
Interviewé sur le plateau de France info, ce mardi matin, Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie avait la tête des mauvais jours. la veille, il n'était pas convié à la réunion d'urgence sur la grève dans les raffineries, organisée par Elisabeth Borne, la Première ministre. Officiellement, les questions d'énergie ne font plus partie du périmètre du ministère de l'Economie... Elles concernent la transition énergétique, et impliquent donc Agnès Pannier-Runacher. Positive au Covid, cette dernière est toutefois obligée de gérer le conflit à distance.
Mais si Bruno Le Maire était agacé, c'est aussi parce que quelques minutes avant son intervention chez nos confrères, son collègue, Clément Beaune, ministre des Transports, a avancé l'idée, sur RMC, de demander à TotalEnergies de prolonger la ristourne à la pompe appliquée par le géant pétrolier. Sans même en informer Bercy. Mise en place le 1er septembre, la remise de 20 centimes d'euros par litre appliquée par TotalEnergies doit être réduite à 10 centimes à partir du 1er novembre. Alors qu'une grande partie des stations-service du géant pétrolier français sont à sec, et que les automobilistes ne peuvent pas bénéficier de ce geste actuellement, Clément Beaune propose donc de prolonger d'autant la ristourne sur le mois de novembre.
Mais le message est confus, et il n'y a qu'un pas pour que cette requête ne se transforme en coup de pression sur le groupe du CAC 40. Enfin, de son côté, sur RTL, Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement, a apporté sa voix à la confusion en appelant à lever les blocages « sans délai » tout en menaçant de procéder des réquisitions.
Le gouvernement dans l'impasse
Ces prises de parole gouvernementales concomitantes, disparates et sans concertation montrent la fragilité de l'exécutif. Il est clairement sur la défensive. Ses appels au dialogue pour que les deux parties - CGT et groupes pétroliers- trouvent une voie de sortie restent lettre morte.
Même le chef de l'Etat, en déplacement en Mayenne ce lundi, a demandé à chacun de faire preuve de responsabilité. Sans succès.... La grève dans les raffineries se poursuit depuis une quinzaine de jours sous ses yeux. Et sans qu'il ne réussisse à calmer le jeu.
En première ligne, le gouvernement a débloqué des stocks stratégiques, donné des autorisations de circulation le week-end à des camions-citernes pour qu'ils puissent approvisionner les stations. Mais, la mobilisation n'a cessé de se durcir et l'exaspération des Français de monter, fatigués et en colère de ne plus pouvoir remplir leurs réservoirs d'essence pour se déplacer et travailler. Et pour cause : près de 3 actifs sur 4 dépendent de sa voiture pour exercer son activité professionnelle. Les milieux économiques s'impatientent, la fédération du bâtiment craint de devoir arrêter des chantiers, les artisans se plaignent...
« Entre la CGT qui montre les muscles et Patrick Pouyanné qui fait comme il l'entend, que voulez-vous que nous fassions ? », laisse glisser, en coulisses, amer, un conseiller ministériel
Patrick Pouyanné a la puissance d'un ministre de l'énergie
TotalEnergies est en effet une entreprise privée, qui a la liberté de négocier ou non, comme elle l'entend avec ses syndicats. Le géant pétrolier a d'ailleurs toujours mis un point d'honneur à ne pas dépendre des aides du gouvernement français - y compris pendant la crise Covid-, et à ce qu'à aucun moment, l'Etat ne rentre dans son capital. Il est de notoriété publique que les relations entre Patrick Pouyanné et l'exécutif ne sont pas au beau fixe.
TotalEnergies ne veut pas céder à la pression des blocages. Le fleuron tricolore estime avoir déjà fait beaucoup en avançant les négociations salariales obligatoires de 2023 - qui auraient dû se tenir en janvier- dès cette fin d'année. D'autant plus qu'elle a déjà octroyé en début d'année 3,5 % d'augmentation.
Seul hic pour l'exécutif : son activité est loin d'être anodine. TotalEnergies exerce une forme de monopole en matière de distribution de carburant. Il détient près d'un tiers des stations-service en nom propre et approvisionne une bonne partie des autres marques. La France le vit en ce moment à ses dépens : une grève dans ses équipements occasionne d'importantes difficultés et paralyse une partie du pays. Sans compter qu'en pleine guerre avec l'Ukraine, TotalEnergies est aux avant-postes dans l'approvisionnement de gaz et d'hydrocarbures. L'exécutif ne peut totalement se brouiller avec ce géant pétrolier.
La CGT, une occasion inespérée de montrer sa résilience
Du côté de la CGT, le syndicat centenaire ne boude pas son plaisir de montrer qu'il a encore une capacité de blocage importante. "On nous présente toujours comme moribond jusqu'à ce que l'on se rende compte, au moment d'un conflit, que non, finalement, la CGT n'est pas morte et sert encore à défendre les intérêts des travailleurs", confie un dirigeant de la centrale de Montreuil. La question des salaires était en tête de ses revendications lors de son mouvement national du 29 septembre. Le syndicat aux 600.000 adhérents mise sur une possible contagion à d'autres secteurs comme le nucléaire, les services publics etc. Alors que le gouvernement évoque une réforme des retraites en début d'année, ce conflit prend des allures d'avertissement.
Pour l'heure, le chef de file de la CGT reste toutefois assez discret. En voyage en Palestine jusqu'à samedi prochain, Philippe Martinez a cependant eu des échanges ces derniers jours avec Elisabeth Borne et Agnès Pannier Runacher. Alors que le conflit se durcit, il pourrait rentrer plus rapidement en France. Et jouer la carte médiatique.
Quelle sortie de crise ?
Entendant, totalement impuissant, le gouvernement promet chaque jour aux automobilistes une amélioration de la situation. Il vient même de lancer la réquisition des personnels des dépôts de carburant d'Esso-ExxonMobil. Une mesure qui va mettre de l'huile sur le feu. Devant une telle hypothèse, « ce serait la guerre », faisait en effet valoir ce matin la fédération CGT du pétrole et de la Chimie. En 2010, en plein conflit autour de la réforme des retraites, Nicolas Sarkozy avait procédé à des réquisitions. La France avait été pointée du doigt par l'organisation internationale du Travail. De quoi faire encore monter la pression encore d'un cran...
A agiter ce chiffon rouge, le gouvernement prend toutefois un risque important. Réquisitionner nécessite une autorisation préfectorale, et ne peut se faire que sous certaines conditions. Sans compter qu'il n'est pas facile de relancer des équipements aussi lourds que des raffineries, prévient la CGT. Les grévistes menacent aussi de se mettre en arrêt maladie.
Surtout en termes de communication, la réquisition peut apparaît comme un aveu de faiblesse de l'exécutif, obligé d'en recourir à la force. A un moment où la majorité s'apprête à dégainer le 49.3 sur le budget en fin de semaine, des images pourraient être délétères. Et donner encore du grain à moudre à Jean-Luc Mélenchon et à LFI qui organisent leur grande marche pour le pouvoir d'achat ce dimanche.
C'est dans ce contexte de blocage et de grogne sociale, qu'Emmanuel Macron a prévu de prendre la parole ce mercredi. A l'origine, l'intervention télévisée était consacrée à la situation internationale et la guerre en Ukraine à lever les blocages « sans délai ». Et de menacer : « si ce n'était pas le cas, nous prendrons nos responsabilités ».