Boues rouges dans les calanques : Ségolène Royal s'en prend à Matignon

Par latribune.fr  |   |  962  mots
Il y a plusieurs mois, la demande d'une poursuite des rejets par l'usine avait déclenché la colère de plusieurs associations de défense de l'environnement et de riverains, qui dénoncent depuis des années la toxicité des boues rouges.
Le préfet de la région Paca a autorisé l'industriel Altéo à poursuivre ses rejets en mer encore pendant six ans. Ségolène Royal déplore "une mauvaise décision" dictée, selon elle, par Matignon.

Nouvelle controverse à l'intérieur de l'exécutif. Une décision du préfet de la région Paca rendue publique mardi 29 décembre, autorisant la poursuite d'activité de l'industriel Altéo et les rejets en mer, pour 6 ans, d'effluents aqueux dans le parc des Calanques (Bouches-du-Rhône), a en effet provoqué la protestation de Ségolène Royal.

"L'ordre est venu du Premier ministre au préfet, direct", a déclaré à l'AFP la ministre de l'Ecologie, qui s'était déjà exprimée sur le dossier fin novembre. Et d'ajouter:

"Je désapprouve cette décision, je n'ai pas du tout changé d'avis, je pense que c'est une mauvaise décision qui est essentiellement suscitée par le chantage à l'emploi".

Le préfet "a signé le lundi 28 décembre 2015 un arrêté autorisant la société Altéo à continuer à exploiter à compter du 1er janvier 2016 ses usines sur le site de Gardanne et autorisant, pour une durée de six ans, le rejet dans la mer d'effluents aqueux dépassant les limites réglementaires", avait annoncé un peu plus tôt la préfecture de Paca.

Les effluents liquides sont-ils comme les boues rouges?

Depuis près de 50 ans ce site de production d'alumine (qui sert à fabriquer de l'aluminium), situé à Gardanne, près d'Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), bénéficie d'un droit d'expédier en mer des résidus, à 7 km au large de Marseille et Cassis. Plus de 20 millions de tonnes de boues rouges ont été ainsi déversées sur les fonds marins de la fosse de Cassidaigne. Il y a plusieurs mois, la demande d'une poursuite des rejets par l'usine avait déclenché la colère de plusieurs associations de défense de l'environnement et de riverains, qui dénoncent depuis des années la toxicité des boues rouges.

Celles-ci seront interdites au 1er janvier 2016.  Altéo affirme d'ailleurs ne plus avoir besoin de déverser de tels rejets solides, mais uniquement des effluents liquides, grâce à une amélioration de son procédé de production. Dans un communiqué, Frédéric Ramé, le président de la firme, souligne: "Un premier défi a été relevé, arrêter le rejet des boues rouges avant le 1er janvier 2016". Avant de promettre :

"Nous entendons relever un second défi, celui de la qualité des rejets liquides d'ici au 31 décembre 2021".

Pour Altéo, la décision préfectorale, qui "confirme l'arrêt définitif de tout rejet de boues rouges en mer" et "permet le maintien de l'activité industrielle de l'usine", va justement "permettre à l'usine d'engager les recherches et développements pour améliorer la qualité des rejets liquides".

"Une pollution dangereuse pour la santé"

Mais les ONG ne sont pas rassurées. "Il s'agit de rejets d'effluents liquides, chimiques, toxiques et radioactifs, c'est toujours le dossier des boues rouges, même si les rejets n'en n'ont plus la couleur", a indiqué à l'AFP Alain Matési, président de l'association "CoLLecT-IF environnement". Une analyse partagée par Ségolène Royal, qui a souligné:

"Les dernières enquêtes de l'Anses publiées il y a quelques jours ont bien montré qu'à l'endroit des rejets, il y avait une contamination beaucoup plus forte, notamment en mercure, une pollution dangereuse pour la santé".

Denez L'Hostis, président de France Nature Environnement, précise pour sa part que "l'enjeu de la période actuelle est qu'on dépasse les seuils légaux de rejets pour trois éléments, notamment l'arsenic et l'aluminium", car Altéo "ne sait pas encore filtrer tous les éléments toxiques avant de les rejeter en mer". Les défenseurs de l'environnement craignent par ailleurs qu'une nouvelle autorisation de rejets ne remette en cause le statut même du Parc national des Calanques, une aire de protection créée en 2012.

En espérant "qu'il y aura des recours pour que toute la clarté soit faite", Ségolène Royal a promis: "Je vais mettre en place des surveillances pour être sure qu'au bout de deux ans, il n'y ait pas une reconduction laxiste du processus".

"Il va falloir continuer à réfléchir à une mutation de site", a ajouté la ministre.

Un cas "relativement classique de désaccord entre deux cabinets ministériels"

Matignon est pour sa part intervenu mardi soir, en déclarant à l'AFP que la décision du préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur était fondée sur l'avis d'une commission indépendante et non sur intervention du Premier ministre, Manuel Valls.

"Le Conseil supérieur de prévention des risques technologiques (CSPRT) - un conseil indépendant composé d'experts rattachés administrativement au ministère de l'Ecologie - a planché le 22 décembre et a soumis l'arrêté d'autorisation au vote", a-t-il expliqué.

La réunion s'est conclue par "un vote assez large d'une autorisation pour six ans du processus industriel proposé par Altéo" et le préfet a suivi cet "avis consultatif", selon Matignon, qui a encore précisé:

"Il n'y a pas eu d'ordre du Premier ministre au préfet. La procédure est claire. Matignon, qui suit ce type de dossier complexe, a confirmé au préfet qu'il n'y avait pas d'objection à suivre l'avis de la commission d'experts".

Pour les services du Premier ministre, il s'agit d'"un cas relativement classique de désaccord entre deux cabinets ministériels, ceux de l'Economie et de l'Ecologie". "La décision du préfet se fait sur le fondement d'avis de commissions dans ce genre de dossiers", a-t-on précisé.

Lorsque, il y a une dizaine de jours, attendant un dernier avis pour prendre son arrêté, le préfet de Paca avait déjà annoncé qu'il était favorable à la poursuite d'activité de l'usine, il avait expliqué: "c'est la position du gouvernement et je l'applique".