La colère des artisans contre la loi Sapin II porte (en partie) ses fruits

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  950  mots
L'organisation patronale des artisans (UPA) était vent debout contre une disposition initiée par Emmanuel Macron qui permettrait à des autoentrepreneurs non dipômé d'exercer certains métiers jusqu'ici réservés à des artisans qualifiés. (Crédits : <small>Reuters</small>)
Initiée par Emmanuel Macron, une disposition de la loi Sapin II tend à permettre à des autoentrepreneurs non diplômés de pouvoir exercer certains métiers artisanaux. L'organisation patronale de l’artisanat ainsi que de nombreux ministres étaient vent debout contre cet article qui a donc été considérablement réécrit. La qualification restera nécessaire.

La petite vidéo est pleine d'humour: Manuel Valls en plâtrier, Ségolène Royal en électricienne, Michel Sapin en boulanger, Myriam El Khomri en mécanicienne, Najat Vallaud-Belkacem en bouchère. Et Macron en esthéticien :

C'est sur un ton en apparence un peu badin que l'Union professionnelle artisanale (UPA), l'organisation professionnelle qui regroupe les 1,3 million d'entreprises artisanales en France a décidé de lutter contre l'article 43 de la loi Sapin II actuellement en cours d'examen devant l'Assemblée nationale. Porté par le ministre de l'Economie Emmanuel Macron, initialement, cet article prévoyait d'assouplir les règles d'entrées dans certains métiers et de les ouvrir à des non-diplômés autoentrepreneurs, dès lors que l'exercice de cette profession sans formation préalable ne met pas le public en danger. L'UPA y voyait là une nouvelle forme de concurrence déloyale et un nivellement par le bas de nombreux métiers. Mais, finalement donc, l'exigence d'une qualification va demeurer.

Une "disposition Macron" sans réel soutien

Au préalable, cette disposition devait se retrouver dans la loi « nouvelles opportunités économiques » (Noé) qui devait être portée par Emmanuel Macron. Mais celui-ci a été finalement privé de texte... Résultat, plusieurs de ses dispositions ont été "dispatchées" dans la loi travail de Myriam El Khomri, d'une part, et dans la loi relative à la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique (appelée loi Sapin II), d'autre part. Pour la petite histoire, Myriam El Khomri avait refusé que cette disposition, chère à Emmanuel Macron, soit intégrée dans son projet de loi travail, pour ne pas alourdir encore un peu plus une barque déjà bien difficile à maintenir à flot... C'est donc, contraint et forcé, que Michel Sapin a dû se résoudre à accueillir la mesure dans son projet de loi. Mais c'est peu de dire que le ministre des Finances n'est pas un farouche défenseur de cette ouverture de certains métiers de l'artisanat (coiffeurs, plâtriers, peintres, certain plombiers, etc.).

Directement inspiré du rapport Attali sur la croissance - comme d'ailleurs de nombreuses dispositions défendues par Emmanuel Macron qui était... le rapporteur de la mission Attali - remis en 2008, ce fameux article 43 vise selon le ministre de l'Economie, à "faciliter la création et le développement d'activités et d'emplois par les travailleurs indépendants". Mais de préciser qu'il fixe des garde-fous : "tout ce qui relève de la santé et de la sécurité sera préservé et relèvera bien d'une qualification, mais des tâches détachables de certains métiers, dans un juste contrôle, pourront être ouvertes pour que l'on crée plus facilement son activité".

L'UPA vent debout contre cette concurrence déloyale

Inévitablement, l'UPA a été prompte à régir, elle qui se bat depuis des années pour une revalorisation et une reconnaissance des métiers de l'artisanat. "La suppression des qualifications tendrait à appauvrir très rapidement les savoir-faire artisanaux qui pourtant contribuent à l'attractivité de la France et à la renommée de ses produits", estime l'organisation dans un communiqué. Et d'ajouter en opposition aux arguments du ministre sur les créations d'emplois : "L'artisanat figure parmi les secteurs où l'entrepreneuriat s'est le plus développé ces dernières années, avec la création de 300.000 entreprises supplémentaires (sur un total de 1,1 million d'entreprises artisanales) en moins de 20 ans". Et l'UPA ajoute encore qu'il serait tout de même paradoxal, alors que François Hollande a été à l'origine d'un vaste plan de formation de 500.000 chômeurs pour qu'ils acquièrent une qualification, qu'on permette l'exercice de professions... sans aucune qualification.

D'autant plus, précise un cadre de l'UPA  "que ce n'est tout de même pas la mer à boire que d'acquérir un CAP ou de faire valider trois ans d'activité professionnelle avant de lancer son affaire".

L'article finalement réécrit

La classe politique aussi faisait la moue. Emmanuelle Cosse, ministre du Logement s'était indirectement prononcée contre cette disposition Macron « Il y a 70.000 entreprises du bâtiment labellisées RGE [label « reconnu garant de l'environnement] »... Une façon de promouvoir la qualification... Pour sa part, Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Education nationale, était aussi plus que sceptique contre l'article 43, à l'heure où tout est fait pour valoriser l'apprentissage. Or, comme le souligne l'UPA : « En Allemagne, là où l'accès à des métiers ont ainsi été libéralisés, on a immédiatement assisté à la chute de l'apprentissage ».

 Alors, devant un tel tir de barrage l'article 43  a été sacrément réécrit et grandement édulcoré. Finalement, il est prévu qu'un décret fixera les conditions dans lesquelles une personne qualifiée pour exercer un métier pourra être autorisée à réaliser des tâches relevant d'un métier connexe faisant partie de la même activité. En clair, un plâtrier diplômé pourra faire un peu de maçonnerie... Ce qui ne change pas grand chose à la situation qui prévaut actuellement. Mais la qualification pour le métier premier reste donc nécessaire, contrairement au projet Macron initial. L'article prévoit aussi de faciliter la technique de la "validation des acquis de l'expérience " (VAE) dans l'artisanat pour permettre à une personne ne disposant pas de la qualification obligatoire, mais pouvant justifier d'une autre expérience, d'accéder à certaines activités.

Un savant "nettoyage" de l'article donc qui permet à Emmanuel Macron de ne pas perdre la face, tout en vidant singulièrement l'idée initiale de sa substance. Reste que la navette parlementaire continue et que cet article 43 pourrait encore évoluer, surtout que l'UPA, bien que satisfaite des modifications apportées, préfèrerait son retrait pur et simple.