« Uberisation » du bâtiment : les artisans préparent leur riposte

Pour se prémunir contre les effets pervers d'une potentielle « ubérisation » de leur secteur, les artisans du bâtiment veulent monter en compétence et être plus présents sur internet.
Mathias Thépot
Les artisans du bâtiment sont vent debout contre la politique menée par le ministre de l'Economie Emmanuel Macron.

Comme beaucoup d'autres, les petites entreprises du bâtiment risquent à leur tour de se faire « uberiser ». En effet, l'exercice de certains métiers du bâtiment sans qualification pourrait être favorisé à l'avenir. Le ministre de l'Economie Emmanuel Macron a en effet intégré dans l'article 43 du projet de loi dit Sapin 2 relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, des mesures visant à limiter les freins à l'entrepreneuriat individuel. Le projet de loi prévoit aussi de rehausser les plafonds de chiffre d'affaires pour bénéficier du statut de « micro-entrepreneur », auparavant appelé « auto-entrepreneur », et qui n'est pas n'est pas soumis aux même charges, ni au même cadre réglementaire que les petites entreprises du bâtiment ayant un statut classique.

Risque pour l'emploi

Si ces mesures de la loi Sapin 2 était adoptées telle quelle, « il faudrait alors, de fait, oublier les prévisions réjouissantes de création d'emplois dans notre secteur », avertit Patrick Liébus, le président de la confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb). En parallèle, un certain nombre de plateformes internet de mise en relation entre des clients et des fournisseurs de services dans le bâtiment (Illico travaux, 1,23 devis etc. ) se sont dernièrement développées.

Certes, ces plateformes ne sont pour l'instant à l'origine que d'entre 5 % et 10 % des mises en relation avec les clients sur les segments des entreprises du bâtiment, selon la Capeb. Mais couplée aux mesures de la loi Sapin 2 qui facilitent les conditions d'accès à ces métiers et tendent à précariser le secteur, l'émergence des plateformes internet pourrait profondément perturber le modèle économique des petites entreprises du bâtiment, qui viennent à peine de sortir de la crise. « Oui, "l'uberisation" peut très bien venir perturber notre secteur », confirme ainsi Patrick Liébus.

Or, « ces plateformes de mise en relation rapide avec le client véhiculent souvent dans un premier temps un message positif et collaboratif. Mais une fois qu'elles prennent des parts de marché conséquentes, alors elles fixent elle-même les prix et font pression sur leurs collaborateurs », ajoute-t-il.

Miser sur les qualifications

Pour éviter une telle situation, les artisans du bâtiment s'organisent. Ils préparent une riposte sur deux axes : une présence accrue sur internet, avec des plateformes élaborées par les professionnels, et surtout une attention toute particulière portée aux qualifications des artisans du bâtiment, jadis négligées par la profession, de l'aveu même du président de la Capeb. Faire monter les artisans en compétence sera en effet le principal argument à opposer à ceux qui souhaitent appliquer au secteur le modèle économiques à bas coût de ce qu'on appelait encore récemment « l'économie collaborative ».

Le ministère de l'Ecologie et du Développement durable demande, certes, déjà aux professionnels du bâtiment d'être de mieux en mieux formés à la rénovation énergétique pour faire face aux défis environnementaux. D'où l'incompréhension de la Capeb, qui note que le gouvernement s'embourbe dans un double discours, car du côté de Bercy, on tente donc d'instaurer des mesures visant à faciliter l'accès aux métiers du bâtiment pour des entrepreneurs... sans qualification.

« Pour Monsieur Macron, faire des stages préalables à l'installation d'activités artisanales, c'est trop long. Pour lui, une entreprise doit pourvoir être créée en 24 heures... c'est complétement déraisonnable ! S'installer, c'est connaître son métier », regrettait déjà Patrick Liébus il y a quelques mois. « De fait, tout métier qui vise à produire des biens qui touchent à la santé et à la sécurité des personnes devrait demander une qualification, que l'on obtient soit grâce à un diplôme, soit par le biais d'une expérience suffisante », ajoute-t-il.

Comment financer la protection sociale ?

Par ailleurs, une telle politique renforçant des modèles d'entreprises qui paient moins de charges pose des questions plus globales. En effet, si elle surfe sur cette tendance « économiquement, la France va avoir de sérieux problèmes », assure Patrick Liébus« Comment, dans les années à venir, pourrons-nous dans ce contexte assurer la pérennité du système de protection sociale en France ? Comment va-t-il jouer son rôle d'amortisseur social ? Et comment seront financées les retraites et les allocations pour ceux qui seront au chômage ? », s'interroge-t-il.

Ces mesures sont aussi révélatrices du courant représenté au sein du gouvernement par Emmanuel Macron, qui rappelle les préconisations du rapport de la Commission Attali de 2008 dont il était l'un des rapporteurs. Soit concrètement avancer que si chacun voulait être son propre patron, le chômage diminuerait d'autant. Cette croyance est une autre facette de ce qui est appelé "uberisation" de l'économie, dont la vision va au-delà de la seule création des plateformes digitales.

Or, dans un secteur du bâtiment où, déjà, l'emploi est très cyclique et donc de fait assez flexible, on peut se poser la question de l'utilité de telles mesures visant à individualiser la prise d'initiative, et qui, in fine, pourraient avoir pour effet de dégrader la qualité des services rendus aux clients.

Mathias Thépot

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Commentaires 8
à écrit le 29/04/2016 à 11:27
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Comme uberisation=travailler au noir, alors tous les secteurs peuvent être "uberisés". Ensuite, plus d'école, plus de sécu, plus d'hopitaux, plus de routes, etc, etc

à écrit le 29/04/2016 à 8:33
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il n'y a pas "uberisation" du batiment mais uberisation de la securité sociale de l'ursaff de l'inspection du travail c'est bien plus consequent que les taxis ce genre d'uberisation peut signer la fin de l'etat par l'attrition de ses financements...

à écrit le 29/04/2016 à 7:57
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Quand je fais appel à un artisan du bâtiment, je veux ben sûr un prix convenable, mais surtout une qualité d'exécution et de résultat irréprochable, avec une garantie.

à écrit le 29/04/2016 à 1:20
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il faudrait surtout taxé les travailleurs détachés qui eménent avec eux cotisations et fric

le 29/04/2016 à 8:58
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C'est justement le but : prendre aux pays riches pour donner aux pays pauvres. Et faire d'une pierre deux coups : augmenter les salaires d'un coté, et les faire baisser de l'autre pour arriver à une europe équilibré.

le 02/05/2016 à 0:34
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Cher Dingo, vous avez vu la moindre augmentation des salaires dans les pays moins riche que la France et l'Allemagne? En Grèce peut-être? Une baisse du chômage peut-être? Arrêtez de rêver : L'argent ne se concentre pas aux mains des détenteurs de ca...

à écrit le 28/04/2016 à 21:33
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Bravo macron une vraie politique de gauche le nivellement par le bas comme les emplois jeunes etc. Faire tout pour baisser le chômage et les dépenses sociales sans réformer. Ce mec est très dangereux il nous prépare des lendemains charges

à écrit le 28/04/2016 à 20:05
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Biens venus, dans le club des taxis

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