Loi Travail : ce que le gouvernement va modifier

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1040  mots
le gouvernement va apporter des "corrections" au projet de loi El Khomri. Notamment, le plafonnement prévu des indemnités prud'homales devrait disparaître.
Suppression du plafonnement des indemnités prud'homales, retour en arrière sur le périmètre d'appréciation de la justification d'un licenciement économique, etc. Selon les informations de "La Tribune", le gouvernement s’apprête à apporter des corrections au projet El Khomri. Les arbitrages définitifs sont intervenus ce week end. Manuel Valls les présentera ce lundi 14 mars.

Il n'est pas certain que cela suffise à calmer les esprits les plus échauffés contre le projet de loi El Khomri réformant le droit du travail, mais les concessions que s'apprête à annoncer le gouvernement devraient suffire pour ne pas voir se constituer un front syndical uni contre le texte... Et c'est tout l'objet de la manœuvre.

Manuel Valls va lever une partie du voile sur les "avancées" apportées au projet tant contesté lundi 14 mars, lors d'une séance de "restitution" aux organisations syndicales et patronales des conclusions qu'il tire des différents entretiens bilatéraux qu'il a eus avec elles. Réunion suivie d'une conférence de presse du premier ministre.

D'après nos diverses informations, notamment de source gouvernementale, le Premier ministre, pressé en cela par François Hollande, devrait annoncer certaines "corrections" - pour reprendre le vocabulaire présidentiel -, parfois très symboliques, afin de désamorcer le mécontentement montant. Tour d'horizon.

Licenciement économique, retour en arrière

On assisterait à un retour à la case départ. Alors que l'avant-projet de loi El Khomri prévoyait que les difficultés économiques - baisse du chiffre d'affaires pendant au moins deux trimestres - et le besoin de maintenir la compétitivité pourraient à l'avenir se faire en appréciant la situation au niveau de la seule entreprise, ce ne serait finalement pas le cas. C'est au niveau du groupe, s'il y en a un, que cela continuera de se faire, y compris lorsqu'il existe des implantations en dehors du sol national.

En réalité, cette concession reste globalement très symbolique. En effet, l'essentiel des entreprises ne font pas partie d'un groupe. Et lorsqu'il y a des licenciements économiques dans une filiale d'un groupe, il porte généralement sur plus de dix salariés. Ce qui signifie que, dans ce cas, il y a l'obligation de prévoir un "plan de sauvegarde de l'emploi" (PSE), autrement dit, un plan social. Or, les procédures d'établissement des plans sociaux sont maintenant étroitement encadrées par la loi de juin 2013 sur l'emploi, elle même fortement inspirée de l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013. En vérité, le projet El Khomri vise essentiellement les "petits" licenciements économiques de moins de dix salariés. Ceux qui concernent essentiellement les TPE/PME... rarement intégrés dans un groupe. Aussi, la suppression de la référence "au niveau de l'entreprise" n'aura pas de réel impact.

Indemnités prud'homales, la fin du plafond

C'est "LE" point de crispation avec la CFDT qui était dans la rue samedi 12 mars... Alors, il devrait tout bonnement et subtilement disparaître. Rappelons que l'idée était, en cas de licenciement abusif constaté par un conseil de prud'hommes, de fixer un plafond (entre 2 mois et 15 mois de salaire selon l'ancienneté du salarié) aux dommages et intérêts que peut allouer au salarié la juridiction prud'homale. Selon une source gouvernementale, ce plafond devrait disparaitre au profit d'un mécanisme incitant à encourager la phase de conciliation entre l'employeur et le salarié qui a saisi la justice prud'homale. Depuis la loi de juin 2013, il existe en effet un barème fixant les dommages et intérêts qui peuvent être accordés à un salarié qui accepte un compromis devant le bureau de conciliation et d'orientation (BCO) du conseil de prud'hommes. Ce barème, toujours selon nos informations, pourrait être revalorisé (il varie entre 2 mois et 15 mois de salaire... après 25 ans d'ancienneté) pour le rendre nettement plus attractif et favoriser la conciliation au dépens du jugement.

Mais, s'il doit y avoir tout de même jugement, alors les deux parties, employeur et salarié, sous l'autorité du juge, seraient également fortement incité à utiliser "un référentiel indicatif " pour fixer le montant des dommages et intérêts...

Ce « référentiel indicatif » devra tenir compte de l'ancienneté, l'âge et la situation du demandeur par rapport à l'emploi mais aussi de la jurisprudence en la matière, des procès-verbaux de conciliation ainsi que des transactions homologuées. Ce mécanisme avait été acté par la loi Macron de l'été 2015 et un décret en Conseil d'État devait venir établir ce référentiel... On attend toujours. Bref, il y aura bien un référentiel... mais sans plafond... C'est quasi certain, mais c'était l'objet principal des arbitrages intervenus ce week end, comme le confirmait le "JDD", reprenant sur ce point les informations de "La Tribune".

Forfaits jours et mandatement syndical

A priori, il ne sera pas finalement possible dans une PME  de conclure directement une "convention de forfait jours" avec un salarié. L'avant projet de loi El Khomri prévoyait en effet qu'une telle conclusion serait possible, même en l'absence d'accord d'entreprise, jusqu'ici nécessaire pour appliquer le dispositif des forfaits jours. Finalement, les PME dans l'impossibilité de conclure un tel accord devront encourager le mandatement de l'un de leurs salariés par un syndicat pour pouvoir conclure des forfaits jours.

Enfin, d'autres points devraient connaître des évolutions. Ainsi, il ne serait finalement pas possible de faire travailler un apprenti mineur, sans l'autorisation préalable de l'inspecteur du travail. Le Compte personnel d'activité (CPA) pourrait inclure les éventuels compte épargne temps. Enfin, des garde-fous seraient apportés à l'inversion de la hiérarchie des normes. En d'autres termes, les accords d'entreprise ne pourraient pas, aussi facilement que cela était initialement envisagé, ne pas tenir compte d'éventuels accords de branche. Mais cela reste à préciser.

Des "corrections" certes mais sans non plus un recul généralisé. Une sorte de compromis entre les ministres partisans de la réforme à tout prix et ceux préférant la prudence et la concertation, quitte à avancer moins vite. Car "un choc entraine toujours un contre choc", explique l'un d'eux à La Tribune...

Ceci dit, les modifications apportées à ce texte, si elles se confirment, devraient permettre de maintenir les syndicats du camp réformiste (CFDT, CFTC, CFE-CGC et Unsa) en dehors de la mobilisation contre le texte. Et, à ce stade, c'est la première préoccupation du gouvernement déjà ennuyé de voir les organisations de jeunes dans la rue. On aura la réponse lundi 14 mars dans l'après midi.