
Emmanuel Macron veut tourner la page de l'épisode houleux de la réforme des retraites. Après trois mois de mobilisation intense et d'âpres débats, le chef de l'Etat a rapidement embrayé sur les réformes du travail en espérant que la colère retombe. En déplacement ce jeudi 20 avril dans l'Hérault, le chef de l'Etat a fait des annonces de revalorisation sur le salaire des enseignants. Mais les tensions sont loin de s'apaiser. Dans de nombreux secteurs, les travailleurs et les syndicats sont particulièrement remontés contre l'utilisation du 49-3 par l'exécutif pour faire passer sa réforme décriée.
Dans ce contexte brûlant, les ministres de Bercy ont dévoilé leur feuille de route budgétaire pour les cinq prochaines années ce jeudi. Avant d'envoyer le programme de stabilité à Bruxelles la semaine prochaine, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, a annoncé qu'il voulait accélérer le désendettement de la France. La dette publique en pourcentage du produit intérieur brut (PIB) devrait passer de 111,6% à 108,3% entre 2022 et 2027 alors qu'il anticipait une hausse de 111,9% à 112,5% sur la même période lors du précédent programme de stabilité présenté à l'été 2022.
Le déficit public devrait, lui, passer de 4,7% du PIB en 2022 à 2,7% en 2027. En juillet dernier, Bercy tablait sur un solde public passant de 5% en 2022 à 2,9%. Sur la dépense publique, le ministère de l'Economie a conservé la même cible à 53,5% du PIB d'ici 2027 avec une trajectoire légèrement modifiée. « Nous devons impérativement reconstituer nos marges de manœuvre si nous devons faire face à de nouveaux chocs conjoncturels. En demandant un effort aux Français sur la réforme des retraites, il est normal de demander un effort à nos collectivités », a déclaré le ministre de l'Economie lors d'un point presse.
De son côté, le ministre des Comptes publics, Gabriel Attal, a tiré la sonnette d'alarme sur la hausse des taux et la charge de la dette. « C'est un moment de bascule, c'est la fin de l'ère de l'argent gratuit. Il y a un an, la France empruntait à 1%. Aujourd'hui, la France emprunte à 3%. La France doit reprendre le contrôle de la dette pour rester libre. Cette dette n'est pas gratuite. Elle doit être remboursée. »
Plus de croissance pour diminuer le ratio dette sur PIB, un pari compliqué
Comment expliquer la modification de cette trajectoire ? L'exécutif compte sur une croissance plus soutenue lors des prochaines années. « Le premier pilier de cette stratégie est la croissance », a ainsi déclaré Bruno Le Maire. « Il faut augmenter la richesse nationale pour diminuer le ratio de dette sur PIB, par le travail et la baisse d'impôt. La réforme France Travail doit permettre de faire revenir nos compatriotes qui sont les plus éloignés du marché du travail. Le plein emploi est à portée de main. Tous ceux qui travaillent en France travaillent beaucoup. C'est notre volume global de travail qui doit augmenter », a-t-il poursuivi. Dans le document envoyé à Bruxelles, les économistes de Bercy tablent toujours sur une croissance de 1% en 2023, 1,6% en 2024 et 1,7% en 2025 et 2026. Et enfin 1,8% en 2027.
Sur ce point, l'accumulation des crises (pandémie, guerre en Ukraine, énergie) a montré que les prévisions macroéconomiques devenaient très périlleuses et complique sérieusement l'équation budgétaire du gouvernement. Le dernier climat des affaires publié par l'Insee ce jeudi matin souligne que la confiance dans l'économie est à un niveau inédit depuis le printemps 2021.« Les données du climat des affaires indiquent que le rythme de croissance de l'économie française sera probablement très faible au cours des prochains trimestres. Une croissance de l'ordre de 0.1% en glissement trimestriel est attendue pour le deuxième trimestre », a affirmé l'économiste d'ING, Charlotte de Montpellier. Elle prévoit « des perspectives ternes » pour la seconde partie de l'année. « Il y a une forme d'aplatissement de la reprise depuis la fin de l'année 2021 », a ajouté l'économiste, Mathieu Plane, lors de la présentation des dernières perspectives de croissance de l'OFCE à la mi-avril. En outre, ce coup de frein de l'économie pourrait se traduire par des destructions d'emplois et une remontée du chômage selon les conjoncturistes de Sciences-Po et de la Banque de France.
Fin des chèques et extinction du bouclier énergie
L'inflation devrait rester élevée à 4,9% cette année selon le gouvernement avant de redescendre à 2,6% en 2024 puis 2% en 2025 et enfin 1,75% à l'horizon 2027. L'accalmie sur les prix de l'énergie devrait s'accélérer et permettre à l'indice général des prix de poursuivre le ralentissement dans les mois à venir. Dans sa stratégie, le gouvernement compte bien sur le reflux des prix du gaz, du pétrole et de l'électricité pour baisser ses dépenses en faveur des ménages et des entreprises. « Le second pilier est la sortie du bouclier énergétique dans les deux années à venir. Nous mettrons fin à la politique des chèques exceptionnels », a annoncé Bruno Le Maire. Face à l'envolée des prix après l'éclatement du conflit en Ukraine, l'exécutif avait mis en place un bouclier sur les prix du gaz et de l'électricité dont le coût brut est estimé à 24 milliards d'euros en 2022 par Bercy.
En prenant en compte les prélèvements sur les entreprises énergétiques, le coût net est estimé à « 7 milliards d'euros » selon l'entourage des ministres. « Pour cette année, il est encore difficile d'avoir un chiffre définitif du coût du bouclier tarifaire », a indiqué Bruno Le Maire. Mais il sera sans doute moindre que l'année dernière. En effet, l'exécutif à réhaussé le plafond du bouclier à 15% en début d'année. Ce qui signifie qu'une partie de la hausse sur le premier trimestre a été encaissée par les ménages. Ce bouclier moins généreux et l'extinction des différents chèques devraient permettre au gouvernement d'alléger les dépenses. S'agissant du carburant, le ministre de l'Economie a également annoncé que les dépenses en faveur des ménages avaient fondu passant de 8 milliards d'euros en 2022 à 1 milliard d'euros en 2023.
Des coupes de 5% dans les dépenses des ministères demandées par Elisabeth Borne
Pour accélérer le désendettement, l'exécutif compte également sabrer dans les dépenses des ministères. « La réforme des retraites demande un effort aux Français. En retour, nous garantissons l'équilibre financier du système par répartition. C'est aussi pourquoi on doit demander des efforts à l'Etat et aux administrations. Ce serait injuste », a souligné Bruno Le Maire.
Dans une lettre de cadrage consultée par La Tribune, la Première ministre Elisabeth Borne demande à chaque ministre de trouver 5% d'économies dans leur périmètre sans tailler dans la masse salariale. « Afin de réorienter le budget de l'Etat vers cette priorité [la transition écologique], je vous demande de transmettre à mon directeur de cabinet, en amont des réunions budgétaires annuelles conduites par le ministère chargé des Comptes publics, des propositions pour dégager des marges de manoeuvre financières au sein de vos budgets », ordonne la locataire de Matignon. Les négociations pour la préparation du budget 2024 cet été promettent d'être tendues.