Immobilier : faut-il imposer les loyers fictifs  ?

Par Mathias Thépot  |   |  848  mots
La taxation accrue des propriétaires de leur résidence principale est un vieux serpent de mer, très impopulaire, dans l’immobilier. (Crédits : CC0 Public Domain)
Une étude de l'OFCE remet au goût du jour la taxation des loyers fictifs pour les propriétaires de leur résidence principale. Une solution pour compenser les pertes de recettes en cas de suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF).

Taxer les propriétaires de leur résidence principale d'un loyer fictif ou implicite est un vieux serpent de mer dans l'immobilier. Régulièrement, le sujet refait surface sur Internet, créant un buzz qui ne repose souvent que sur du sable : aucun politique de gauche comme de droite ne se risquerait à émettre une idée aussi impopulaire. Il arrive cependant que des économistes, motivés par des arguments macroéconomiques, questionnent l'opportunité de faire payer des loyers implicites aux propriétaires, autrement dit les loyers qu'ils paieraient s'ils étaient locataire de leur logement. Une note du conseil d'analyse économique (CAE) allant dans ce sens avait notamment enflammé la toile il y a trois ans. Le CAE étant rattaché à Matignon, les spéculations allaient bon train sur les velléités « spoliatrices » des « honnêtes propriétaires » du gouvernement Ayrault. Mais en réalité, il n'en était rien.

La résidence principale, grande absente de la taxation du capital

Le sujet revient toutefois sur la table en cette fin d'année 2016 après la publication d'une note sur l'imposition du capital des hauts revenus de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). La taxation des loyers fictifs pourrait notamment, selon l'OFCE, compenser en partie la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) promise par quasiment tous les candidats à la primaire de droite. Un impôt qui rapportait en 2014 5,2 milliards d'euros à l'Etat. Dans sa note, l'OFCE cible ainsi « le grand absent » de la taxation du capital : la résidence principale. « Les loyers implicites sont les grands absents de la fiscalité, surtout que s'y ajoute la non-taxation des plus-values sur le logement principal », estime l'OFCE. Jusqu'ici, les loyers implicites prennent concrètement la forme de la taxe foncière, soit un taux d'imposition économique de seulement 10 %.

L'immobilier existant phagocyte l'épargne des ménages

Par ailleurs, les plus-values sur la résidence principale ne sont pas imposables. Sur les transactions, les ménages ne supportent en fait que les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) à un taux de l'ordre d'environ 5 %. Grâce à ces avantages, l'achat d'une résidence principale est donc largement favorisé fiscalement. Trop pour certains, qui aimeraient que l'épargne des ménages finance davantage l'investissement dans les entreprises. En France, il faut avouer que l'immobilier existant phagocyte une grande part de l'épargne. Et si la taxation des loyers implicites serait, certes, une mesure brutale et impopulaire, elle aurait au moins pour vertu de changer en profondeur les stratégies financières des ménages.

Pour l'OFCE, il serait donc souhaitable d'introduire progressivement une taxation des loyers implicites en faisant payer aux propriétaires des prélèvements sociaux. D'autres proposent une taxe foncière renforcée basé sur des valeurs locatives révisées. Evidemment, une telle taxe devrait prendre en compte l'endettement éventuel du propriétaire occupant. Une contrepartie pourrait donc résider dans la déductibilité du loyer implicite les intérêts d'emprunt versés, « ce qui favoriserait les jeunes en phase de constitution d'un patrimoine au détriment des ménages âgés », prédisent les auteurs de la note de l'OFCE.

Inégalité de traitement entre les propriétaires et les locataires

Outre le traitement fiscal favorable par rapport aux autres supports d'épargne, l'exemption des loyers fictifs distord surtout le choix des ménages entre location et propriété. « Il n'est guère équitable que deux familles de mêmes revenus salariaux payent le même impôt si l'une a hérité d'un appartement tandis que l'autre doit payer un loyer : leur capacité contributive est très différente », fait remarquer l'OFCE. L'imposition des loyers implicites viserait donc aussi à réduire les inégalités de traitement fiscal entre les locataires et ceux qui bénéficient d'une rente immobilière. Car contrairement au propriétaire ayant hérité ou ayant remboursé son emprunt, le ménage locataire paie « l'avantage » en nature qu'il perçoit de son logement - le fait d'avoir un toit et d'en jouir quotidiennement.

Imposer les loyers fictifs pour faire baisser les prix de l'immobilier

Enfin, imposer des loyers fictifs pourrait avoir comme autre effet positif de faire baisser les prix de l'immobilier, aujourd'hui trop élevés par rapport aux revenus des ménages. En effet, l'une des principales motivations de l'achat immobilier aujourd'hui est ne plus avoir à payer de loyer à la retraite afin d'assurer ses vieux jours. Avec l'imposition des loyers fictifs, cette motivation serait fortement tempérée. La demande d'acquisition de résidences principales s'en verrait réduite, et les prix de l'immobilier pourraient baisser. Une manière aussi, de redonner indirectement ses lettres de noblesse à la location en France. Le statut de locataire étant souvent vécu comme une frustration par les ménages. Or, dans d'autres pays à la culture locative plus prononcée, les ménages se logent à des coûts plus faibles rapportés à leurs revenus. C'est notamment le cas en Allemagne où le faible appétit pour la propriété immobilière a participé à limiter la hausse des prix depuis la réunification.