Choc de simplification : le grand bluff ? Un chef d'entreprise témoigne

Par Fabien Piliu  |   |  1660  mots
Entre les banques, l'URSSAF, Pôle Emploi et les syndicats, reprendre une entreprise s'avère être toujours un vrai casse tête pour les dirigeants.
Dans un courrier adressé à La Tribune, un chef d'entreprise débutant témoigne des difficultés et des entraves rencontrées pour relancer une PME industrielle qu'il vient de reprendre. Souhaité par François Hollande, le président de la République, le choc de simplification a-t-il réellement démarré ?

Lancé en mars 2013 par François Hollande, le chef de l'Etat, le choc de simplification est-il devenu une réalité ? Initiées par le secrétaire d'Etat chargé de la réforme de l'Etat et de la simplification auprès du Premier ministre, Thierry Mandon (remplacé depuis la mi-juin par la député socialiste Clotilde Valter), près de 300 mesures ont d'ores et déjà été décidées. De nouvelles mesures sont attendues au cours des prochains mois.

En lançant ce chantier, qui concerne aussi bien les ménages que les entreprises, l'exécutif espère moderniser à moindre frais l'économie française et améliorer sa compétitivité. " Notre premier devoir, c'est donc de stimuler l'esprit d'entreprise, l'initiative, dans tous les domaines ", avait déclaré François Hollande, le 29 avril 2013 dans son discours de clôture des Assises de l'entrepreneuriat. Evoquant la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite loi Macron, Manuel Valls a martelé le même message le 16 septembre lors de son discours de politique générale :

" Le projet de loi « croissance » permettra de simplifier les formalités, les procédures et la vie quotidienne des Français. Ce n'est pas une loi qui stigmatise. Elle n'est pas contre les professions réglementées; elle agit pour leur fournir les outils juridiques pour se moderniser. Elle stimulera l'investissement en rendant plus lisible et plus stable, l'environnement législatif et réglementaire "

Mais entre le discours et les actes, l'écart est encore immense.

Dans un courrier adressé à La Tribune, un jeune chef d'entreprise témoigne, non sans humour du caractère ubuesque de certaines situations. Son parcours ? Bardé de diplômes, ce trentenaire dont on cachera l'identité - ses déboires avec l'administration et ses partenaires financiers ne sont peut-être pas finis - ainsi que celle de son entreprise, aurait pu continuer à pantoufler chez son ancien employeur, un monstre du CAC 40. Il a choisi la voie de l'entrepreneuriat en décidant de reprendre une PME industrielle en difficulté. Quelques semaines après la signature du contrat de reprise, voici son expérience.

Un système complexe

"J'ai repris une entreprise en sauvegarde. Dans un schéma classique, j'ai commencé par créer une holding, ce qui est un bien grand mot pour une SARL sans aucun salarié. Cette démarche de création nécessite impérativement le recours à un expert-comptable ou un avocat, tant le nombre de formulaires à compléter est un repoussoir. Je passe sur la difficulté à comprendre comment la transition du régime de salarié à celui de gérant majoritaire de SARL, donc forcément au RSI, va se faire (retraite, sécurité sociale...). J'ai 37 ans, j'y penserai plus tard, d'autres chats à fouetter pour le moment ».

Les premiers courriers  :

« Etant encore sur Paris, et l'entreprise cible dans le sud, je me suis temporairement domicilié chez mes parents. C'est à leur adresse que j'ai également domicilié la holding.Très vite les premiers courriers sont arrivés : ceux de moult assureurs proposant des retraites complémentaires, de la SACEM qui, par deux fois, me propose une musique d'attente pour mon répondeur, des services fiscaux qui me questionnent notamment sur la taille du local qui héberge cette SARL sans salarié, des Urssaf, qui, alors que je ne me rémunèrerai pas en 2015, m'envoient un forfait de charge de l'ordre de 4.000 euros, calculé sur mes revenus de l'année précédente (!) où j'étais cadre dirigeant dans un grand groupe ».

Le cercle vicieux des acronymes

« Parallèlement, j'entame les démarches auprès de Pôle emploi afin de bénéficier de l'aide à la création d'entreprise dite ACRE. J'ai quand même cotisé quinze ans plein pot, alors je ne dois pas avoir de scrupule, me dit-on. Cette aide ne doit pas être confondue avec l'ARCCE, aide à solliciter parallèlement auprès des URSAFF afin d'être exonéré partiellement de charges durant les douze premiers mois de la création d'entreprise. Je rappelle qu'à ce stade, j'ai déjà reçu le forfait à 4.000 euros de ces derniers. Là où ces acronymes anagrammes (involontaires j'espère) prennent toute leur saveur, c'est qu'il n'est pas possible de bénéficier de l'ACRE sans avoir obtenu l'ARCCE au préalable. Pourquoi ? Concrètement, Pôle emploi ne te donne l'ACRE que si l'Urssaf t'a accordé l'ARCCE. En outre, on obtient l'ARCCE par accord tacite sous un mois. Donc, il faut prouver à Pôle emploi que tu as fait une demande depuis un mois et certifier sur l'honneur qu'elle t'a été accordée. Pas facile d'expliquer ce mécanisme au téléphone ! Mêmes les agents de l'administration y perdent parfois leur latin.

