Avant son allocution à 20h, Macron teste ses "hypothèses" auprès des partenaires sociaux et des élus

Par latribune.fr  |   |  1381  mots
En milieu de matinée, ce lundi 10 décembre 2018, avant son allocution télévisée à 20 heures, le président Emmanuel Macron, entouré d'une bonne partie du gouvernement, a réuni à l'Élysée les présidents des associations d'élus locaux, du Sénat Gérard Larcher, de l'Assemblée Richard Ferrand et du CESE Patrick Bernasconi, ainsi que les cinq syndicats représentatifs (CGT, CFDT, FO, CFE-CGE et CFTC) et trois organisations patronales (Medef, CPME et U2P). (Crédits : Reuters)
En réunissant les forces politiques, économiques et sociales à l'Elysée, le chef de l'État veut montrer le retour dans le jeu des corps intermédiaires. Mais aussi évaluer l'impact des annonces qu'il va faire lors de son allocution publique ce soir à 20h - sa première prise de parole depuis plus d'une semaine, et sans doute la plus importante depuis le début de son mandat. Le président va devoir "trouver des mots qui apaisent", dixit Bruno Le Maire. Car un appel à un Acte 5 samedi prochain a été lancé par les "Gilets jaunes".

La réunion entre Emmanuel Macron et les représentants des corps intermédiaires a débuté lundi matin à l'Élysée avant l'allocution du président à 20 heures, pour tenter de trouver une issue à la crise des "gilets jaunes". Ce sera sans doute l'allocution la plus importante depuis le début de son mandat.

Le chef de l'État s'est réuni, autour d'une grande table, avec 37 personnes, dont le Premier ministre Édouard Philippe et 12 membres du gouvernement, les patrons des principaux syndicats et du patronat, ainsi que les présidents de l'Assemblée nationale, du Sénat et du Conseil économique, social et environnemental ainsi que des associations de collectivités locales.

[Emmanuel Macron a organisé une vaste concertation ce matin à l'Elysée avant son allocution télévisée à 20 h. Crédit : Reuters Pool. Cliquez sur l'image pour l'agrandir plein écran]

Il s'agit selon l'Élysée de "réunir l'ensemble des forces politiques, territoriales, économiques et sociales dans ce moment grave que traverse la Nation" afin de "les mobiliser pour agir".

"Le temps du dialogue est là" et "il faut désormais retisser l'unité nationale", mise à mal par cette fronde populaire inédite, née sur les réseaux sociaux, avait déclaré dès samedi soir le Premier ministre. Les autorités ont réussi à enrayer samedi l'escalade de la violence tant redoutée notamment grâce à un recours massif aux interpellations: pour l'ensemble de la France, le ministère de l'Intérieur a fait état de près de 2.000 personnes interpellées, dont plus de 1.700 ont été placées en garde à vue.

L'un des objectifs du chef de l'État est de montrer le retour dans le jeu des corps intermédiaires.

Proche du Premier ministre Édouard Philippe, le maire de Bordeaux Alain Juppé a invité le président à "répondre concrètement à certaines attentes légitimes", à tenir "un discours d'autorité", mais aussi "de compréhension, d'empathie". Sur le fond, Emmanuel Macron a jusqu'à présent affirmé qu'il entendait "changer de méthode" mais pas de "cap" économique. Des "macronistes historiques" militent pourtant pour un "tournant social" face aux "orthodoxes" budgétaires de Matignon et Bercy.

Les "hypothèses" que Macron va tester aujourd'hui

Hier dimanche, la ministre de la Santé et des Solidarités, Agnès Buzyn, a assuré que le président Emmanuel Macron allait "vouloir tester un certain nombre d'hypothèses" avec les corps intermédiaires qu'il reçoit ce lundi, et qui selon elle sont "indispensables".

"Je trouve ça très, très bien, avant de faire des annonces, qu'il échange avec les corps intermédiaires qui représentent la nation. Et je pense que c'est important de rappeler le fait que les corps intermédiaires sont indispensables", a déclaré la ministre sur le plateau de LCI.

Au lendemain d'une nouvelle mobilisation des "gilets jaunes", Emmanuel Macron reçoit lundi les présidents du Sénat, de l'Assemblée nationale, du Conseil économique, social et environnementale (CESE), les associations d'élus, le patronat et les syndicats. Ces derniers ont reproché à de multiples reprises l'indifférence jusqu'alors manifestée à leur égard par le président Macron et son gouvernement.

Selon Mme Buzyn, "il va vouloir tester aussi un certain nombre d'hypothèses avec eux". "En tout cas, je pense qu'il va vouloir leur parler très concrètement, très ouvertement", a-t-elle ajouté, rappelant que le chef de l'État était "un homme extrêmement pragmatique".

