Coup de tonnerre : Fitch abaisse la note de crédit de la France

Par latribune.fr  |   |  1473  mots
L'agence de notation Fitch attribue une partie de la baisse de sa note à la crise sociale que travers la France. (Crédits : Reinhard Krause)
L'agence de notation Fitch a abaissé la note de crédit de la France de AA à « AA- », estimant notamment que le contexte politique et social pourrait compliquer la réduction des dépenses publiques. Une décision jugée trop pessimiste par Bruno Le Maire.

Et ce qui devait arriver arriva. Après près de trois ans de quoi qu'il en coûte, l'agence de notation Fitch a abaissé, vendredi soir, la note de crédit de la France à « AA- » (avec perspective stable désormais), estimant notamment que le contexte politique et social pourrait compliquer la réduction des dépenses publiques.

Les marchés financiers s'appuient sur cette note, croisée avec celles d'autres agences, pour définir les taux de leurs prêts aux Etats. Une dégradation de la note française pourrait donc augmenter son taux d'emprunt, et donc la facture du remboursement de sa dette. Par exemple, la France emprunte à 3% contre 2,5% pour l'Allemagne dont les finances publiques sont mieux tenues.

La contestation : un risque pour les réfomes

Dans un communiqué, Fitch a jugé que le programme de stabilité adressé ce mois-ci par Bercy à l'Union européenne était plus ambitieux que le précédent programme de réduction du déficit, visant 2,7% à l'horizon 2027, mais qu'il s'appuyait sur des prévisions de croissance plus optimistes que ses propres prévisions. L'agence a dit prévoir une croissance du produit intérieur brut (PIB) de 0,8% cette année et de 1,3% en 2024, contre 1,0% et 1,6% pour le gouvernement.

Rappelant les manifestations contre la réforme des retraites, Fitch a ajouté que « l'impasse politique et les mouvements sociaux (parfois violents) représentent un risque pour le programme de réformes d'(Emmanuel) Macron et pourraient créer des pressions en faveur d'une politique fiscale plus expansionniste ou d'un renversement des précédentes réformes ». Le gouvernement a eu recours à l'article 49-3 pour faire adopter la réforme des retraites, se passant d'un vote au Parlement, ce qui a entraîné un net durcissement de la contestation sociale. « Cette décision a donné lieu à des manifestations et à des grèves dans tout le pays et renforcera probablement les forces radicales et anti-establishment », écrit également l'agence de notation qui notait jusqu'à présent la France "AA" avec perspective négative, soit le risque d'un abaissement.

Un tiers des dépenses indexées sur l'inflation

A court terme, les pressions sur les dépenses resteront fortes, sachant qu'un tiers d'entre elles, notamment les retraites et les prestations sociales, sont indexées sur l'inflation. A moyen et long terme, la récente adoption de la réforme relevant à 64 ans l'âge légal de départ à la retraite aura un impact modérément positif, a encore estimé Fitch. L'agence de notation a relevé que le ratio dette publique/PIB de la France à la fin 2022 (111,6%) était le plus élevé des pays classés en catégorie AA, dont la médiane est de 48,4%.

Le ministre de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire a regretté vendredi dans un communiqué l'« appréciation pessimiste » de Fitch estimant que l'agence de notation « sous-évalue les conséquences des réformes » notamment celles des retraites. Dans ses conclusions, Fitch évoque « des déficits budgétaires importants et des progrès modestes » concernant leur réduction.

Après avoir atteint 4,7% en 2022, le déficit public français devrait légèrement remonter cette année à 4,9% avant de refluer progressivement à partir de 2024, anticipe le gouvernement dans son programme de stabilité publié ces derniers jours, qui table sur un retour dans les clous budgétaires européens en 2027. Fitch anticipe pour sa part 5% de déficit cette année.

Le désendettement devrait quant à lui connaître un coup d'accélérateur d'après le gouvernement, avec une dette représentant 108,3% du PIB en 2027, soit 4 points de moins qu'envisagé précédemment mais toujours très loin de l'objectif européen de 60%. Elle était à 111,6% du PIB fin 2022.

Le gouvernement campe ses positions

Samedi, le ministre français des Finances Bruno Le Maire a assuré à l'AFP que Paris allait continuer à « faire passer des réformes structurantes » malgré l'abaissement de la note financière de la France par l'agence Fitch. « Je crois que les faits infirment l'appréciation de l'agence Fitch. Nous sommes en mesure de faire passer des réformes structurantes pour le pays, et nous continuerons à le faire », a-t-il déclaré.

