Raffineries en grève : trois questions sur ces stocks stratégiques de pétrole dans lesquels puise la France

Alors que le nombre de stations-service qui manquent de carburant augmente en France, le gouvernement opte, lui, pour un discours rassurant, à l'instar de la Première ministre Élisabeth Borne qui a assuré que « la situation va s'améliorer tout au long de la semaine ». La cheffe du gouvernement compte pour cela sur les réserves stratégiques constituées par le pays afin de pallier d'éventuelles pénuries. Pourquoi ces stocks ? Combien de temps la France peut-elle tenir ? Sont-ils suffisants ? Explications.
Coline Vazquez
Depuis une dizaine de jours, des mouvements de grève dans les raffineries rendent difficile l'approvisionnement en carburant. Ici, à Toulouse, le samedi 8 octobre, une station-service de TotalEnergies prise d'assaut.
Depuis une dizaine de jours, des mouvements de grève dans les raffineries rendent difficile l'approvisionnement en carburant. Ici, à Toulouse, le samedi 8 octobre, une station-service de TotalEnergies prise d'assaut. (Crédits : Reuters)

« La situation va s'améliorer tout au long de la semaine », a assuré, dimanche, Elisabeth Borne. Alors qu'un mouvement de grève paralyse une partie des raffineries françaises et dépôts de carburants depuis une dizaine de jours, générant des ruptures d'approvisionnement, le discours de l'exécutif se veut rassurant. Et pour cause, il sait que le pays peut compter sur une manne de carburant permettant de pallier les pénuries. La France dispose, en effet, de stocks stratégiques dans lesquels elle a d'ores et déjà commencé à puiser.

« Nous avons libéré des stocks stratégiques » de carburants « pour alimenter les stations-service » et « ces livraisons arrivent progressivement », a ainsi expliqué la Première ministre devant quelques journalistes, en marge d'un déplacement en Algérie. Pourquoi ces stocks ? Combien de temps la France peut-elle tenir ? Sont-ils suffisants ? La Tribune fait le point.

Qu'est-ce que ces stocks stratégiques ?

Dès le XXe siècle, la France prend conscience de la nécessité de détenir des réserves de pétrole en cas d'une baisse drastique des importations ou d'une flambée des prix. Au sortir de la Première Guerre mondiale, elle s'impose déjà de maintenir des stocks suffisants. La loi du 30 mars 1928, relative au régime d'importation de pétrole, rend ensuite obligatoire la constitution « d'un niveau minimum de stocks de produits pétroliers destiné à surmonter les situations de crise internationale affectant les approvisionnements », explique sur son site la Société anonyme de gestion des stocks de sécurité pétroliers (SAGESS). Elle est créée en 1988, à l'initiative des opérateurs pétroliers, avec « pour objet de constituer et conserver » ces stocks « permettant ainsi à ses actionnaires de déléguer leur obligation » et est donc indépendante de l'Etat. Mais pour garder la main, ce dernier instaure, en 1992, un Comité professionnel des stocks stratégiques pétroliers (CPSSP) qui regroupe des acteurs privés et publics pour définir la politique des stocks stratégiques et auquel doit se soumettre la SAGESS, relate la Revue stratégique. L'objectif est que la France puisse « répondre aux difficultés d'approvisionnement local ou national entraînant ou risquant d'entraîner une pénurie de produits pétroliers », indique la SAGESS. Ce fut notamment le cas en 2016, quand le gouvernement français a débloqué l'équivalent de trois jours de réserve pour répondre aux pénuries de carburant provoquées par un blocage des raffineries.

La constitution de stocks, outre la nécessité de faire face à des situations de pénuries en France, répond également à un impératif international. En 1992, la France a adhéré à l'Agence internationale de l'énergie (AIE) fondée en 1974, après le premier choc pétrolier. Celle-ci impose à chacun de ses membres « de détenir en permanence un stock d'hydrocarbures de réserve ».

À deux reprises, en cette année 2022, les pays membres de l'AIE ont, en effet, puisé dans leurs stocks pour libérer des barils de pétrole afin de calmer les prix et remplacer le brut russe. En mars, 62,7 millions de barils ont été mis sur le marché, dont 30 millions fournis par les Etats-Unis, et, en avril, 240 millions de barils, mobilisés par 19 pays. Pour mémoire, ce fut également le cas en 1991 lors de la guerre du Golfe, en 2005 à la suite de l'ouragan Katrina, ou encore en 2011, au moment de la crise libyenne.

