Délais de paiement : faut-il châtier les grands comptes ?

Par Fabien Piliu  |   |  716  mots
Et si Emmanuel Macron faisait respecter la loi ?
L'indicateur trimestriel des retards de paiement indique que les 120 plus grands donneurs d'ordre tardent excessivement à régler leurs factures. Sur un an, les délais de paiement ont bondi de 11,4% en juillet.

La reprise, c'est maintenant ? Il y a les mots, les discours volontaristes, et les statistiques. Certaines d'entre elles restent désespérément dans le rouge. C'est le cas malheureusement des chiffres du chômage. C'est également le cas des indicateurs portant sur les délais de paiement. Selon le deuxième indicateur trimestriel des retards de paiement réalisé par Altares pour la Médiation nationale des relations inter-entreprises, les délais de paiement des 120 plus grands donneurs d'ordre publics et privés ont bondi de 11,4% en juillet sur un an.

Concrètement, le retard de règlement moyen de ces entreprises s'établit à fin juillet 2015 à 13,5 jours contre 11,8 jours un an plus tôt. Point à peine positif, la situation semble se stabiliser depuis le printemps, après que le plafond des 14 jours a été franchi en début d'année 2015. "Ces résultats, qui soulignent la forte dégradation par rapport à l'année dernière, témoignent d'un léger mieux par rapport à l'indicateur de juin. Les efforts doivent donc impérativement être accentués pour ne pas étouffer la reprise ", explique Pierre Pelouzet, le médiateur national des relations inter-entreprises.

Les grands donneurs d'ordre dictent leur loi... de la jungle

Ces 120 mauvais payeurs se distinguent par leurs pratiques abusives que la loi devrait normalement punir. En effet, près d'une entreprise sur deux de cet échantillon, soit 48,7% d'entre elles, reporte ses paiements d'au moins 15 jours. C'est plus que la moyenne. Actuellement, en France, 31% des entreprises accusent des retards de paiement d'au moins quinze jours. Au total, le montant des retards des 120 donneurs d'ordre considérés s'élève à plus de 3,8 milliards d'euros. " Ce chiffre est lourd et demeure supérieur de 400 millions d'euros à celui calculé en juillet 2014 ", précise l'enquête d'Altares.

" Le dépassement de la date de facture a parfois une cause d'ordre technique ou structurel, de type litige commercial ou conformité data, mais la recherche de l'optimisation du cash ne peut être écartée. L'allongement des délais de paiement demeure trop souvent la seule alternative retenue pour améliorer son besoin en fonds de roulement ", poursuit l'étude.

Bien évidemment, les grands comptes ne sont pas les seuls à enfreindre la loi. Selon Altares, le crédit fournisseur qui pèse déjà 635 milliards d'euros, soit près du tiers du PIB de la France. Mais parce qu'ils se situent au sommet de la pyramide économique, ces entreprises déséquilibrent financièrement l'ensemble de la chaîne de leurs fournisseurs. Le problème, c'est que les banques rechignent à financer les crédits de trésorerie. Elles préfèrent financer les crédits d'investissements. Mais comme les entreprises en bout de chaîne du crédit fournisseur sont fragilisées par ces comportements, elles ne peuvent présenter des dossiers d'investissement. Le serpent se mord la queue. Le problème, c'est que les TPE représentent 95% du tissu économique tricolore.

Dura lex, sed lex...

Pourtant, la législation a été durcie par la loi Hamon votée en 2013. Si les délais n'ont pas été modifiés - ils ne peuvent dépasser 45 jours fin de mois ou 60 jours à partir de l'émission de la facture -, les retards sont durement sanctionnés, ce qui n'était que rarement le cas jusqu'ici. Désormais, ils sont sanctionnés par des amendes administratives dont le montant maximal est de 75.000 euros pour une personne physique et de 375.000 euros pour une personne morale. En cas de nouveau manquement dans un délai de deux ans, le montant de l'amende pourra être doublé. On a du mal à imaginer que les 120 donneurs d'ordre montrés du doigt par l'enquête d'Altares en soient à leur coup d'essai.

Dans ce contexte, et au regard des montants en jeu, on peut se demander si le simple respect de la loi ne devrait pas être la priorité du gouvernement dans le domaine économique. Créer le CICE, multiplier les allégements de cotisations comme le prévoit le Pacte de responsabilité est-il judicieux, efficace, si la bouffée d'oxygène qu'ils procurent aux entreprises leur permet seulement de résister aux retards de paiement de leurs clients et en particulier des grandes entreprises ? Et si le respect de la loi était la seule réforme structurelle qui vaille ?