Carburants : Matignon ordonne des réquisitions dans les dépôts Esso, la grève s'étend chez TotalEnergies

Par latribune.fr  |   |  1617  mots
C'est la double peine pour les automobilistes : non seulement il est très difficile de trouver du carburant mais, de plus, les prix repartent à la hausse avant même la suppression annoncée d'une partie de la remise accordée par TotalEnergies et le gouvernement début novembre. (Crédits : Reuters)
Sous le feu des critiques alors qu'un tiers des stations-service sont affectées par des pénuries de carburants, Elisabeth Borne a annoncé mardi la réquisition des personnels pour débloquer les dépôts de carburants d'Esso-Exxonmobil. Pour autant, la grève se poursuit. La cheffe du gouvernement a exhorté la direction et syndicats de TotalEnergies à engager des négociations salariales. Malgré tout, la grève s'étend. La raffinerie TotalEnergies de Donges est désormais touchée par le mouvement social. Plus tard dans la soirée, la direction a annoncé convier les syndicats représentatifs qui « ne participent pas au mouvement de grève » à une réunion de « concertations et d'échanges » mercredi après-midi.

Le gouvernement, qui avait réclamé un déblocage « sans délai » des dépôts de carburants, en menaçant d' « intervenir », commence à mettre sa menace à exécution. Pour tenter de débloquer la situation, alors que les grévistes ont reconduit le mouvement, tant chez TotalEnergies que chez Esso-ExxonMobil et que près d'un tiers des stations-service du pays font face à des pénuries de carburants, la première ministre Elisabeth Borne a annoncé mardi réquisitionner « des personnels indispensables au fonctionnement des dépôts » de carburants d'Esso-Exxonmobil.

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Ce groupe compte trois dépôts en France, à Toulouse, Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) et Notre-Dame-de-Gravenchon (Seine-Maritime). Les deux derniers se trouvent à proximité des deux raffineries françaises de l'entreprise, qui sont en grève.

« Le dialogue social c'est avancer, dès lors qu'une majorité s'est dégagée. Ce ne sont pas des accords a minima. Les annonces de la direction sont significatives. Dès lors, j'ai demandé aux préfets d'engager, comme le permet la loi, la procédure de réquisition des personnels indispensables au fonctionnement des dépôts de cette entreprise », a déclaré Elisabeth Borne lors des questions au gouvernement

Le gouvernement menace de faire de même pour « débloquer la situation » chez TotalEnergies

La cheffe du gouvernement a exhorté la direction et les syndicats de TotalEnergies à engager des négociations salariales, menaçant sinon de faire de même pour « débloquer la situation ». « Chez Total, les syndicats réformistes ont appelé à l'ouverture de négociations. La direction a répondu favorablement. J'espère que les autres syndicats représentatifs vont saisir cette main tendue, car le dialogue social est toujours plus fécond que le conflit », a affirmé Elisabeth Borne. « A défaut, le gouvernement agira, là encore, pour débloquer la situation », a-t-elle ajouté.

Malgré tout, les grèves se maintiennent. Du côté de TotalEnergies, le mouvement s'étend ce mardi soir à la raffinerie de Donges, dans l'ouest, selon un délégué syndical CGT.

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Plus tard dans la soirée, la direction a annoncé convier les syndicats représentatifs qui « ne participent pas au mouvement de grève » à une réunion de « concertations et d'échanges » mercredi après-midi.

« Si la CGT lève tous les blocages de sites avant demain midi, elle sera bienvenue à cette réunion de dialogue », précise le géant français de l'énergie dans un communiqué.

Dans la matinée, plusieurs membres du gouvernement avaient laisser entendre que l'exécutif pourrait procéder à des réquisitions pour débloquer la situation. Le porte-parole de l'exécutif, Olivier Véran, avait ainsi appelé sur RTL, à la levée « sans délai » des blocages des dépôts de carburants, en menaçant d'« intervenir » pour les débloquer. « Nous mettons tout en œuvre pour que cette situation s'arrête.». Sur RMC, le ministre des Transports Clément Beaune n'avait pas caché que le gouvernement envisageait de procéder à des réquisition des salariés grévistes : « Il n'y a pas de tabou, toutes les options sont sur la table ».

Mardi matin, la CGT et FO d'Esso-ExxonMobil ont décidé de reconduire la grève qui touche les deux raffineries françaises. Pourtant, un accord majoritaire a été signé sur les salaires par d'autres syndicats, que la CGT et FO ont choisi de rejeter. « Le mouvement a été reconduit ce matin à 6 heures, parce que ça ne correspond pas aux revendications des salariés grévistes qui demandent du pouvoir d'achat », a déclaré le délégué syndical central CGT Christophe Aubert, selon qui l'amélioration de la proposition formulée par la direction consiste essentiellement en une prime.

Du côté de TotalEnergies, les grévistes ont également annoncé la reconduction du mouvement de grève pour les salaires à l'appel de la CGT, en dépit de la pression croissante du gouvernement, a indiqué à l'AFP Eric Sellini, coordinateur CGT pour le groupe. « Ce matin, les salariés ont revoté à une large majorité pour la poursuite de la grève, on est toujours en attente de précisions en matière de négociations par la direction », a-t-il expliqué.

