Benalla affirme continuer à échanger avec le président depuis son limogeage

Par latribune.fr  |   |  1576  mots
(Crédits : GONZALO FUENTES)
La crise qui couvait depuis le début de la semaine après les révélations sur les activités en Afrique d'Alexandre Benalla a explosé vendredi avec la confrontation entre l’Élysée et l'ancien collaborateur d'Emmanuel Macron, qui a dit maintenir des liens avec la présidence depuis son licenciement cet été.

>> ARTICLE DU 26/12/2018 10:26 | MISE A JOUR 31/12/2018 12:03

L'affaire Benalla, qui avait empoisonné l'été de l'Élysée, refait surface. L'ancien chargé de mission a affirmé dimanche, lors d'un entretien à Mediapart, avoir continué à échanger régulièrement avec le président après son licenciement.

Alexandre Benalla, le "petit télégraphiste"

Alexandre Benalla explique avoir utilisé la messagerie cryptée Telegram pour ces échanges.

"Ça va être très dur de le démentir parce que tous ces échanges sont sur mon téléphone portable", confie l'ancien collaborateur du président, qu'il décrit par ailleurs comme étant entouré de "technocrates" qui appartiennent à une famille pire que la mafia".

"Nous échangeons sur des thématiques diverses. C'est souvent sur le mode 'Comment tu vois les choses ?'. Cela peut aussi bien concerner les gilets jaunes, des considérations sur untel ou sur untel ou sur des questions de sécurité", des échanges du type qu'il avait déjà avec le chef de l'État quand il était son homme de confiance à l'Élysée.

"Ça va être très dur de le démentir parce que tous ces échanges sont sur mon téléphone portable".

L'affaire dans l'affaire du passeport diplomatique

Le journal en ligne Mediapart a révélé jeudi 27 décembre que Alexandre Benalla voyage depuis plusieurs mois avec un passeport diplomatique qu'il a utilisé lors de son déplacement au Tchad. Selon lejdd.fr, le précieux sésame avait été attribué au garde du corps d'Emmanuel Macron le 24 mai 2018, trois semaines après avoir été sanctionné par ses supérieurs. L'Elysée a confirmé jeudi avoir demandé à Alexandre Benalla des explications sur "d'éventuelles missions personnelles et privées" qu'il aurait menées quand il travaillait pour la présidence, Mediapart affirmant pour sa part que l'ex-chargé de mission continuait de voyager avec un passeport diplomatique.

Selon le quotidien Le Monde, qui a révélé cette demande d'explication, le directeur de cabinet d'Emmanuel Macron a écrit le 22 décembre à Alexandre Benalla, licencié en juillet par l'Elysée, pour solliciter "toutes informations pertinentes" sur les activités de "consultant" dont il se prévaut désormais.

"Nous ne pourrions laisser sans réaction l'existence de relations d'affaires en France ou à l'étranger avec des intérêts privés, tout à fait incompatibles avec vos fonctions (...) et que vous n'avez jamais révélées", souligne Patrick Strzoda.

La présidence de la République a confirmé à Reuters la date du courrier et la véracité des extraits publiés par Le Monde. L'envoi de cette missive intervient après un voyage d'Alexandre Benalla au Tchad, quelques semaines avant celui d'Emmanuel Macron, qui a suscité une controverse sur l'éventuelle persistance d'un lien entre lui et la présidence. Mediapart écrit quant à lui qu'Alexandre Benalla "voyage depuis plusieurs mois avec un passeport diplomatique", qu'il a utilisé "ces dernières semaines pour entrer dans différents pays africains ainsi qu'en Israël".

La Quai d'Orsay envisage des poursuites

Le ministère des Affaires étrangères a annoncé avoir a demandé à Alexandre Benalla "par lettre recommandée du 26 juillet 2018, de restituer les deux passeports diplomatiques en sa possession", émis les 20 septembre 2017 et 24 mai 2018. Il s'était en outre engagé le 23 mai 2018 à restituer ces documents à la fin des fonctions qui en justifiaient l'attribution, ajoute le ministère dans son communiqué.

"Toute utilisation depuis lors de ces passeports aurait été faite en dépit des engagements pris par l'intéressé", poursuit le ministère, précisant qu'"à la vue des informations de presse tendant à indiquer que M. Benalla aurait continué à utiliser ces documents, le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères examine les suites à donner, y compris judiciaires".

Dans son courrier, Patrick Strzoda ajoute que "s'agissant de vos activités personnelles actuelles, nous vous demandons de veiller qu'elles soient conduites dans le strict respect des obligations de secret et des devoirs déontologiques liés à l'exercice de vos fonctions passées au sein du cabinet". Il signifie en outre à Alexandre Benalla l'interdiction de se "prévaloir d'une quelconque recommandation ou appui tacite de la présidence".

