Baisse des crédits : la guerre est ouverte entre les Régions et le gouvernement

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1188  mots
le Premier ministre Edouard Philippe a confirmé au congrès des Régions de France que celles-ci ne bénéficieront plus en 2018 d'un fonds pour le développement économique doté de 450 millions en 2017. En réaction, les régions ont décidé de couper leurs relations avec l’État.
Les Régions de France ont décidé de quitter la Conférence nationale des territoires et de rompre le dialogue avec l'Etat pour protester contre la suppression, en 2018, d'un fonds de 450 millions d'euros qui leur était versé pour assurer le développement économique en aidant les PME.

Décidément, rien ne va plus entre l'État et les collectivités locales. Les contentieux s'accumulent : suppression de la taxe d'habitation pour 80% des Français, ce qui a mis les communes en rogne ; non-compensation intégrale du coût du RSA, ce qui pèse sur les départements ; demande de 13 milliards d'euros d'économies supplémentaires, ce que refuse l'ensemble des collectivités territoriales à tous les niveaux. Et les relations entre l'État et les régions ne sont pas épargnées non plus, elles viennent même de virer à la polémique.

Les Régions ont en effet décidé de se retirer sine die de la Conférence nationale des territoires (CNT), ce rendez-vous semestriel entre l'État et les collectivités souhaité par Emmanuel Macron, dont la première séance s'était tenue le 17 juillet dernier. Cette CNT devait servir à conclure un véritable « pacte » entre l'État et les collectivités, notamment au niveau financier. Pour l'instant, c'est raté. Alors pourquoi une décision aussi spectaculaire de la part des régions ? Le litige est encore une fois financier, il porte sur les fonds qui devaient être alloués aux régions pour financer leurs nouvelles compétences, notamment en matière économique, issues de la loi NOTRe.

État et Régions avaient trouvé un compromis à hauteur de 600 millions d'euros pour l'aide économique

Pour financer ces nouvelles compétences, notamment au chapitre des transports, il avait été décidé de doubler la part du produit de la "cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises" (CVAE) affectée aux régions, ainsi, cette part de CVAE est passée de 25% à 50%... aux dépens des départements.

Par ailleurs, afin de financer les nouvelles compétences économiques des régions, qui revenaient  jusqu'ici aux départements, un compromis avait été trouvé avec l'État en 2016. En effet, alors que le montant des interventions économiques des départements représentait un montant annuel de 800 millions d'euros, les discussions entre l'État et les régions à l'automne 2016 avaient abouti à un compromis à hauteur de 600 millions d'euros. Mais ces 600 millions supplémentaires annuels devaient être versés par l'État sous de multiples formes. D'abord un fonds de soutien en matière de développement économique à hauteur de 450 millions d'euros. Ce fonds a bien été créé et les régions ont de fait déjà perçu la moitié des sommes - environ 250 millions en 2017 -, le solde d'environ 200 millions devait être perçu début 2018.

Étant entendu que ces crédits doivent être alloués au développement économique des régions, notamment sous forme d'aides aux PME. Il ne s'agit en aucun cas de crédits affectés aux dépenses de fonctionnement.

Ensuite, pour les 150 millions restants, l'État s'était engagé dans la loi de finances 2017 à attribuer aux régions une part de TVA en remplacement de la dotation globale de fonctionnement (DGF), à compter de l'exercice 2018. De fait, il est prévu dans le projet de loi de finances (PLF) 2018, d'attribuer environ quatre milliards d'euros aux régions, et grâce à la dynamique d'évolution de la TVA, cette somme devait « grossir » de 100 millions d'euros a minima chaque année, voire même de 150 millions, le compte y était donc...

Edouard Philippe confirme la suppression du fonds de 450 millions d'euros

Sauf que, dans le PLF 2018, le fonds de 450 millions d'euros n'est pas reconduit... y figure seulement le volet TVA, soit 100 millions d'euros au titre de l'évolution entre 2017 et 2018... Ce qui fait hurler les régions qui tenaient justement leur congrès ce 28 septembre à Orléans... en présence du Premier ministre. Or, dans son discours, Édouard Philippe a confirmé que « Nous avons décidé de ne pas intégrer le fond exceptionnel de 450 millions d'euros dans le montant de la TVA qui vous sera alloué".

Et Matignon se justifie :

"C'est une promesse que les précédents gouvernements avaient faite... en sachant qu'elle ne les engageait pas puisqu'elle était renvoyée à 2018. Le gouvernement ne peut pas honorer les chèques en bois de ses prédécesseurs: la situation budgétaire du pays ne le permet pas"

Résultat, les régions, en perdant ce fonds de 450 millions d'euros vont connaître une baisse de leurs ressources dédiées au développement économique de 350 millions d'euros, puisqu'elles percevront bien, en revanche, les 100 millions de TVA.

Une décision que les présidents de régions jugent "inacceptable" et considèrent comme un non-respect des engagements de l'État. D'où leur décision de quitter la CNT... jusqu'à ce que le président de la République fasse un geste.

"Dans ces conditions, il n'est plus possible aux Présidents de régions de participer aux « simili » concertations engagées par l'État que ce soient dans un cadre multilatéral (Conférence nationale des territoires, assises de la mobilité, états généraux de l'alimentation...) ou bilatéral (sur la réforme de la formation professionnelle et de l'apprentissage)".

On voit donc que le retrait des régions des instances de concertation va avoir des conséquences qui vont bien au-delà de la question des finances locales. Il pourrait, par exemple, aussi affecter la future réforme de l'apprentissage et de la formation professionnelle que doit mener la ministre du Travail Muriel Penicaud.

Matignon conteste la baisse des fonds

Pour Matignon : "il est faux de dire que les moyens alloués par l'Etat aux régions sont en baisse" dans le budget 2018.

"Par rapport à 2017, elles bénéficieront de la dynamique de la recette de TVA qui leur est attribuée, soit environ 100 millions d'euros. En outre, les 250 millions d'euros restant à verser aux régions au titre du fonds exceptionnel mis en place en 2017 seront bien versés en 2018, soit 200 millions nets "Au total, ce sont 300 millions d'euros de moyens supplémentaires dont disposeront les régions par rapport à la base des concours de l'Etat".

Sauf que... Matignon mélange, sans doute volontairement, les années. En effet, le solde de 200 millions d'euros, prévu par la loi de Finances 2017, est dû au titre des actions menées en faveur des PME en 2017, pas en 2018. Ces sommes ne peuvent donc pas être additionnées avec les crédits dus en 2018.

Alain Rousset, ancien président de Régions de France (l'association qui regroupe tous les présidents de région) et actuel président de la région Nouvelle Aquitaine exprime son amertume :

« Décidément, Bercy ne comprend pas ce qu'est la vraie France industrielle. Ce n'est pas celle des grands groupes mais celle des PME, des ETI, des start-ups. Les fonds manquants vont nous empêcher de soutenir davantage d'entreprises, car il s'agissait de crédits destinés au développement économique pas au fonctionnement des régions ».

Les présidents de régions vont se rencontrer très prochainement pour étudier la marche à suivre. L'actuel bras de fer entre le gouvernement et les collectivités locales continue donc, avec en toile de fond toute la question du degré de décentralisation souhaitée dans le pays.