Ingérence étrangère et désinformation : « La Russie est le principal ennemi » de la France, selon Gérald Darmanin

Par latribune.fr  |   |  1067  mots
« La première menace est une menace russe. Incontestablement », a déclaré Gérald Darmanin (photo d'illustration). (Crédits : © Sebastien SALOM-GOMIS/AFP)
« La Russie est le principal ennemi aujourd'hui » de la France « dans la guerre informationnelle, d'agressivité sur le territoire », a pointé Gérald Darmanin devant la commission des lois du Sénat. Le ministre de l'Intérieur est notamment revenu sur l'affaire des étoiles de David taguées sur des immeubles, à l'heure où la Russie multiplie les ingérences.

« La première menace est une menace russe. Incontestablement ». Gérald Darmanin a prononcé ces mots ce mardi devant la commission des lois du Sénat au sujet de la recrudescence des actes antisémites, évoquant des « ingérences étrangères ».

« La Russie est le principal ennemi aujourd'hui » de la France « dans la guerre informationnelle, d'agressivité sur le territoire », a ainsi fait valoir le ministre de l'Intérieur.

Gérald Darmanin est notamment revenu sur l'affaire des étoiles de David taguées sur des immeubles de la région parisienne et à Paris en octobre. Il explique que ces tags étaient le fruit de « proxy » (intermédiaires) russes, y voyant l'illustration de ce type d'ingérence.

« C'est une forme d'espionnage 2.0, 3.0 et qu'il nous faut combattre parce que je crois que le pire de ce genre, c'est ne pas connaître l'origine de ces attaques que nous subissons sur notre sol », a ajouté le ministre.

Pour rappel, des dizaines d'étoiles de David bleues apposées au pochoir avaient été découvertes sur des façades d'immeubles à Paris et en banlieue. Un couple de Moldaves avait été interpellé et le commanditaire présumé, un homme d'affaires moldave pro-russe, identifié. La semaine dernière, une source proche dossier avait affirmé à l'AFP que cette opération des étoiles de David taguées avait été pilotée par les services de sécurité russes (FSB), en confirmant une information du journal Le Monde.

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Le « 5e département »

Dans une note confidentielle, révélée vendredi dernier par Le Monde, et dont le contenu a été confirmé à l'AFP par une source proche du dossier, la DGSI assure que cette opération a été pilotée par le « 5e département », un service chargé des opérations internationales au FSB. Cette campagne de désinformation en France est un volet d'une opération d'ingérence plus vaste menée dans plusieurs pays européens, selon le quotidien.

Toujours selon le journal, cette opération a débuté au printemps 2023 en Pologne, où des Moldaves, pilotés à distance par le FSB, ont mené des actions de désinformation, de surveillance et de sabotage. Des individus ont aussi relayé des slogans anti-OTAN, faisant croire que ce mouvement émanait de la société civile polonaise, ajoute Le Monde qui précise que la justice polonaise s'est saisie de plusieurs de ces dossiers. En Espagne, en juillet, des manifestations pro-russes et anti-OTAN, relayées sur les réseaux sociaux, ont aussi été relevées par le renseignement espagnol. L'Allemagne, la Roumanie ou l'Autriche, ont aussi été ciblées par cette opération, détaille le quotidien.

Ce qui rejoint des propos du ministre qui a par ailleurs ajouté que la Russie ne menait « pas qu'en France » cette « guerre informationnelle, d'agressivité ». « Beaucoup de territoires occidentaux » sont concernés, a-t-il lancé. Il a relevé aussi que la Russie n'était « pas le seul » pays à pratiquer ces ingérences. « Il y a d'autres puissances asiatiques qui font ce genre de travail ».

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Une multiplication des attaques de désinformation

Depuis le début de la guerre en Ukraine il y a deux ans, la bataille de l'information menée par la Russie a pris une toute autre ampleur. Outre les tags et autres tentatives de déstabilisation, les ingérences s'amplifient sur la toile, aidées de l'intelligence artificielle. Rien que mi-février, une vidéo virale, faussement attribuée à France24, accusait l'Ukraine d'avoir projeté d'assassiner le président français, ce qui aurait poussé ce dernier à annuler un déplacement sur place. Si le voyage en Ukraine annoncé par Emmanuel Macron lui-même pour février n'a effectivement pas eu lieu, tout le reste relève d'un « deepfake », selon la chaîne de télévision française.

Les images étaient ainsi bien réelles, mais « quelqu'un a eu recours à l'intelligence artificielle pour faire dire avec un timbre de voix plus ou moins ressemblant à celui de notre journaliste quelque chose de totalement différent de la vidéo originale », a ensuite expliqué un fact-checkeur sur France24.

« On est face à une menace asymétrique, nos adversaires n'ont pas de limites », explique à l'AFP une source militaire française, quand les Européens ont « des limites comme le droit international ou national » et partent donc « avec un handicap ».

Des groupes pro-russes avaient déjà été identifiés par Meta (maison-mère de Facebook et Whatsapp) et les autorités françaises pour leur campagne « Doppelgänger », qui depuis 2022, consiste à copier l'identité visuelle de grands médias français et européens tels que Le Monde ou encore 20 minutes, pour diffuser des « fake news ».

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L'Europe tente de se défendre

Face à la multiplication des attaques informationnelles, souvent en provenance de Russie, l'Europe a largement renforcé son arsenal ces dernières années mais semble condamnée à la défensive, refusant elle-même à utiliser des infox contre ses adversaires. L'Union européenne a établi en 2018 un code non contraignant de bonnes pratiques, signé par plus de 30 acteurs de la publicité, de la société civile et surtout du numérique. Depuis août 2023, le Digital services act (DSA) oblige les très grandes plateformes à plus de transparence et à des actions renforcées contre la haine en ligne et les infox. En parallèle, le service d'action extérieur européen, bras diplomatique de l'UE, recense les opérations de déstabilisation.

De son côté, la France a créé Viginum, structure de détection des fausses informations et des ingérences. « Il y a une prise de conscience générale de la menace informationnelle et du besoin d'y répondre », explique Viginum à l'AFP. Chaque État membre a développé sa manière de détecter et traiter ces manœuvres, mais l'approche globale fait consensus. « L'idée n'est pas de dire aux gens ce qui est vrai ou faux (...) mais de démonter la mécanique et montrer aux citoyens comment des acteurs étrangers sont en train d'essayer de manipuler le débat public numérique », ajoute l'institution. Un enjeu devenu clé pour 2024 marquée par la tenue d'élections européennes particulièrement propices aux ingérences.

(Avec AFP)