Indemnisation : l'inquiétude des commerces attaqués et pillés lors des émeutes

Par latribune.fr  |   |  1645  mots
Au bout de quatre nuits de troubles, on recensait, samedi, une dizaine de centres commerciaux et plus de 200 enseignes de la grande distribution attaquées et pillées - dont 15 incendiées -, 250 débits de tabac mais aussi 250 agences bancaires, des magasins de toutes tailles, des établissements de restauration rapide... (Crédits : Reuters)
Pour les milliers de propriétaires de commerces qui ont subi des dégradations ces derniers jours marqués par des émeutes consécutives à la mort du jeune Nahel, l'heure est désormais venue de tenter d'obtenir réparation avec notamment la question des franchises qui s'appliqueront. Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, a ainsi appelé les assureurs à les « réduire au maximum ». Reste à savoir s'il sera entendu.

« Les assureurs sont mobilisés et continueront à répondre présents (...) pour accompagner leurs assurés ». C'est ainsi que l'organisation professionnelle, France Assureurs, a répondu aux propos du ministre de l'Economie samedi, se voulant ainsi rassurante alors que la France est touchée depuis mardi par des émeutes qui ont entraîné des dégâts chez bon nombre de commerces. Obtenir réparation complète ne sera pas forcément chose aisée.

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Dans le détail, on recensait, samedi, une dizaine de centres commerciaux et plus de 200 enseignes de la grande distribution attaquées et pillées - dont 15 incendiées -, 250 débits de tabac mais aussi 250 agences bancaires, des magasins de toutes tailles, des établissements de restauration rapide. Le bilan devrait s'alourdir dans les prochaines heures.

Bruno Le Maire s'est néanmoins refusé à une évaluation chiffrée des dégâts estimant qu'il est trop tôt pour cela. Or, la facture pourrait être plus élevée que pour les manifestations de gilets jaunes, qui avaient occasionné 249 millions d'euros de dommages en 2018 et 2019, et que pour les émeutes de 2005 (204 millions d'euros).

« C'est hyper critique et il y a vraiment des dégâts très importants », a ainsi réagi auprès de l'AFP Alain Di Crescenzo, président de CCI France (les chambres de commerce et d'industrie). « On en est à plusieurs milliers de commerces », avec une prédilection pour les articles de sport, l'alimentaire et l'optique. Un bilan d'autant plus lourd selon lui que de nombreux vigiles ont fait valoir leur droit de retrait. En conséquence, chaque CCI a ouvert une cellule de crise --y compris psychologique--, selon Alain Di Crescenzo, qui réclame la priorité dans les commissariats pour les commerçants afin qu'ils déclarent facilement leurs sinistres, mais surtout des aides pour compenser les franchises, les pertes d'exploitation si elles ne sont pas assurées, le paiement de vigiles et du chômage partiel.

« Réduire au maximum les franchises »

Un point sur lequel Bruno Le Maire a également insisté samedi, en vain. « Nous avons demandé aux assureurs de faire preuve de la plus grande simplicité dans le traitement des procédures » et de « réduire au maximum les franchises », a-t-il déclaré, samedi, devant des journalistes après avoir reçu des représentants des commerçants, hôteliers-restaurateurs, assureurs et banquiers à Bercy. Selon lui, « 90 à 95% des commerçants sont couverts par des assurances sinistres et dégâts ». Et d'assurer que la fédération des assureurs a « pris des engagements formels d'étudier la possibilité de réduire les franchises », lors d'une réunion l'après-midi à Bercy.

« C'est le minimum, mais après il va falloir voir dans l'application de cela », a réagi dimanche sur RMC le chef Thierry Marx, président de l'Umih, principal syndicat patronal de l'hôtellerie-restauration. « Les annonces sont toujours des annonces, (...) mais il va falloir après traiter directement avec les assurances, simplifier les procédures, c'est encore autre chose », a-t-il ajouté.

D'autant que de son côté, France Assureurs n'a pas répondu sur la question des franchises dans sa communication. Autrement dit, elle ne s'est pas publiquement prononcée en faveur d'une baisse de celles-ci. Les membres de l'organisation sont « tous mobilisés » pour répondre aux victimes des émeutes, a-t-elle néanmoins assuré, affirmant qu'« accélérer l'indemnisation est particulièrement crucial pour permettre aux professionnels dont l'outil de travail a été dégradé voire détruit de redémarrer rapidement leur activité ». Un porte-parole a confirmé à l'AFP qu'il fallait se tenir à cette déclaration « pour l'instant ».

Allonger le délai pour déclarer les dégâts

Le ministre de l'Economie a également insisté sur la nécessité que « les indemnisations [arrivent] le plus vite possible, dans des délais qui doivent se chiffrer en jours et pas en semaines ». L'indemnisation va, en effet, prendre quelques semaines pour la majorité des cas, et malgré l'ampleur des dégâts, estime Olivier Moustacakis, cofondateur d'Assurland, comparateur en ligne d'assurances. Des délais selon lui qui ne seront pas « monstrueux », car « les assureurs sont quand même équipés » pour faire face à un afflux de demandes.

