L'ISF, la nouvelle pomme de discorde entre Valls et Macron

Par Fabien Piliu  |   |  1003  mots
L'ambiance se crispe au gouvernement
Les déclarations du ministre de l'Economie sur un réaménagement de l'ISF ont fait bondir le Premier ministre. Pourtant, les solutions esquissées par Emmanuel Macron étaient celles proposées par Manuel Valls en 2011. Le combat des sous-chefs se durcit.

Article publié le 21 avril 2015, mis à jour le 23 avril.

Ambiance, ambiance. Même si le ton fut calme, posé, les reproches de Manuel Valls adressés mercredi à Emmanuel Macron témoignent des tensions qui existent au sein du gouvernement.

L'objet de la querelle ? Des propos qu'Emmanuel Macron a tenu en début de semaine au magazine " Risques ", une revue réservée aux professionnels de l'assurance, vite rapportés par " Le Figaro ". Qu'a dit le ministre de l'Economie ? " Je pense que la fiscalité sur le capital actuelle n'est pas optimale. Si on a une préférence pour le risque face à la rente, ce qui est mon cas, il faut préférer la taxation sur la succession aux impôts de type ISF ".

La réaction de Manuel Valls n'a pas tardé. Interrogé mercredi sur France Info sur les propos de son ministre de l'Economie, le Premier ministre a été très clair: " Supprimer l'impôt sur la fortune, qu'on peut toujours améliorer, rendre plus efficace d'un point de vue économique, serait une faute ".

Dont acte. Mais le Premier ministre, qui en son temps n'en est pas resté là. " Je demande à chaque ministre, puisqu'il reste encore un an, d'être pleinement attelé à sa fonction, à sa mission ".

Sur la même longueur d'ondes

Pourtant, en septembre 2011, à quelques jours de l'ouverture de la primaire socialiste, Manuel Valls affichait sa volonté de supprimer l'ISF.

" Je propose (...) aussi et sans tabou de supprimer l'ISF, inutile car peu rentable (seulement 0,15% du PIB), et surtout source d'injustice entre les classes moyennes supérieures salariées et les chefs d'entreprise ou les professions libérales ", écrit-il aux pages 103 et 104 de son livre-programme " L'Energie du changement ", suggérant dans la foulée de réfléchir à une meilleure taxation des revenus du patrimoine.

Avant lui, Dominique Strauss-Kahn et Didier Migaud avaient plaidé en faveur d'une réforme profonde de l'ISF qui devait conduire de facto à sa disparition, tout du moins sous sa forme actuelle.

La cote de popularité d'Emmanuel Macron crispe Matignon

Que doit-on retenir de cette passe d'armes ? Les deux hommes se détestent depuis que le locataire du troisième étage de Bercy fait de l'ombre à celui de Matignon. Selon les derniers sondages, la cote de popularité d'Emmanuel Macron dépasse largement celle de Manuel Valls.

Selon un sondage Ifop-Fiducial pour Paris Match et Sud Radio publié mardi, une très large majorité des Français " préfère " Emmanuel Macron à François Hollande et même à Manuel Valls. A la question " des deux personnalités suivantes, laquelle préférez-vous ? ", 69% des personnes interrogées ont cité le ministre de l'Economie, 38% le Premier ministre et 25% seulement le chef de l'Etat.

Alors qu'il rêvait d'incarner la réforme, le Premier ministre s'est fait doubler par le ministre de l'Economie, ce qui n'était pas prévu. En acceptant de prendre Emmanuel Macron dans son gouvernement, sur les conseils - les ordres ? - de François Hollande et Jean-Pierre Jouyet, le secrétaire général de l'Elysée, Manuel Valls a pris un risque personnel.

Dans son esprit, Emmanuel Macron aurait dû être un simple outil, un instrument dont la fonction se serait limitée à mettre en musique les réformes initiées par Matignon. C'est raté. Le ministre de l'Economie aurait dû aider le Premier ministre à rejoindre un jour l'Elysée. Aujourd'hui, il se met en travers de sa route. En effet, Emmanuel Macron, qui vient de lancer son mouvement " En marche " affiche plus ou moins ouvertement sa volonté de se présenter un jour à l'élection présidentielle. Comme Manuel Valls.

Les tensions actuelles s'expliquent d'ailleurs par la proximité des prochaines élections. Si François Hollande ne se représente pas - l'hypothèse est faible mais elle existe - qui seront les personnages politiques les mieux placés pour lui succéder ? En attendant de connaître la décision de l'actuel chef de l'Etat, il est éminemment important pour Manuel Valls et Emmanuel Macron, les deux sous-chefs de François Hollande, de se préparer au combat.

Pas de compte à rendre

Pour l'instant, le ministre de l'Economie possède un avantage sur le Premier ministre. A la différence de Manuel Valls, Emmanuel Macron n'a aucun compte à rendre au Parti socialiste et à ses élus. Il porte ses idées en dépit des remontrances du PS, de ses frondeurs, et de la gauche de la gauche. A droite, la montée en puissance du ministre de l'Economie et son autonomie dérangent également car il reprend, et réinvente, des idées déjà formulées par le camp d'en face. Sa liberté de parole illustrée par ses déclarations sur les 35 heures, sur le statut des fonctionnaires, et aujourd'hui sur l'ISF - dont la suppression est réclamée par tous les candidats à la primaire de droite - fait mouche dans l'opinion.

Toutefois, à plus long terme, si Manuel Valls, qui fut le candidat le plus à droite lors des primaires en 2011, est le champion socialiste officiel, il pourra compter sur la puissance de feu du PS, même si celle-ci est déclinante. Ce jeudi, la fédération PS du Nord a lancé un appel aux dons pour tenter de réduire son endettement. Sur le plan national, le PS enregistre une chute du nombre de ses adhérents. Alors qu'il rêvait d'afficher 500.000 adhérents en 2017, le PS n'en compte actuellement que 60.000 à 80.000 selon une enquête récente d'Europe 1, soit 10% à 20% de moins qu'en 2012.

Selon le sondage Ifop-Fiducial publié mardi, chez les seuls sympathisants du PS, le Premier ministre recueille 57 % d'opinions positives, contre 40 % à Emmanuel Macron. La bataille entre les deux personnalités de gauche qui incarnent le moins les valeurs socialistes, ne fait que commencer.

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>> Il y a un an, au #PLTJE 2015, Emmanuel Macron déjà donnait son avis sur ces propositions d'aménagement de l'ISF (propos recueillis par La Tribune)