Lire aussiPuiser 240 millions de barils dans les stocks : la stratégie à court-terme de l'AIE pour remplacer le pétrole russe

Combien de temps permettent-ils à la France de tenir ?

L'engagement pris par la France auprès de l'AIE lui impose de disposer en permanence de plus de 90 jours d'importations nettes de pétrole brut et de produits pétroliers, ce qui correspond à environ 30% de la consommation de l'année précédente.

Au total, la France dispose d'une centaines de sites de stockage dont 89 sont gérés par la SAGESS. Parmi eux : 80 dépôts commerciaux, 8 raffineries et 1 site de cavités salines souterraines situé à Manosque dans les Alpes-de-Haute-Provence.

Le ministère de la Transition écologique déplore toutefois que « la répartition des capacités de stockage sur le territoire métropolitain ne soit pas homogène ».

Dans le détail, les régions Normandie et Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) représentent à elles seules 48% des capacités de stockage nationales. Celles de Nouvelle-Aquitaine, du Limousin, de Poitou-Charentes et des Hauts-de-France comptent 18% de ces capacités « en raison de la présence d'importants dépôts d'importation »À l'inverse, l'Île-de-France et la région Auvergne-Rhône-Alpes représentent respectivement 8,6% et 6,4%. « Enfin, les 7 autres régions représentent seulement 18,4% des capacités de stockage en métropole », note le ministère.

Est-ce suffisant ?

Le ministre de la Transition écologique s'est voulu rassurant, affirmant que « la France dispose de 90 jours de consommation en stocks stratégiques sur tout son territoire et (que) les perspectives d'approvisionnement pour les semaines et mois à venir permettent d'écarter tout risque de pénurie durable ».

Elisabeth Borne s'est, elle, félicitée des mesures prises qui « ont permis d'augmenter les livraisons de 20% par rapport aux flux habituels », disant suivre l'évolution « de très près ».

En parallèle d'une libération d'une partie de ses stocks stratégiques, la France peut en effet également accroître ses importations de pétrole. « Malgré le mouvement social à la plateforme de Normandie (...) il n'y a pas de manque de carburants, car TotalEnergies a constitué des stocks et procède actuellement à des imports réguliers », avait, ainsi, déclaré un porte-parole de TotalEnergies à l'AFP, lundi dernier. « Depuis le début de la grève, chaque raffinerie a opéré une accélération de ses importations de carburant », a confirmé Olivier Gantois, président de l'Ufip, le syndicat professionnel des pétroliers. Ce qui n'a présenté aucune difficulté, a-t-il expliqué à La Tribune, car « la France a déjà un flux d'importations régulier notamment en gasoil. On a donc pu rapidement augmenter les cargaisons ».

Mais si le gouvernement et certains acteurs du secteur se montrent confiants, plusieurs fédérations de professionnels ont alerté sur leurs difficultés à s'approvisionner. C'est notamment le cas de la Fédération française du bâtiment (FFB) qui déplore, ce lundi, dans un communiqué que « le blocage de plusieurs raffineries et de dépôts de carburant pénalise progressivement l'activité des entreprises du bâtiment", pointant le « risque de conduire à de véritables impossibilités de livrer sur chantier, voire d'aboutir à la fermeture pure et simple de certains d'entre eux ». Elle « demande donc au gouvernement de prendre de toute urgence les mesures nécessaires pour rétablir la distribution normale des carburants et, notamment, la possibilité d'utiliser le gasoil non routier ». De même, la Confédération des PME (CPME) s'est adressée aux pouvoirs publics afin qu'ils prennent des mesures « y compris juridiques, telles que des réquisitions » pour assurer le fonctionnement des raffineries en grève et l'approvisionnement des stations-service en carburant. Selon la CPME, « les difficultés d'approvisionnement commencent à peser sur l'activité économique » particulièrement dans le nord de la France et en Ile-de-France.

(avec AFP)

Coline Vazquez
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