivre sa stratégie d'une sortie sans accord de l'Union européenne.

Depuis qu'il a succédé à Theresa May à la tête du cabinet conservateur, l'ex-maire de Londres martèle que le Royaume-Uni sortira de l'UE "coûte que coûte", avec ou sans accord, le 31 octobre prochain.

Et, malgré la loi que l'opposition a fait adopter avec l'apport de voix d'élus conservateurs rebelles le contraignant à demander un nouveau report de trois mois du Brexit si aucun accord de retrait n'est obtenu d'ici au 19 octobre, il affirme qu'il préférerait mourir "la gueule ouverte" plutôt que de s'exécuter.

La neutralisation de Westminster sert donc les intérêts d'un Premier ministre qui n'a plus de majorité à la Chambre des communes.

Entre la rentrée parlementaire, le 3 septembre dernier, et la suspension de leurs travaux, les Communes ont voté à six reprises contre lui, lui refusant notamment un retour anticipé aux urnes. Son propre frère, Jo, a jeté l'éponge, démissionnant de son poste ministériel et annonçant qu'il ne solliciterait pas de nouveau mandat de député.

Une vingtaine d'autres parlementaires conservateurs ont été exclus des rangs de leur parti pour avoir mêlé leur voix à celle des anti-No Deal.

L'un d'eux, Dominic Grieve, qui fut procureur général (haut conseiller juridique du gouvernement) sous David Cameron, a estimé mercredi que si Johnson avait trompé la reine dans l'exposé des motifs de sa demande de "prorogation", il devrait démissionner.

Le palais de Buckingham n'a fait pour sa part aucun commentaire sur la décision de la justice écossaise, indiquant qu'il s'agissait d'une question relative au gouvernement.

Le Parti conservateur n'est pas le seul à se diviser sur la question existentielle du Brexit: au sein du Labour aussi, qui se réunira en congrès annuel du 21 au 25 septembre à Brighton, les tensions sont manifestes.

Tom Watson, le numéro deux du parti, a réclamé dans un discours prononcé mercredi à Londres un nouveau référendum sur le maintien ou non dans l'Union européenne avant la tenue d'élections législatives anticipées.

Ce calendrier le met en porte-à-faux avec la stratégie que préconise le dirigeant travailliste Jeremy Corbyn, qui veut d'abord des élections.

"C'est l'opinion de Tom, je ne l'accepte pas et je ne la partage pas", a répliqué ce dernier. "Notre priorité, c'est d'obtenir des élections générales", a-t-il ajouté.

(Jean-Philippe Lefief, Henri-Pierre André et Nicolas Delame pour le service français)