Emmanuel Macron était colère contre les investisseurs institutionnels et ne s'est pas privé pour le faire savoir. Devant la French Tech réunie à l'Elysée lundi 20 février, le chef de l'Etat a sérieusement remonté les bretelles des bancassureurs. Leur crime de lèse-majesté : ne pas encore avoir investi, ou alors pas suffisamment, dans « Tibi 2 », le nouveau plan de soutien financier aux startups en préparation depuis des mois. Celui-ci est censé prendre la suite de l'initiative portée par l'économiste Philippe Tibi en 2018, qui visait à démultiplier le financement de la tech en mobilisant les investisseurs institutionnels.
Agacé par la « frilosité » des bancassureurs dans un contexte de crise inédite pour le secteur, Emmanuel Macron s'est lancé en milieu de discours dans une tirade particulièrement rentre-dedans :
« On est trop lents sur le fonds Tibi 2. Je sens trop de frilosité chez nos copains de Tibi 1. Donc avis à tous les financeurs institutionnels, on a besoin de vous. Il faut faire plus et vous savez quoi ? Il ne faut pas attendre que ça aille mieux pour le faire. C'est maintenant. Car moi, si j'avais attendu la fin de l'épidémie Covid pour vous aider, il n'y aurait pas la moitié des gens qui sont dans cette salle. Donc quand c'est dur, il faut prendre un peu plus de risques. Tibi 2, j'inviterai ceux qui n'ont pas mis d'argent. Certains sont déjà engagés, c'est ceux qui sont venus aujourd'hui. Je sais que beaucoup n'ont pas pu venir en disant "on est en vacances", c'est en fait ceux qui sont en train de se carapater. On a les noms. Comptez sur moi pour venir vous chercher avec tout le gouvernement car on a besoin de fonds », a-t-il lancé, récoltant une salve d'applaudissements de la French Tech.
Les bancassureurs refroidis par le risque
Le premier « plan Tibi », piloté en sous-main par le chef de l'Etat et ses conseillers, qui avaient sollicité eux-mêmes les patrons des grandes banques et assurances françaises, avait permis de récolter 6 milliards d'euros pour financer les étapes d'hyper-croissance des startups et leur entrée en Bourse. Avec l'effet levier, c'est 30 milliards d'euros qui ont été investis dans la tech française entre 2019 et 2022 grâce à ce plan.
Mais « Tibi 1 » est terminé, et le président de la République voulait embrayer dès janvier 2023 avec son successeur, « Tibi 2 », comme l'avait révélé La Tribune en septembre dernier.
Son idée : pousser les bancassureurs à investir au moins autant, soit 6 milliards d'euros, pour continuer l'effort de financement sur les étapes d'hyper-croissance des startups, mais aussi soutenir l'amorçage quelque peu en difficulté depuis l'an dernier, ainsi que les deeptech, qui relèvent d'un enjeu de souveraineté pour la France et qui manquent cruellement de financements.
Problème : la crise économique et géopolitique -guerre en Ukraine, tensions sur l'approvisionnement, crise de l'énergie, remontée des taux d'intérêts et de l'inflation- a rebattu les cartes. Les investisseurs institutionnels sont moins enclins à financer l'innovation, par définition plus risquée et avec des retours sur investissements plus lointains. Par conséquent, « Tibi 2 » ne se remplit pas aussi vite que prévu.
Tibi 2 devait être bouclé en fin d'année 2022 mais ne cesse de prendre du retard
D'après nos informations, Emmanuel Macron souhaitait annoncer ce nouveau plan d'investissement -l'Elysée espérait jusqu'à 10 milliards d'euros à l'origine- en fin d'année dernière, puis en janvier au plus tard, pour « prendre le relais » de Tibi 1 qui s'est achevé fin 2022. Mais mars pointe son nez et les investisseurs institutionnels traînent toujours la patte :
« C'est difficile d'annoncer pour Tibi 2 moins d'argent que pour Tibi 1, car cela créerait un effet déceptif », nous confie une source. « Donc ça fixe le plancher à 6 milliards d'euros, qui ne sont déjà pas évidents à trouver en période de crise. Surtout, il faudrait en fait bien davantage, car avec la chute des valorisations et des levées de fonds qui va nous tomber dessus au premier semestre 2023, il ne faut pas lâcher l'effort sur le financement des gros tours de table et il faut aussi soutenir l'amorçage qui est un peu fragilisé », poursuit ce proche du dossier.
D'où le ton étonnamment rentre-dedans, très sarkozien, d'Emmanuel Macron devant la French Tech. Reste à savoir si la remontrance aura l'effet escompté et si le chef d'Etat pourra enfin annoncer, dans quelques semaines, un plan « Tibi 2 » conforme à ses ambitions.
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