Immigration : les mauvais "coûts" du Front national

Par Grégoire Normand  |   |  1105  mots
Le Front national avance ces chiffres sur le coût de l'immigration pour justifier ses positions sur "la préférence nationale" pour les droits sociaux.
Le sénateur FN des Bouches-du-Rhône Stéphane Ravier indique que le coût annuel de l'immigration est de 70 milliards d'euros. Ce chiffre déjà relayé par Marine Le Pen paraît très exagéré au regard des sources utilisées par les membres du Front national pour citer cette évaluation.

Invité de l'émission Questions politiques organisée par Franceinfo, France Inter et Le Monde ce dimanche 2 avril, le sénateur des Bouches-du-Rhône et maire FN du 7ème arrondissement de Marseille Stéphane Ravier a évoqué des chiffres controversés sur le coût de l'immigration en France. L'élu a abordé ce thème pour expliquer que le FN s'il arrivait au pouvoir pouvait réaliser des économies sur l'immigration "en réservant les avantages sociaux pour les nationaux" afin de financer un retour à la retraite à 60 ans. Le coût de l'immigration, un thème cher au Front national est régulièrement abordé dans les éléments de langage des élus frontistes mais la source de ce chiffre est sujette à caution.

"- Je rappelle qu'il y a une politique d'immigration massive qui coûte aux Français environ 70 milliards d'euros par an et nous avons estimé qu'on pouvait économiser une quinzaine de milliards d'euros sur la première année", a dit Stéphane Ravier.

Ces propos ont d'ailleurs été repris sur son compte Twitter et il l'a déjà mentionné lors d'un débat au Sénat comme l'indique le compte-rendu officiel des échanges publié en 2015.

En 2013, la présidente du Front national Marine Le Pen avait également cité ce coût sur l'antenne de LCI et pour son programme lors de l'élection présidentielle de 2012.

"L'immigration nous coûte une fortune, au bas mot 70 milliards d'euros par an."

D'où viennent ces 70 milliards d'euros ?

L'origine du chiffre souvent cité par les élus frontistes sème le doute sur la crédibilité de sa construction et de son calcul. Dans une interview accordée à la revue Monde et Vie en 2011, le démographe et économiste Yves Marie Laulan affirme que "l'immigration coûte à la France 70 milliards d'euros". Pour parvenir à ce chiffre, le président de l'institut de géopolitique des populations (qui décrit sur son site  "une immigration largement composée d'inactifs et d'assistés sociaux") explique que :

"En utilisant toutes sortes de documents, non seulement tirés du budget de l'Etat et celui de la sécurité sociale mais émanant aussi des directions ministérielles : Education nationale, Intérieur, nous avons essayé d'identifier les coûts liés à l'immigration, fonction par fonction et au bout de ce travail de Romains, nous sommes arrivés au chiffre de 35 milliards d'euros, qui augmente au minimum de 10% chaque année ; mais en réalité, les experts qui ont travaillé à cette étude pensent qu'il faut le doubler et que le véritable coût de l'immigration pour la France- entre l'école, les transports, le logement, la sécurité sociale-atteint 70 à 80 milliards d'euros."

La construction de ce chiffre paraît donc fragile au regard des explications avancées par Yves-Marie Laulan. En réalité, la première estimation proviendrait d'un essai réalisé entre autres par Gérard Lafay, professeur à Paris 2 et soutien de Marine Le Pen à la présidentielle et Jacques Bichot, économiste et professeur émérite de l'université Lyon III auteur d'un rapport très controversé sur le coût du crime et de la délinquance. Ce livre intitulé "Immigration/Intégration : Un essai d'évaluation des coûts économiques et financiers" et publié en 2005 a servi de base aux différents chiffres régulièrement cités par les élus frontistes.

Lors d'un colloque organisé sur le même thème en novembre 2005, les auteurs ont ainsi expliqué que pour arriver à "un chiffre annuel, évidemment approximatif, d'environ 36 milliards d'euros", ils font la somme "des 24 milliards pour l'immigration et 12 milliards pour l'intégration. Ajoutant que "le second chiffre est peut-être quelque peu en dessous de la vérité. Mais passons. Retenons pour l'instant ce chiffre fatidique de 36 milliards d'euros par an." Les estimations s'avèrent donc très discutables mais pour justifier le fait que ces chiffres ne soient pas repris par le gouvernement, M. Laulan explique que l'exécutif "ignore volontairement nos travaux parce qu'ils ne veulent pas que les Français sachent la vérité. Il laisse donc volontairement les idéologues de l'Insee et de l'Ined (ndlr : Institut national d'études démographiques) les tromper".

L'estimation complexe du coût de l'immigration

Il existe assez peu de travaux universitaires en France sur le coût de l'immigration pour les finances publiques. Des chercheurs dans le monde ont travaillé sur cette question mais "aucun n'a réussi à trancher le débat du rapport 'coût-bénéfice' des migrations" rapporte Le Monde.

Quelques travaux universitaires comme celui du professeur d'économie Xavier Chojnicki  et son équipe réalisé pour le compte du ministère de la Santé en 2010 sont souvent cités mais ils ne font pas toujours consensus. Dans une interview au magazine l'Expansion, Xavier Chojnicki rappelait néanmoins que "quelle que soit l'année retenue, l'impact financier de l'immigration est toujours relativement neutre. Parfois un peu positif, parfois un peu négatif, mais toujours autour de l'équilibre".

Dans un article publié en 2008 dans la revue d'Economie française d'Economie, le chercheur Olivier Monsot membre du centre de la Recherche en Économie et Statistique rappelle avec précaution :

"Il semble raisonnable de penser que la contribution de l'immigration aux finances publiques, qu'elle soit positive ou négative, reste de second ordre."

Par ailleurs, dans une étude sur l'impact fiscal de l'immigration dans les pays de l'OCDE, les spécialistes rappellent toutes les difficultés et paramètres à prendre en compte pour aboutir à une évaluation fiable :

"L'impact fiscal de l'immigration ne peut se résumer à un chiffre unique et indiscutable : la mesure de cet impact dépend d'un certain nombre d'hypothèses, de la mesure dans laquelle on impute aux immigrés les coûts supportés par les finances publiques (infrastructures et administration publique, par exemple) et des taxes qui ne portent ni sur les individus, ni sur les ménages (comme l'impôt sur les sociétés). De leur prise en compte ou de leur exclusion dépend souvent le signe (positif ou négatif) de l'impact."

La volonté des chercheurs à rester prudents sur les méthodes et les chiffres avancés illustrent toutes les difficultés qui accompagnent ce sujet. L'impact de l'immigration sur les finances publiques peut être positif ou négatif en fonction du périmètre choisi des contributions et des dépenses. Il est donc très complexe de trancher cette question contrairement à ce que pourraient laisser penser les élus du Front national.