François Bayrou et le retour en grâce du Plan, sans la planification

Par Eve Szeftel, AFP  |   |  759  mots
(Crédits : POOL New)
La France possède une longue tradition en matière d'économie administrée par l'État. Du général de Gaulle à Nicolas Sarkozy, en passant par le celui qu'Emmanuel Macron vient de nommer "Haut commissaire au plan" pour la relance face au Covid-19, le dirigisme à la française, organisé par des administrations pléthoriques, a su traverser les époques.

Le Haut-commissariat au plan, dont François Bayrou prend la direction ce jeudi, n'aura qu'un lointain rapport avec son prestigieux ancêtre, artisan de la modernisation de la France à une époque où c'était l'Etat qui commandait aux entreprises, et non l'inverse.

Dans la France de l'après-Seconde guerre mondiale, "c'est à l'État, aujourd'hui comme toujours, qu'il incombe de bâtir la puissance nationale, laquelle, maintenant, dépend de l'économie", déclare le général de Gaulle en 1945 pour justifier les futures nationalisations. Lesquelles répondent aussi à la volonté de sanctionner le patronat, compromis dans la Collaboration.

Mais si l'idée même d'une planification économique semble saugrenue à l'heure de la fragmentation extrême des chaînes de valeur, le Commissariat général du Plan (CGP) peut au moins renouer avec sa vocation ultérieure, celle de "ré-éclairer l'action publique d'une vision de long terme", selon l'objectif que lui a fixé le Premier ministre Jean Castex.

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Un "système fermé, piloté par des élites fermées"

A l'origine, la mission du CGP est de définir les priorités économiques et concentrer les moyens de l'État sur quelques secteurs clés. C'est lui qui valide les projets d'investissement des grandes entreprises publiques et qui juge si les demandes de subventions adressées à l'État sont conformes aux objectifs du plan.

Le principe de "ce colbertisme high-tech" dont les maîtres mots sont "autonomie technologique" et "indépendance stratégique" : "les laboratoires publics transféraient les résultats de leur recherche à des entreprises publiques (Thomson, Alcatel), lesquelles se voyaient garantir la commande publique dans le cadre de grands plans d'équipement du territoire", explique l'économiste Elie Cohen.

Un "système fermé, piloté par des élites fermées" (issues des corps des Mines, des Ponts ou de l'Inspection des finances) qui a donné Ariane, Airbus, le TGV, le Minitel, le Mirage ou le Rafale... et quelques ratés (Bull).

Mais "tout ça, c'était avant le marché unique et l'OMC (Organisation mondiale du Commerce). Avant la mondialisation", rappelle M. Cohen.

A partir des années 1960, le CGP devient un lieu de concertation avec les partenaires sociaux où l'on discute de la manière de partager au mieux les fruits de la croissance.

Une vocation qui s'étiole en même temps que la croissance, à compter du choc pétrolier de 1973. Son acte de décès est signé en 2005 et seule la dimension prospective subsiste dans ce qui prend le nom de France Stratégie.

2020, la fin du marché libre

La crise du Covid-19, en révélant l'impuissance de l'Etat, agit comme un électrochoc. "Nous sortons d'une période où le marché devait être totalement libre, et l'Etat le plus discret possible. Cette période est finie", commentait mercredi le ministre de l'Economie Bruno Le Maire, en présentant à la presse les grandes lignes du plan de relance.

Si l'Etat retrouve un rôle de premier plan, c'est Bercy qui est à la manœuvre. Ainsi, le CGP renaît de ses cendres le jour-même où est annoncé, relève Elie Cohen, "un plan de 100 milliards d'investissement à l'horizon 2030, dont la responsabilité politique et opérationnelle est confiée au ministre de l'Economie, des Finances et de la Relance, et qui dispose de la meilleure administration française, à savoir l'administration des Finances".

Dans cette perspective, "que voulez-vous que M. Bayrou fasse avec les quelques équipes sympathiques de prospectivistes qui sont réunies du côté de la rue de Martignac?".

Jusqu'à 3.000 personnes travaillaient au Plan

Henri Guaino, qui fut Commissaire au plan entre 1995 et 1998, se satisferait pour sa part que ce qui est devenu une simple "cellule d'expertise" redevienne un "creuset", un lieu où les "forces vives" de la nation, syndicats, chercheurs, fonctionnaires, politiques, se retrouvent pour "donner une vision d'ensemble et dans le temps".

Nostalgique d'une institution où "tout le monde venait, participait sans jeu de rôles", et qui fit travailler jusqu'à 3.000 personnes, l'ancien conseiller de Nicolas Sarkozy juge que "c'est tout de même mieux que les commissions de citoyens tirées au sort!".

M. Guaino y voit aussi une instance où repenser le rôle des entreprises françaises dans le cadre de l'Etat-nation. "Parce qu'à la fin, le critère c'est: est-ce que ça accroît la prospérité de ce machin qu'on appelle la France?".

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