Fraude fiscale : les députés veulent ouvrir le "verrou de Bercy"

Par latribune.fr  |   |  701  mots
Emilie Cariou, députée LREM, rapporteure de la mission d'information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales, et Eric Diard, député LR, président de la mission, lors de la présentation à la presse du rapport. (Crédits : DR)
Le rapport de la mission parlementaire va plus loin que le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, qui est contre la suppression du monopole réservé à Bercy dans les poursuites pour infractions fiscales. La rapporteure Emilie Cariou (LREM) propose de moderniser le système en redonnant à la justice l’appréciation de l’opportunité des poursuites.

"Un changement systémique" : c'est ainsi que la rapporteure de la mission d'information parlementaire sur les procédures de poursuite des infractions fiscales, Emilie Cariou, résume la proposition de réforme du "verrou de Bercy". La députée LREM de la Meuse, elle-même ancienne de Bercy, a expliqué mercredi la nécessité de moderniser ce système, instauré en 1920, qui donne à l'administration fiscale le monopole des poursuites pénales en cas de fraude, modernisation qui passerait par l'instauration d'une "coopération" entre le fisc et le parquet.

Ce dispositif [du verrou de Bercy] "heurte le sentiment selon lequel la fraude fiscale constitue un problème pour toute la société, et non pour la seule administration", fait valoir le rapport de cette mission, présidée par le député Eric Diard (LR). "Conserver le système actuel dans lequel seule l'administration fiscale a la main sur les poursuites pénales ne paraît pas souhaitable. A l'inverse, la justice ne peut instruire seule des dossiers d'une grande technicité en matière de droit fiscal", ajoute toutefois le rapport.

Obligation de transmettre au procureur

La mission prône la mise en place d'un "système de coopération" associant les "pôles pénaux régionaux de l'administration fiscale" et les "parquets compétents". Ainsi, l'administration fiscale aurait "l'obligation de présenter au procureur localement compétent l'ensemble des dossiers issus d'un contrôle fiscal achevé" selon des critères qui seraient définis par la loi, sur la base d'un "examen au moins trimestriel des dossiers". Cette solution "aurait l'avantage de ne rien coûter", a expliqué à l'AFP Emilie Cariou, rapporteure de la mission d'information. En outre, elle permettrait d'instaurer "un dialogue récurent et institutionnalisé" entre le fisc et la justice, ajoute-t-elle.

Les critères envisagés de transmission systématique des dossiers  sont :

  • le montant élevé de la fraude (plus de 100 000 euros),
  • les cas d'enrichissement personnel (comptes occultes...),
  • les circonstances aggravantes (élus, professions exposées),
  • les cas de récidive.

Des sénateurs socialistes avaient présenté le 16 mai une proposition de loi prévoyant explicitement la suppression du "verrou de Bercy", mais la proposition avait été rejetée le même jour par le Sénat (par 227 voix contre et 116 voix pour).

Le ministre de l'Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, s'est dit, lui, opposé à la "suppression pure et simple" du verrou de Bercy, tout en assurant vouloir "donner les clés" du verrou au Parlement.

Des préconisations qui "vont dans le bon sens", selon l'ONG Oxfam

Cependant, le rapport de la mission parlementaire a écarté cette proposition du ministre de faire entrer des parlementaires au sein de la Commission des infractions fiscales (CIF), qui décide la transmission ou non des dossiers à la justice. Pour rappel, le fisc effectue de l'ordre de 50.000 contrôles par an. La CIF statue chaque année sur un millier de dossiers de fraude fiscale (sur environ 4.000 dossiers excédant le seuil des 100.000 euros) et saisit la justice dans près de 95% des cas.

Ces préconisations "vont dans le bon sens", s'est réjouie dans un communiqué l'ONG Oxfam, appelant les parlementaires à "se mobiliser" contre le verrou de Bercy en adoptant "des amendements ambitieux" dans le cadre des débats sur le projet de loi contre la fraude fiscale, examiné au Sénat avant l'été, puis débattu à l'Assemblée nationale en septembre.

Agacement de Gérald Darmanin

Pas sûr cependant que les propositions de la mission d'information -adoptées faut-il le souligner, à l'unanimité de ses membres, tous partis confondus- emportent l'adhésion du gouvernement, qui s'est dit ces dernières semaines favorable à des aménagements, mais sans remise en cause de la prérogative accordée à l'administration.

"C'est à l'État de décider s'il souhaite ou pas porter plainte, parce que cela dépend de la gravité de la situation. Si on multiplie les plaintes, on mettrait du temps à récupérer l'impôt", a répété mercredi matin Gérald Darmanin sur BFMTV et RMC.

(Avec AFP)

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> Lire aussi : Verrou de Bercy : le patron du fisc, Bruno Parent, récuse les critiques des magistrats (sur LCP.fr, le 14.02.208)