Fillon, la vraie rupture ?

Par Ivan Best  |   |  1427  mots
Comment François Fillon peut-il adapter son programme sans se renier ? Il devra déployer tout son art politique.
Le candidat de la droite à la présidentielle promet la rupture avec les politiques économiques passées. Les Français aiment cette idée, mais ils ne veulent pas pour autant changer de modèle. L'ancien premier ministre pourra-t-il tenir son cap ?

Amender son projet au risque d'être accusé de se renier, de trahir ses promesses de la campagne pour la primaire ? Ou maintenir coûte que coûte ses orientations libérales, comme il en a fait la promesse, jurant de ne pas dévier d'un pouce de son programme, alors même que la conversion des Français au libéralisme n'a rien d'évident (52 % des Français veulent un renforcement de l'intervention de l'État) ? François Fillon a encore devant lui quelques semaines de confort, mais pas beaucoup plus. Il devra ensuite choisir entre ces deux options. Il faudra en tout état de cause ajuster le tir, faire campagne, affronter la concurrence, avec l'optique de convaincre bien au-delà des 2,8 millions d'électeurs qui l'ont adoubé lors du second tour de la primaire de la droite et du centre. Pour l'emporter au second tour de l'élection présidentielle, il faut obtenir plus de 19 millions de suffrages... Ce qui est sûr, c'est que François Fillon n'abandonnera pas le thème de la rupture, tout simplement parce qu'il reste très porteur auprès d'un électorat tenté par le grand coup de balai, inquiet qu'il est de l'état de la France. Les Français sont parmi les plus pessimistes dans le monde.

Près de 90 % d'entre eux estiment que leur pays est sur la mauvaise pente, un chiffre record, bien au-delà de la moyenne mondiale de 60 %, selon un sondage publié par The Economist. Ainsi, élection de Trump ou pas, beaucoup moins d'Américains (60 %) se montrent aussi inquiets. Sans parler des Russes, qui ne sont que 45% à voir pareillement leur pays s'effondrer.

En France, tout discours sur un changement radical, pour en finir avec la situation de déclin - ou perçue comme telle -, rencontre donc, logiquement, une audience favorable. En évoquant « un pays exceptionnel qui ne mérite pas son sort actuel », un « déclin qui le révolte », François Fillon répond donc aux attentes d'une grande partie de l'électorat.

Tout le problème réside dans le passage du diagnostic au programme, et du programme à sa déclinaison précise. Proclamer que « nous sommes assis sur le volcan de nos dettes », et qu'il faut faire « attention à son réveil » - comme on peut le lire sur le site du candidat -, programmer en conséquence un rétablissement budgétaire, préalable au « redressement de la France » au moyen de coupes claires dans les dépenses publiques - bien qu'encore très mal définies -, voilà qui peut emporter l'adhésion du « peuple de droite ». Mais dès lors que les réformes sont précisément abordées, les choses se gâtent.

Convaincre le peuple français

C'est ce qui a pu être constaté avec l'épisode de l'Assurance maladie. L'évocation par François Fillon d'une réforme de la Sécu, consistant à ne plus rembourser que les maladies graves, a suscité immédiatement une certaine émotion dans l'électorat. Selon un sondage Odoxa, 69% d'entre eux estiment nécessaire de « réformer en profondeur » l'assurance maladie... mais 58% rejettent l'idée avancée par François Fillon d'un désengagement de la Sécu au profit des mutuelles, et même 89 % sont hostiles au fait de ne rembourser que les médicaments pour les pathologies les plus graves. Bref, les Français veulent bien qu'on réduise la dépense publique, mais pas quand cela touche à leur portemonnaie... Un classique !

C'est toute l'ambiguïté du programme Fillon, coupant 100 milliards d'euros dans les crédits publics. Ses électeurs ont envie d'entendre qu'il suffit de tailler dans les effectifs qui seraient pléthoriques de la fonction publique - les fameux 500.000 fonctionnaires en moins - afin de baisser franchement la dépense. Malheureusement, la réalité est un peu plus complexe.

La suppression de 500.000 postes de la fonction publique ne « rapporterait » que quelques milliards, et François Fillon aura toutes les peines à réduire autant l'emploi public. Un seul exemple : l'un de ses experts, qui travaille sur les sujets d'éducation, Patrick Hetzel, se refuse à tout chiffrage des suppressions de postes au sein de l'Éducation nationale, dans une interview accordée aux Échos.