Des avertissements

Lundi, une réunion d'urgence, convoquée par la Première ministre, s'est tenue à Matignon. Elisabeth Borne a rassemblé les ministres concernés par les difficultés d'approvisionnement en carburant, à savoir ceux de l'Intérieur, Gérald Darmanin, de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, et des Transports, Clément Beaune, ainsi qu'Olivier Véran. « Le gouvernement ne peut laisser le pays être bloqué », a commenté à l'issue l'entourage de la cheffe du gouvernement : « Il continuera de prendre les mesures facilitant l'approvisionnement des stations comme il le fait depuis plusieurs jours », mais « chacun doit prendre ses responsabilités. Le gouvernement prendra les siennes ». Et d'insister: « Un désaccord salarial ne justifie pas de bloquer le pays. Refuser de discuter, c'est faire des Français les victimes d'une absence de dialogue. » Emmanuel Macron a lui-même appelé lundi les directions des groupes pétroliers et les syndicats à « la responsabilité ».

Lundi, la grève avait déjà été reconduite jusqu'à ce mardi malgré les propositions tant du côté des syndicats que de la direction de TotalEnergies. Dans une lettre ouverte au PDG Patrick Pouyanné, la CGT avait accepté de mettre de côté ses revendications en matière d'embauches et d'investissements pour ouvrir des négociations uniquement portées sur les salaires. Ce à quoi le groupe avait répondu en proposant d'avancer à octobre ses négociations annuelles sur les salaires, à condition que les bocages prennent fin dans les raffineries et dépôts de carburants. Une offre refusée par la CGT qui a voté la poursuite du mouvement.

« 2,27 euros le litre de gazole »

Au-delà du manque de carburant, les stations-service ouvertes ont sensiblement augmenté leur prix, au grand dam des clients comme Daniel qui a sillonné le Val d'Oise avant de trouver du carburant à la station BP de Deuil-la-Barre : « 2,27 euros le litre de gazole : je n'ai jamais fait autant de queue, et je n'ai jamais été aussi heureux de me faire entuber », a-t-il confié à l'AFP.

La peur du manque nourrit la pénurie : « Avant, on s'en fichait, maintenant, dès qu'il nous manque 12 litres, on fait le plein », explique Thierry, Parisien de 50 ans. « Je le redis aux Français: ne faites pas de stocks de précaution car cela aggrave la situation », a martelé Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique, déplorant une « surconsommation » dans les stations-service. Depuis lundi soir, des arrêtés préfectoraux dans le Var, le Vaucluse et les Alpes-de-Haute-Provence ont limité la vente de carburant aux particuliers à 30 litres.

La direction de TotalEnergies pourrait s'ouvrir au dialogue

Selon un participant à la réunion à Matignon lundi soir, le scénario privilégié par le gouvernement était que les négociations engagées chez Esso-ExxonMobil incitent TotalEnergies à aller à son tour vers des discussions, en saisissant la perche tendue par les appels syndicaux à négocier. Les blocages pourraient dès lors cesser.

En attendant une embellie, le gouvernement a débloqué des stocks stratégiques de carburant, et TotalEnergies importe des carburants pour compenser l'arrêt de deux de ses trois raffineries. Ces mesures, selon le gouvernement, « ont permis d'augmenter les livraisons dans les zones en grande difficulté  : +50% en Ile-de-France, +35% en Hauts de France ».

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La CGT promet une aide financière aux grévistes

Lundi, la CGT a aussi mis la pression sur la Première ministre « pour que s'ouvrent immédiatement, dans les raffineries comme dans toutes les branches » des négociations. Le secrétaire national de la CGT, Philippe Martinez, avait appelé Elisabeth Borne vendredi, « pour lui proposer une sortie de crise en négociant dans la branche ».

Il n'a pas eu « de nouvelles depuis » et a promis aux grévistes une aide financière via son « fonds de solidarité aux luttes ». Et la CGT de souligner que « la grève n'est jamais décidée par plaisir mais reste le seul outil à disposition des salariés quand le patronat refuse toute négociation » ; et qu'il est « inacceptable que des élus et autres personnalités remettent en cause ce droit constitutionnel, en appelant à briser la grève par le pourrissement et y compris par le recours à la force ».

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ZOOM - La CGT ne participera pas à la « grande marche contre la vie chère et l'inaction climatique »

La CGT ne participera pas à la « grande marche contre la vie chère et l'inaction climatique », le dimanche 16 octobre, initiée par LFI, le PS, EELV, et d'autres organisations. « Nous avons décidé de ne pas y participer », a déclaré Philippe Martinez, secrétaire national, sur LCI. « Nous voulons des mots d'ordre clairs », a-t-il fait valoir en référence à ceux mis en avant pour la mobilisation du 16 octobre. « Il faut des mots d'ordre plus offensifs. Nous, nous parlons d'augmentation des salaires ».

Le leader cégétiste avait, à plusieurs reprises, affiché ses réserves sur une telle initiative alors que la centrale syndicale a notamment prévu depuis l'été une journée de grève interprofessionnelle, le 29 septembre. La France insoumise, le PS, EELV et d'autres organisations de gauche ont appelé à une « grande marche contre la vie chère et l'inaction climatique » après d'intenses tractations qui n'ont pas emmené la plupart des syndicats et les communistes.

(Avec AFP)