Parmi les pistes évoquées, selon le JDD et l'AFP, l'exécutif pourrait opter pour

- une augmentation, non encore chiffrée, du minimum vieillesse (l'allocation de solidarité aux personnes âgées ou Aspa, actuellement à 833,20 euros), qui permettrait de dépasser les 903,20 euros mensuels prévus en 2020, après les trois petits coups de pouce d'avril dernier (30 euros), de janvier 2019 (35 euros) puis de janvier 2020 (35 euros à nouveau).

- une prime mobilité pour les "7 Français sur 10" qui utilisent la voiture pour se rendre à leur travail. Mais sa mise en oeuvre risque de prendre du temps, donc le chiffrage n'est pas sans doute pas pour l'allocution de ce soir, explique le JDD.

- et une accélération de la mise en œuvre de la suppression de la taxe d'habitation.

L'entrée en vigueur de la suppression de charges salariales sur les heures supplémentaires (également appelée dans le jargon administratif la "désocialisation"), initialement prévue pour septembre 2019, pourrait quant à elle être avancée.

Coup de pouce au smic, oui ou non ? Buzyn contredit Pénicaud

Dimanche, Mme Buzyn s'est en outre montrée sceptique sur la déclaration de sa collègue au Travail, Muriel Pénicaud, qui a affirmé dimanche à la même antenne qu'il n'y aurait pas de coup de pouce au Smic car "ça détruit des emplois".

"Si on augmente tous les salaires de façon automatique, il y a plein d'artisans et de commerçants qui vont mettre la clef sous la porte, ou alors ils vont augmenter les prix et personne ne pourra se payer le service", a expliqué Mme Pénicaud.

Pas du tout l'avis d'Agnès Buzyn qui a déclaré :

"Je pense qu'il faut que les travailleurs au Smic sentent leur pouvoir d'achat augmenter", ajoutant que "ça peut passer par une augmentation du Smic."

"Mais ce n'est pas à moi non seulement d'en décider mais de voir les conséquences, je ne suis pas ministre du Travail", a-t-elle complété.

Augmentation de la prime d'activité

Elle a rappelé que le gouvernement avait privilégié jusqu'ici l'augmentation de la prime d'activité plutôt que le Smic et allait "accélérer" le rythme de cette augmentation - 80 euros à la fin du quinquennat pour quelqu'un gagnant le Smic. Cette prime dont bénéficient 2,6 millions de personnes selon la ministre, correspond à un complément de salaire pour ceux qui sont rémunérés entre 0,5 et 1,2 Smic.

Des mesures pour les commerçants touchés par les pillages

Dans la capitale samedi, les scènes de violences, concentrées aux abords de la place de l'Etoile et de l'Arc de Triomphe la semaine précédente, se sont produites cette fois dans plusieurs quartiers.

La mairie de Paris estime même que la journée du 8 décembre a occasionné plus de dégâts matériels que huit jours auparavant et juge plus important le coût économique, car des magasins étaient fermés. "De nombreux Français, notamment commerçants, ont connu un nouveau samedi noir", selon Laurent Wauquiez (LR).

Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, s'est alarmé d'une "catastrophe pour notre économie" et a promis "des réponses très concrètes (et) très directes" aux commerçants frappés.

Contenir le déficit public sous les 3% devient un vrai casse-tête

Mais la réponse à apporter à la crise des "Gilets jaunes" constitue un véritable casse-tête pour l'exécutif qui s'est engagé après de l'Union européenne à contenir son déficit public sous la barre de 3% du produit intérieur brut (PIB). Les concessions déjà consenties par le gouvernement la semaine dernière sur la taxe carbone et l'avantage fiscal sur le gazole non routier pour les entreprises vont se traduire par un manque à gagner de quatre milliards d'euros, soit 0,2 point de PIB. Les répercussions du mouvement - qu'il s'agisse des blocages ou des violences qui l'ont émaillé - devraient encore compliquer la donne, en pénalisant la croissance de la fin d'année 2018.

Le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, a estimé lundi matin que la croissance du quatrième trimestre serait pénalisée à hauteur de 0,1 point, tandis que sa secrétaire d'Etat Agnès Pannier-Runacher a évoqué une croissance "plutôt du côté de 1,5%" pour l'ensemble de l'année 2018.

Appel à un nouvel Acte 5, samedi prochain

Reste à savoir si ce geste à l'égard de corps intermédiaires qui se sont sentis malmenés et mis à l'écart lors de la première année du quinquennat, et l'allocution solennelle à 20h00 à l'Elysée suffiront à rétablir la confiance et entamer la phase de dialogue. Car un nouvel appel à la mobilisation des "Gilets jaunes", intitulé "Acte 5 Résistance", a d'ores et déjà été lancé sur Facebook pour samedi prochain.

(Avec AFP et Reuters)