Comment François Fillon peut-il adapter son programme sans se renier ? Il devra déployer tout son art politique. « Il n'échappera pas au séquencement habituel de tout candidat à l'élection présidentielle » estime le politologue Stéphane Rozès, président de CAP et enseignant à Sciences Po. « Pour François Fillon, il y a eu un premier temps, celui de la primaire, au cours duquel il a mobilisé le noyau dur de la droite. Le deuxième temps, c'est la campagne électorale, qu'il doit mettre à profit pour rassembler le peuple de droite. Enfin, le troisième se situera dans l'entre-deux tours, quand il lui faudra convaincre le peuple français ». La primaire ne doit pas être surestimée. « Le seul rendez-vous, c'est la campagne présidentielle ».

Redresser les finances publiques

À chaque séquence, devra correspondre un discours. Le programme de la primaire sera donc nécessairement adapté. Quid de la filiation thatchérienne que revendique François Fillon, alors ? Il ne serait plus question du « Thatcher de la Sarthe », surnom dont François Fillon a pu être affublé ? Et la rupture libérale ? « Les Français veulent un modèle plus efficace, mais ils ne sont pas d'accord pour en changer » estime Stéphane Rozès. « Les Français ne sont pas thatchériens, les Anglais ne le sont plus, d'ailleurs. Plus généralement, les Français ne veulent pas être contraints par un modèle, car, précisément, le modèle modèle ». Aujourd'hui, François Fillon marche « sur deux jambes, mais il fait le grand écart, un peu écartelé entre le déploiement de son libéralisme économique et la réassurance qu'apporte son conservatisme moral », juge Stéphane Rozès. Ce grand écart ne pourra durer éternellement. Du reste, son programme est-il si libéral ?

Pour l'économiste Jean-Marc Daniel, il est avant tout patronal. Interrogé par Le Monde, il souligne les grandes différences entre la politique de Margaret Thatcher et le programme de François Fillon : l'optique thatchérienne était celle de la libéralisation, de la remise en cause des obstacles à la concurrence sur le marché des biens et du travail, quitte à s'attaquer à certaines rentes. François Fillon a, lui, comme premier objectif le redressement de la France, qui passe à ses yeux par la réduction du déficit public. Son conservatisme en économie, son inspiration très patronale, lui interdisent une remise en cause des rentes qui contribuent encore à bloquer l'économie française.

Négocier au sein de l'entreprise

En fait, le programme Fillon ressemble plus à l'accentuation de la politique économique menée par François Hollande qu'à une révolution libérale. Ce dernier s'était lancé dans une politique de baisse des charges et des impôts des entreprises, à hauteur de 40 milliards d'euros ? François Fillon veut la poursuivre, en baissant de 35 milliards d'euros les charges et impôts supportés par les employeurs. Bien sûr, l'ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy entend manier la symbolique fiscale, en supprimant l'ISF, en relevant le plafond du quotient familial, et en rétablissant l'universalité des allocations familiales, autant de mesures orthogonales avec la politique de François Hollande. Mais, d'un point de vue macro-économique, elles ne pèsent pas beaucoup. Comme François Hollande, le candidat de la droite veut basculer une partie du financement de la protection sociale des entreprises vers les ménages. Le premier avait augmenté pour ce faire la TVA et les taxes sur l'énergie à hauteur d'une dizaine de milliards, le second vise deux points de TVA en plus, soit 16 milliards. Question de degré...

Côté réduction des dépenses publiques, François Fillon vise 20 milliards d'euros par an, tandis que le gouvernement socialiste avait pour objectif 16,7 milliards par an. La différence n'est pas si importante. S'agissant du Code du travail, le vainqueur de la primaire de la droite et du centre veut pousser plus loin, nettement plus loin, la logique de la loi El Khomri, qui visait à donner plus de poids à la négociation au sein de l'entreprise. Il va même jusqu'à autoriser le référendum d'initiative patronale (lire l'interview de Gilbert Cette, en lien ci-contre). En proposant un programme allant plus loin que François Hollande, dans la même direction, le candidat Fillon est-il celui de la rupture ?