Plusieurs responsables de l'opposition de droite et de gauche ont manifesté leur trouble après le voyage à N'Djamena début décembre de l'ancien homme de confiance d'Emmanuel Macron, mis en examen pour "violences", notamment, en marge de la manifestation du 1er-Mai à Paris.

La Lettre du continent, consacrée à l'actualité en Afrique de l'Ouest, et Le Monde avaient révélé ce déplacement, intervenu avant la visite officielle d'Emmanuel Macron les 22 et 23 décembre.

L'Elysée avait réagi en indiquant qu'Alexandre Benalla n'était "pas un émissaire officiel ou officieux de la présidence de la République".

Alexandre Benalla a répliqué, via plusieurs médias, dénonçant une volonté présumée de l'entourage d'Emmanuel Macron de le "salir" en "sous-entendant" qu'il aurait pu se "prévaloir d'une fonction, d'un titre, ou d'un pouvoir aux fins de démarchages professionnels".

"Aujourd'hui, je fais du consulting. J'ai fait une dizaine de pays en Afrique", explique-t-il dans Le Monde daté du 28 décembre.

Bataille de com' entre l'Élysée et Benalla

Selon le journal Le Monde de lundi, qui cite des sources concordantes, Alexandre Benalla s'est rendu début décembre au Tchad pour un court séjour à N'Djamena. Il était accompagné "d'une demi-douzaine de personnes, par avion privé, réglant les frais par carte bleue", selon l'une de ces sources. Le quotidien ajoute qu'Emmanuel Macron, qui s'est pour sa part rendu au Tchad le 22 décembre, et le président tchadien Idriss Déby ont parlé ensemble de cette visite.

"Quelles que soient les démarches qu'entreprend Monsieur Benalla, il n'est pas un émissaire officiel ou officieux de la présidence de la République. S'il se présentait comme tel, il est dans le faux", a déclaré l'Élysée à l'AFP.

"Nous n'avons jamais d'intermédiaires dans les relations que nous entretenons avec les chefs d'État africains. Si le président de la République donne un mandat, c'est soit à son ministre des Affaires étrangères, soit à sa cellule diplomatique", a expliqué l'entourage d'Emmanuel Macron.

Si aucune démarche spécifique n'a été entreprise par l'Élysée pour vérifier la véracité de ce voyage en Afrique, "il y a déjà une enquête interne (ouverte lors de l'affaire de la Contrescarpe, Ndlr) qui pourrait vérifier que Monsieur Benalla n'aurait pas eu des démarches de ce type-là, c'est-à-dire démarchage commercial, avant son départ de l'Élysée", a rappelé dimanche la présidence de la République.

Alexandre Benalla a lui démenti s'être présenté comme un émissaire de la présidence et juge "surréaliste" de le suggérer "et la réaction de l'Élysée", a déclaré son entourage à l'AFP.  Son avocate Jacqueline Laffont s'en prend particulièrement au journal Le Monde, estimant qu'il a eu des "propos tendancieux (...) insinuant faussement qu'il se serait indûment prévalu lors d'un déplacement au Tchad d'une mission confiée par la Présidence de la République".

"Ça n'a rien à voir avec Emmanuel Macron"

L'entourage d'Alexandre Benalla explique lui que l'ex-chargé de mission était "au Tchad avec une délégation économique de six personnes étrangères qui vont faire 250 millions d'euros d'investissements".

"Ça n'a rien à voir avec Emmanuel Macron, rien à voir avec l'Élysée, rien à voir avec la présidence de la République". Il a d'ailleurs rencontré "Idriss Deby lui même, durant deux heures, contrairement à ce qui a été écrit" dans la presse, poursuit cette source. "Alexandre Djouri n'a rien à voir avec ça. Il ne connaît pas ces personnes", souligne-t-elle.

Selon plusieurs médias, l'ex-chef de cabinet adjoint du président a par ailleurs rencontré à l'automne, à Londres, l'homme d'affaires Alexandre Djouhri, un familier des réseaux de la droite française, sous le coup d'une procédure d'extradition à la demande des juges d'instruction parisiens qui enquêtent sur le financement libyen présumé de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007.

En octobre, Alexandre Benalla avait toutefois "totalement démenti cette affirmation dénuée de tout fondement" avant de reconnaître l'avoir rencontré, selon Mediapart. Alexandre Benalla a été limogé de l'Élysée en juillet et mis en examen pour "violences volontaires" et mis en cause pour avoir outrepassé ses fonctions en participant à une interpellation musclée en marge des manifestations du 1er mai à Paris. Il estime que "le traitement médiatique" dont il est l'objet depuis est "injuste", selon son entourage.

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(avec agences)