Et après ? Une fois les 30 jours écoulés, je peux remplir un nouveau formulaire au Pôle emploi demandant l'ACRE, l'aide en capital pour la création d'une société. J'avais parfaitement en tête cette démarche lors de mon premier rendez-vous à Pôle emploi, mais évidemment, il n'était pas possible de remplir le formulaire à ce moment-là. Je le porte à l'agence Pôle emploi, ayant bien pris connaissance de la mention précisant que le choix de l'aide en capital est irréversible, et que je ne pourrai donc pas bénéficier des allocations mensuelles.

Je reçois à ma plus grande surprise dans les dix jours qui suivent un courrier m'indiquant que Pôle emploi a bien compris que j'avais opté pour l'allocation mensuelle et m'en établit le calcul (!). Je ne réagis pas tout de suite, et reçois 15 jours plus tard un accord pour l'aide en capital (!) Je ne saurai jamais si ma visite entre ces deux courriers en est responsable ou pas ».

Cher ami banquier

" Passé ces quelques formalités, il est temps de s'occuper de l'entreprise que je reprends, d'un point de vue opérationnel. Et pour cela, je dois me « mettre à nu » devant le banquier historique de l'entreprise, le CIC, dont les services marketing et de communication en font la banque d'un tiers des entreprises françaises.

Je possède un atout dans ma manche. Bien que fortement endettée, l'entreprise que je reprends possède une trésorerie largement positive depuis plusieurs années, au moins supérieure à 1,5 million d'euros. Les différentes lignes de caution mises en place par la banque n'ont jamais été exécutées.

Me voilà tout fier d'exposer au banquier toutes mes intentions louables de réductions des coûts, de relance de l'activité, de sécurisation des créances, d'amélioration du résultat et de la trésorerie, pour une entreprise, qui, je le rappelle, était encore à l'abandon deux mois plus tôt, en sauvegarde, et vouée à sa perte sous deux ans.
J'en profite pour leur demander de me donner un peu de délai sur un prêt d'un montant modeste - 50.000 euros - afin de faciliter la relance. Le « représentant » repart en me disant qu'il a bien compris mon projet, puis m'informe quelques jours plus tard qu'il va « présenter le dossier à un comité d'engagement » et pour cela me demande de joindre une déclaration de patrimoine personnel.

Je comprends là que mon arrivée est surtout un moyen pour lui de récupérer des garanties, notamment personnelles, alors qu'il n'en disposait d'aucune jusqu'à présent... Outré par la démarche, je prends contact avec la banque « amie » des PME qui se vante de soutenir l'économie française : la banque publique d'investissement, Bpifrance ».


Que fait le bras armé de l'Etat ?

« Je découvre alors que Bpifrance ne finance pas les entreprises en « procédures collectives », dont la procédure de sauvegarde, ce qui n'aide donc guère à leur sauvegarde. On m'explique enfin que si d'autres banques me soutiennent, ils me soutiendront ! Comme il est de notoriété publique que Bpifrance propose spontanément des lignes de crédit à des entreprises largement rentables, quelle est la logique pour ce « bras armé de l'Etat » ?

Me voilà donc reparti dans un roadshow bancaire, en commençant, non sans amertume, par une banque devenue célèbre pour l'amende à plusieurs milliards que lui ont infligé les Etats-Unis. L'entretien se passe bien. « Votre CV est impressionnant, votre projet est bien vu, etc... ». Six semaines passent avant la transmission de documents au comité d'engagement. Je serai finalement rappelé pour qu'on m'explique qu'il n'est pas possible d'ouvrir un compte pour une entreprise en sauvegarde. Certes, cette donnée du problème était connue dès la première rencontre mais, celle-ci s'étant bien passée, j'avais espéré un peu de compréhension.
Je me tourne alors, non sans ironie, vers une banque devenue célèbre pour son trader repenti, qui aura au moins eu le mérite de me donner la même réponse, mais cette fois-ci en deux jours.

A ce jour, j'attends encore des réponses de comités d'engagement d'autres banques de seconde zone, auxquelles mon dossier sera sans doute présenté, un jour peut-être.

Mais bon, tant qu'il y a de la trésorerie, il y'a de la vie ! »

Quand la CGT débarque

« Entre deux tâches opérationnelles, il faut encore que j'organise la réélection des délégués du personnel pour les 40 salariés de l'entreprise. Je vois débarquer une représentante de la CGT, non salariée de l'entreprise, qui veut « négocier le protocole d'élection » et, assister aux élections et au dépouillement, parce qu'« elle aime bien » (sic.). Mais qui la paye celle-là ?

En conclusion ? Des anecdotes administrativo-absurdes de la sorte, j'en ai des dizaines, mais là où elles ne font plus sourire, c'est quand la même rigidité procédurale s'applique à un grand groupe comme à une PME en sauvegarde, et dont l'enjeu est de retrouver la rentabilité pour sauver 40 emplois. Quant au choc de simplification, disons que pour l'instant, il n'a pas été très violent ».