Pour accélérer le processus, le ministre de l'Economie a invité les victimes des dégradations et pillages à déclarer rapidement les sinistres à leur assurance. « Un appel suffit, ou un mail, ou un SMS! » « Nous avons prévu d'étendre si nécessaire d'étendre les délais de déclaration », a-t-il ajouté. Actuellement, les assurés doivent immédiatement déposer plainte auprès des autorités de police et déclarer leurs dommages à leur assureur dans les cinq jours à compter de leur connaissance du sinistre. De plus, plusieurs préfectures ont renforcé leur dispositif pour faciliter les dépôts de plainte, et donc les indemnisations.

Quels dommages pris en charge ?

« Il faut que les délais de déclaration soient allongés, mais les assureurs doivent aussi adapter les reconnaissances de sinistres », a, en effet, remarqué Philippe Coy, président de la Confédération des buralistes. « Je ne pense pas que les experts seront assez nombreux dans des délais courts, il faudrait que chaque sociétaire puisse photographier les dégâts pour pouvoir réparer sans attendre une expertise », soulève-t-il également.

Quant à la nature des dégâts pris en charge, selon le Code des assurances, les assureurs ne sont théoriquement pas tenus de couvrir les pertes et dommages occasionnés par des émeutes ou mouvements populaires. Néanmoins, les bâtiments d'habitation, à usage commercial ou appartenant aux communes, sont, le plus souvent, garantis contre l'incendie et l'explosion par le contrat multirisques ou incendie qui a pu être souscrit pour les couvrir, explique France Assureurs. En cas de dégradations volontaires, la garantie vandalisme permet d'être indemnisé et les pillages peuvent être couverts par la garantie vol. Celle-ci ne joue toutefois pas pour les objets dérobés à l'extérieur des bâtiments, précise le club des assureurs sur son site internet. La victime peut également se retourner vers la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI), qui peut proposer une aide sous conditions.

Le cas des pertes d'exploitation

Concernant l'indemnisation pendant la fermeture du commerce, elle pourrait ne pas intervenir dans tous les cas. Et pour cause, si l'incendie ou le vol font par exemple partie des risques de base et sont couverts par les contrats multirisques professionnels, ce n'est pas le cas des pertes d'exploitation. Et, selon France Assureurs, seul un commerce sur deux est assuré contre celles-ci et pourra donc être indemnisé pour le manque à gagner lié à la fermeture, jusqu'à une réouverture. « Ce n'est pas une proportion énorme », commente toutefois auprès de l'AFP Olivier Moustacakis, d'Assurland.

Or, pour les commerces ayant vu leur porte vitrée pulvérisée à coups de pierres et de marteau, leur rideau de fer éventré ou leur façade noircie par un incendie, sans compter les vols et les dommages à l'intérieur, la réouverture pourrait prendre du temps.

L'assureur des collectivités passe en mode crise

De son côté, SMACL Assurances, filiale de l'assureur mutualiste MAIF spécialisé auprès des collectivités (communes, conseils départementaux et régionaux...), a indiqué, samedi, sur son site internet avoir activé un « dispositif spécifique » pour faciliter les déclarations de ses assurés touchés par les émeutes. En effet, quelque 1.350 véhicules ont été incendiés dans la seule nuit de vendredi à samedi. 266 bâtiments ont été incendiés ou dégradés, dont 26 mairies et 24 écoles. D'autres représentations publiques ont été visées par les émeutiers

« Compte tenu des circonstances (...), vous pouvez déclarer vos sinistres jusqu'au 31 juillet 2023 », et ce « par tout moyen » : espace assuré, téléphone, e-mail, courrier, précise-t-il. L'assureur des écoles, mairies et autres centres des conseils départementaux et régionaux « pourra procéder à des avances sur l'indemnisation » finale, indique-t-il, afin d'accélérer les réparations et de permettre aux employés de revenir sur leur lieu de travail plus vite.

Un appel aux banques

Enfin, Bruno Le Maire s'est également adressé aux banques, samedi, leur demandant « la plus grande compréhension en termes de traitement des échéances » des professionnels concernés. Ce à quoi le président de la Fédération bancaire française, Philippe Brassac, a répondu qu'elles étaient « présentes, pleinement mobilisées pour répondre de façon personnalisée aux besoins de leurs clients touchés par les récentes émeutes ». Un report de paiement de charges sociales et fiscales pour les entreprises en difficulté sera également possible. Les commerçants réclament en outre un délai dans le remboursement des prêts garantis par l'Etat (PGE) accordés pendant la crise sanitaire.

Les gestes évoqués ne seront pas suffisants a regretté Murielle Bourreau, vice-présidente de la Fédération française des associations de commerçants. « J'entends un énième report (des charges) après celui qu'on a eu après la Covid, qu'on a eu après la réforme des retraites ou les gilets jaunes. Je pense que les commerçants vont être pris à la gorge une fois de plus, » a-t-elle déclaré sur le plateau de BFMTV, dénonçant au passage des procédures d'indemnisation trop lourdes.

Par ailleurs, la possibilité de prolonger d'une semaine des soldes pour les commerces affectés est à l'étude. « Les soldes démarraient très bien, le tourisme se porte très bien. Nous avons tant de chances, tant d'atouts dans ce pays, il nous faut les préserver », a, en effet, plaidé Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée notamment des PME et du commerce.

(Avec AFP)