« Nous avons devant nous toute une série de réformes qui vont accélérer la transformation du modèle économique français », a fait valoir samedi Bruno Le Maire. Il a évoqué à ce sujet le projet de loi industries vertes qui va être présenté dans quelques jours, avec l'objectif ambitieux, de réindustrialiser la France, d'ouvrir de nouveaux sites industriels et de créer de nouveaux emplois.

Malgré son désaccord, le ministre de l'Economie a conclu sa prise de parole d'un message d'apaisement adressé aux agences de notations et aux marchés financiers : « ne doutez pas de notre détermination totale à rétablir les finances publiques de la nation (...) à accélérer le désendettement du pays, à réduire les déficits et à accélérer la réduction des dépenses publiques ».

Et pour cause : il doit éviter que l'abaissement de la note trouve écho chez les autres agences. Attendue pour une actualisation de sa note vendredi dernier, l'agence Moody's n'a finalement pas annoncé de nouvelle notation, tandis que l'agence S&P Global, qui accorde actuellement la note de "AA" à la France avec une perspective négative, doit publier ses conclusions le 2 juin.

Le projet de réforme des règles budgétaire de l'UE salué

La Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI) ont salué le projet de réforme des règles budgétaires de l'Union européenne discuté vendredi par les ministres des Finances des Vingt-Sept réunis en Suède. La BCE « se félicite » du projet présenté mercredi par la Commission européenne, a déclaré la présidente de l'institution monétaire Christine Lagarde. Elle a salué « l'effort (de l'exécutif européen) pour parvenir à un compromis » malgré des « accords entre les pays qui font face à des défis différents », les écarts d'endettement étant très importants entre les Vingt-Sept.

Ce projet est « une bonne proposition qui contient plusieurs propositions que nous défendions », a affirmé Alfred Kammer, le directeur du FMI pour l'Europe, lors d'un point presse à Stockholm. Le FMI souhaiterait toutefois que l'UE se dote d'« un conseil budgétaire indépendant » qui évaluerait les questions « de façon extérieure à la Commission », a-t-il plaidé.

La réforme du Pacte de stabilité au cœur des discussions

La réforme du célèbre « Pacte de stabilité », que la Commission espère entériner d'ici la fin de l'année, est au programme d'une réunion des ministres des Finances de l'UE organisée vendredi et samedi dans la capitale suédoise. La proposition suscite encore d'importantes divergences parmi les Vingt-Sept.

Elle maintiendrait les limites emblématiques fixées pour le déficit des administrations publiques des États membres à 3% du Produit intérieur brut, et pour la dette publique à 60% du PIB. Mais, afin de promouvoir l'investissement, la Commission souhaite donner aux Etats plus de marges de manœuvre, et fixer des trajectoires d'amélioration des finances publiques moins drastiques et plus réalistes.

Les pays dits « frugaux » d'Europe du Nord, menés par l'Allemagne, ont critiqué un affaiblissement du Pacte de stabilité. Ils réclament des règles chiffrées contraignantes de réduction de l'endettement, valables pour tous, car ils craignent une mise en œuvre politisée et trop accommodante de la part de la Commission. Les pays du Sud surendettés, comme l'Italie dont la dette atteint 150% du PIB, jugent au contraire la proposition trop sévère et insistent pour libérer davantage l'investissement public.

Le vice-président de la Commission européenne Valdis Dombrovskis a reconnu que l'objectif des Vingt-Sept de conclure la réforme avant la fin de l'année était « très ambitieux ». Le Pacte de stabilité avait été suspendu début 2020 pour éviter un effondrement de l'économie européenne touchée par la pandémie de Covid. Malgré la guerre en Ukraine, il doit être réactivé fin 2023.

Ne pas conclure la réforme d'ici là ne serait pas un drame, a estimé le ministre allemand des Finances Christian Lindner. « Nous avons un Pacte de stabilité. Tant que nous n'avons pas de nouvelles règles, les règles actuelles s'appliquent et donc nous ne sommes pas dans le vide », a-t-il affirmé. Le commissaire à l'Economie, Paolo Gentiloni, s'est cependant dit « optimiste sur le fait qu'on arrivera à de bons résultats », car, selon lui, « tous les Etats membres, malgré des points de vue différents, sont conscients du besoin d'aboutir à un accord. »

Le fait que le projet suscite des critiques tant des pays « frugaux » du Nord que des pays du Sud prouve, selon lui, que le projet de réforme de la Commission « est très équilibré ».