Comment Hollande et Valls veulent sortir du piège de la fin de l'état d'urgence

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1034  mots
Pour le couple exécutif, la question d'une prolongation, d'une façon ou d'une autre, de l'état d'urgence au-delà du 26 février se pose déjà.
François Hollande et Manuel Valls s'interrogent déjà sur la nécessité de prolonger l'état d'urgence au-delà du 26 février 2016 et sur la façon, à un moment ou un autre, de revenir à une situation "normale". Une révision de la constitution pourrait les aider à résoudre ce casse-tête.

Faut-il prolonger l'état d'urgence au-delà du 26 février, terme « normal » de cette situation exceptionnelle prévu par la loi du 21 novembre dernier, adoptée quelques jours après les attentats du 13 novembre ? Une question un peu surréaliste alors que nous sommes tout juste au début du mois de décembre. Mais une question que se pose pourtant déjà l'exécutif.
Sur Europe 1, mardi 1er décembre, Manuel Valls a laissé entendre implicitement qu'une prolongation de l'état d'urgence était possible :

« L'état d'urgence est là précisément pour protéger nos libertés. Nous avons fait face à un acte de guerre avec une menace précise (...), il faut se protéger, c'est le sens de l'état d'urgence. Nous devons vivre avec et les Français doivent vivre avec, mais ma responsabilité, c'est de dire cette vérité ».

Le Premier ministre a aussi indiqué que, dans le cadre de cet état d'urgence, plus de 2.000 perquisitions administratives ont été menées et plus de 520 personnes ont été placées en garde à vue. Selon lui, « cela prouve bien que ces perquisitions ne sont pas dues au hasard et qu'elles permettent d'étayer des soupçons objectifs ».
Comme en écho, Interrogé sur RMC, le président d'honneur de la Ligue des droits de l'homme, Henri Leclerc, s'est inquiété d'un « état d'urgence permanent. On créé une situation de suspension d'un certain nombre de libertés qui est à mon avis génératrice de danger ».

Le piège politique de la sortie de l'état d'urgence

L'idée de prolonger l'état d'urgence pour une nouvelle période (trois mois, six mois ?) est plutôt bien accueillie dans l'opposition. François Bayrou (MoDem) et Xavier Bertrand (parti « Les Républicains ») disent, par exemple, la soutenir.
Mais, cette possibilité constitue aussi une sorte de piège pour le gouvernement. Car, dans l'absolu, pourquoi se limiter à une seule prolongation, pourquoi pas deux, ou trois? Après tout, l'exécutif l'a dit et répété, la guerre contre Daech ne se gagnera pas en quelques semaines ou quelques mois et le risque terroriste va rester longtemps élevé en France.

Dans ces conditions, politiquement parlant, il pourrait s'avérer très dangereux pour François Hollande, à l'approche de l'élection présidentielle, de mettre fin à l'état d'urgence. Que diront l'opposition et le Front National si, par malheur, le pays était la cible d'un nouvel attentat quelques semaines à peine après la fin de cette situation exceptionnelle ? Le président serait immédiatement taxé de laxisme.
Devant ce casse-tête, l'exécutif a, peut-être, trouvé une parade, via la réforme de la Constitution annoncée par le président de la République au lendemain des attentats du 13 novembre.

Une réforme constitutionnelle à la rescousse

En effet, un avant-projet de loi constitutionnelle, - dénommé « de la protection de la nation »- a été envoyé mardi 1er décembre pour avis au Conseil d'Etat, avant son probable examen en Conseil des ministres du 23 décembre. Or, l'un des nouveaux articles introduit dans la constitution prévoirait, non pas une durée maximum de l'état d'urgence mais, en revanche que «certaines des mesures qui avaient été mises en œuvre pendant l'état d'urgence puissent avoir des effets après la fin de l'état d'urgence, pendant une durée maximale de six mois ».

Autrement dit, si plus aucune mesure nouvelle exceptionnelle (limitation à la libre circulation, nouveaux cas d'assignation à résidence, etc...) ne pourrait être décidée après la fin de l'état d'urgence, à l'inverse, certaines des mesures applicables pendant l'état d'urgence pourraient être prorogées de six mois.... L'état d'urgence, sans l'état d'urgence en quelque sorte. Une façon aussi d'assurer une transition en douceur vers un retour à l'état « normal ».

L'avant-projet de loi constitutionnel contient aussi une disposition qui commence déjà à agiter les esprits, sur le sujet de la déchéance de la nationalité : « Un Français qui a également une autre nationalité peut, dans les conditions fixées par la loi, être déchu de la nationalité française lorsqu'il est définitivement condamné pour un acte qualifié de crime ou de délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ». Seule limite, une telle déchéance ne devrait pas avoir pour conséquence de rendre une personne apatride.

Débat à venir sur la déchéance de la nationalité française

Mais la grosse nouveauté n'est pas là. Elle réside plutôt dans le fait que la Constitution permettrait non seulement de déchoir de la nationalité française des personnes naturalisées depuis moins de 15 ans au moment des faits reprochés commis mais, également, des individus « nés français » à la condition expresse qu'il aient une autre nationalité... Mais il n'est pas certain que le Conseil d'Etat valide une telle règle qui n'a peut-être pas sa place dans la constitution du pays, une simple loi pouvant suffire. Débat de juristes.

En tout état de cause, à gauche, la déchéance de la nationalité pour des gens nés en France passe très mal. Noël Mamère (ex-EE-LV) s'est dit farouchement contre. Et la maire de Lille, Martine Aubry, intervenant sur BFM-TV-RMC a fait part de son scepticisme : "Est-ce que quelqu'un qui pense qu'il va aller se faire sauter en tuant des gens, est-ce que ça va l'arrêter? Je n'en suis pas sûre. Même face aux terroristes, l'efficacité et l'utilité c'est important. Si ce n'est pas utile, il ne faut pas le faire pour de l'affichage ".

De fait, on peut s'interroger sur la réelle utilité d'une telle mesure - réclamée à cor et à cri par le Front National et une partie des « Républicains » - au-delà de son aspect symbolique. Un terroriste ou présumé terroriste est-il sensible à sa nationalité française ? Et c'est à peine si la perte de celle-ci le gênera dans ses déplacements. En tout cas un nouveau débat, comme en raffole la classe politique française, est lancé.