Emprunts toxiques : la Cour des comptes épingle l'Etat

Par Mathias Thépot  |   |  881  mots
Dans l'affaire des emprunts toxiques, l'Etat français a préféré limiter ses pertes à court terme, quitte à prendre des risques à plus long terme. (Photo: ce mercredi 10 février 2016, Didier Migaud (dr.) et Antoine Durrleman viennent de clore leur conférence de presse pour la présentation du rapport 2016)
Les magistrats de la rue Cambon regrettent la gestion incohérente par l'Etat des conflits liés aux emprunts toxiques souscrits par les collectivités locales.

Incohérente et risquée. Telle est, en substance, la politique menée par l'Etat pour mettre fin aux emprunts toxiques contractés par les collectivités locales durant les années 2000 auprès de la banque Dexia, selon la Cour des comptes. Certaines d'entre elles doivent toujours payer des taux d'intérêt de plus de 25 % par an, du fait du montage de leur prêt dont les taux sont parfois indexés sur des variations de taux de change, notamment du franc suisse.

Deux entités publiques

Depuis la quasi-faillite de Dexia à l'été 2011, deux entités publiques ont repris ses encours de prêts toxiques : d'une part, 20 % ont été logés dans l'entité résiduelle de la banque franco-belge Dexia Crédit Local (DCL), détenue en majorité par l'Etat belge et pour environ 44 % par l'Etat français. Cette entité gère son bilan en extinction, c'est-à-dire qu'elle n'a plus aucune nouvelle activité et attend patiemment sa mort en limitant les dégâts d'ici là. Et d'autre part, 80 % des encours des prêts toxiques des collectivités locales françaises ont été repris par la Société de financement locale (Sfil), une entité possédée à 100 % par l'Etat français.

Risque juridique évitable

Concrètement, la Cour des comptes reproche à la Sfil d'avoir maintenu un risque juridique évitable sur les finances publiques. Créée début 2013, l'entité s'est contentée dans un premier temps de limiter les pertes, la réduction du niveau de ses encours sensibles ne concernant que « les prêts structurés les plus faciles à renégocier ». Elle attendait en fait patiemment la création du fonds de soutien aux collectivités locales ayant souscrit des prêts toxiques, lequel fond a vu le jour en 2015. « Sous l'impulsion de l'État actionnaire, la Sfil a cherché à limiter ses pertes dans l'attente de la mise en place du fonds de soutien », confirme la Cour des comptes.

Or, entre temps, les collectivités locales étouffant sous le poids de la charge de leur dette ont attaqué en justice... et parfois gagné, comme le département de la Seine-Saint-Denis au TGI de Nanterre en 2013, ou la commune Saint-Cast-Le-Guildo en 2015 qui ont respectivement fait condamner Dexia pour ne pas avoir mentionné le taux d'intérêt effectif dans les contrats de prêt, et pour défaut d'information. Autant de décisions de justice qui peuvent faire jurisprudence et donc faire peser des risques sur les finances de l'Etat si jamais les collectivités encore en délicatesse avec leurs emprunts s'engouffraient dans la brèche. Le jugement du TGI de Nanterre en 2013 a d'ailleurs été annihilé par une loi du gouvernement, car les risques pour les finances publiques était trop grand.

Manque de cohérence

Fort de ses participations dans ces deux sociétés, l'Etat français aurait, selon la Cour des comptes, dû « veiller à la cohérence des pratiques de DCL et de la Sfil » afin de limiter les dégâts de ces crédits structurés qui font toujours peser un risque de plusieurs milliards d'euros sur les finances publiques nationales et locales. Mais cela n'a pas été le cas, la Sfil ayant préféré limiter ses pertes à court terme en refusant de renégocier les prêts les plus toxiques des collectivités, au risque d'encourir des pertes plus importantes à l'avenir.

Certes au 30 juin 2015, seules "68 collectivités disposent encore d'un encours « sensible », auprès à la fois de Sfil et DCL", c'est-à-dire que, "au total, entre la fin de l'année 2012 et le 30 juin 2015, DCL et Sfil sont parvenues à désensibiliser respectivement la moitié et le quart de leur encours « sensible »", indique la Cour des comptes. Cependant, les magistrats de la rue Cambon reconnaissent qu'un risque pèse toujours sur les finances publiques, même s'il est faible à court terme, et sous-entendent qu'il aurait pu être quasiment éradiqué si la stratégie, de Bercy notamment, avait été plus pertinente.

Limiter les risques à venir

La Sfil a donc commis une faute, selon la Cour des comptes, en laissant le temps à la justice de donner raison aux collectivités locales en difficulté. Elle est même d'autant plus à blâmer que, de son côté, Dexia Crédit Local « semble avoir entrepris un travail équilibré entre les prêts structurés les plus « sensibles » et les moins « sensibles » », afin de limiter le risque. Ainsi, ensemble, Belges et Français ont agi de manière plus cohérente concernant DCL. Alors que malheureusement « l'agence de participation de l'Etat (français, Ndlr), actionnaire des deux entités, a choisi de ne consentir à Sfil qu'une enveloppe limitée de pertes autorisées pour renégocier l'encours « sensible » », déplore la Cour des comptes.

Certes, les magistrats de la rue Cambon reconnaissent que la nécessité de recapitaliser les entités paraît peu probable à court terme, mais le risque n'est pas encore écarté, et ils réitèrent donc opiniâtrement leur recommandation de veiller « à la cohérence des pratiques de Dexia Crédit Local (DCL) et de Sfil concernant la renégociation des prêts structurés au secteur public local, en particulier dans le cas des 68 collectivités disposant d'emprunts « sensibles » chez DCL et Sfil (recommandation réitérée et reformulée) ».