"La décentralisation devrait favoriser l'économie" Nadine Levratto (CNRS)

Par Grégoire Normand  |   |  1029  mots
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[Interview] Alors que le congrès des régions à Marseille se termine, Nadine Levratto, économiste et directrice de recherche au CNRS, revient sur le renforcement des compétences économiques des régions depuis le passage de la loi Notre en 2015 et relativise l'effet des métropoles sur l'économie des territoires.

La guerre est ouverte. A l'occasion du Congrès des régions de France, plusieurs associations d'élus locaux ont exigé un renforcement de la décentralisation face à un  gouvernement accusé "d'ultra-centralisation." Quelques années après le passage de la réforme Notre, portée par François Hollande, les relations sont loin d'être apaisées entre les collectivités et l'Etat. L'un des objectifs de cette nouvelle organisation territoriale était de renforcer les compétences économiques des régions. Pour La Tribune, l'économiste à l'université de Paris-Ouest Nanterre La Défense Nadine Levratto revient sur les enjeux économiques de cette transformation.

LA TRIBUNE - Est-ce que la réforme territoriale de 2015 (loi Notre) a eu un impact sur le développement économique des territoires ?

NADINE LEVRATTO - Ce qui a beaucoup changé ce sont les compétences économiques attribuées aux différents niveaux institutionnels des territoires. L'articulation entre les compétences des régions et celles des collectivités locales de proximité, les EPCI, sont clarifiées. Ceci est important car les dynamiques économiques locales se situent à un niveau inférieur à celui des régions, que celles-ci présentent une importante diversité interne et qu'il est important d'agir au plus près des acteurs. C'est pourquoi, par exemple, les recherches que je mène portent sur des mailles économiques fines telles que les zones d'emploi ou les communes. On peut observer qu'une même politique au sein d'une même région exerce des effets variés selon les caractéristiques du territoire où elle est appliquée et que des politiques générales n'atténuent pas forcément les écarts infra-régionaux. 

La nouvelle organisation territoriale a-t-elle favorisé le dialogue entre les régions et les autres acteurs économiques au niveau local ?

L'objectif général de la loi est bien de faciliter les relations entre tous les acteurs grâce à la nouvelle définition de compétences qui s'est accompagnée d'un accroissement du rôle des régions et d'un renforcement de l'intercommunalité. Evidemment, l'atteinte de cet objectif dépend beaucoup des régions et des interlocuteurs. En effet, les relations et la coopération ne se décrètent pas. Il y  a un processus de construction qui est relativement lent. La réforme est récente. On ne peut pas encore voir d'effets majeurs sur l'articulation entre les acteurs.

La décentralisation a-t-elle eu des conséquences favorables sur l'économie des régions ?

La décentralisation n'a pas été faite que pour des motifs économiques. Cependant, compte tenu des nouvelles compétences attribuées aux différents niveaux administratifs, a priori, ce processus devrait favoriser l'économie. Si les décisions sont prises au plus proche du terrain, cela devrait avoir des effets bénéfiques. Quand on observe une région comme Rhône-Alpes-Auvergne, nombre de zones d'emplois situées dans l'ex-partie Rhône-Alpes présentent une dynamique de l'emploi et de compétitivité très favorable que cette réforme pourrait favoriser.     

Cette réforme est-elle favorable aux territoires laissés pour compte ? Le renforcement des métropoles ne va-t-il pas favorisé les inégalités territoriales ?

Le processus de métropolisation existait bien avant la réforme. Les 13 premières métropoles qui ont été créées ressemblaient très fortement aux fameuses métropoles d'équilibre régional de la Datar. Mais toutes les métropoles ne ressemblent pas au modèle idéal, au contraire, elles présentent de nombreuses différences. Certaines métropoles exercent un effet métropolitain d'entraînement sur les territoires voisins supérieur à d'autres comme nous l'avons montré dans une recherche réalisée pour France Stratégie, le CGET et l'Institut CDC de la Recherche. Il y a des métropoles qui rayonnent, comme Lyon par exemple, et il y a des métropoles qui concentrent la plupart des ressources de la région, comme Lille. Il est donc important de raisonner non pas sur un modèle unique mais sur une typologie comportant plusieurs catégories de métropoles. Nous plaidons pour une reconnaissance de la diversité des métropoles et considérons que des espaces non-métropolitains peuvent tout à fait présenter des dynamiques de l'emploi très favorables. Parfois, les territoires voisins de la métropole se développent ou résistent mieux que la métropole elle-même. Plusieurs configurations coexistent en matière d'organisation des territoires.

La densité et la taille des territoires ne suffisent pas à expliquer pourquoi certains réussissent mieux que d'autres; d'autres facteurs interviennent également. La coopération et la coordination à l'intérieur d'une région et entre les territoires qui la composent comptent beaucoup, de même que la mise en oeuvre des politiques publiques joue sur les résultats observés. Aujourd'hui, d'ailleurs, plus personne ou presque n'adhère à l'idée du ruissellement systématique des métropoles sur les territoires voisins. 

Pensez-vous que la mise en place du schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII) est une bonne chose ?

Ces schémas sont des leviers car ils obligent les régions à tracer les modalités de leur développement économique au delà même de la croissance. Ce outil oblige les acteurs à coopérer et à se coordonner. Cette coordination est un vecteur d'amélioration du fonctionnement de l'économie. Il est encore trop tôt pour évaluer les retombées de ce dispositif. 

La loi Notre va-t-elle dissoudre certaines spécialisations économiques avec l'agrandissement des régions ?

La spécialisation est le produit d'une longue histoire. Les transitions en matière de spécialisation peuvent être très longues comme on peut le voir, entre autres exemples, à l'intérieur de l'ancien bassin minier. C'est pourquoi les politiques régionales doivent s'inscrire sur une longue durée. Aujourd'hui, les orientations européennes peuvent avoir un impact sur les spécialisations des territoires (smart specialisation). Ces programmes vont à l'encontre de l'idée d'une spécialisation sectorielle à l'image du pôle aéronautique dans la région toulousaine pour favoriser des combinaisons d'activités.

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