La France est-elle au bord de la révolution ?

Par Fabien Piliu  |   |  1178  mots
" La France a perdu la bataille de l'automatisation. La bataille du numérique est en cours. Rien ne permet d'indiquer que nous la remporterons ou que la France y jouera un premier rôle ", a déclaré Emmanuel Macron
Ce lundi, lors du lancement de son initiative #noé (pour "Nouvelles opportunités économiques"), le ministre de l'Economie donnait la parole à des chercheurs, des économistes, des financiers et, surtout, des chefs d'entreprise, afin de dégager avec eux les moyens de s'emparer des transformations technologiques en cours. Créer des fonds de pension "à la française" pour orienter l'épargne des ménages vers les entreprises est une idée qui devrait être retenue.

En 1789, les Français ont fait la révolution ? Tous les livres d'histoire, tous les frontons d'édifices publics nous le rappellent. Pour saisir les opportunités offertes par les nouvelles technologies, notamment dans le domaine du numérique et de la santé, les Français sauront-ils à nouveau inverser le cours des choses ? C'est en filigrane ce que souhaite Emmanuel Macron.

Lundi 9 novembre, lors du lancement du programme des "Nouvelles opportunités économiques" (l'acronyme Noé, chargé de sens, aussitôt décliné en #noé sur Twitter), que l'on qualifie d'ores et déjà de loi Macron 2, le ministre de l'Economie déclarait:

"Il faut changer notre façon de produire, d'entreprendre, d'innover."

C'est haut et fort ce que ses participants - parmi lesquels des économistes, des juristes, des dirigeants de startups - ont clamé, l'objectif étant d'engager le redressement de l'économie française, de préparer son avenir tout en luttant contre le chômage.

L'économie française est dans l'impasse

Au regard des performances actuelles de l'économie française, dont le PIB devrait progresser de 1% cette année et de 1,5% l'année prochaine, et du niveau actuel du nombre de chômeurs - près de 6 millions de personnes sont inscrites au Pôle emploi - lancer ce chantier ne paraît pas incongru...

Quelles seront les mesures que devraient contenir la loi Macron 2 ? Concrètement, il s'agit d'abord de faciliter le développement des startups françaises, d'aider les entreprises françaises à s'adapter davantage à Internet et ses nouveaux usages.

La loi Macron 2 veut également réformer le statut des travailleurs indépendants, tout comme les qualifications requises pour exercer telle ou telle activité.

A Bercy, où l'on s'inquiète des dégâts que les prochaines vagues du numérique pourrait provoquer dans l'emploi non qualifié - que les exonérations de charges décidées par le gouvernement encourage -, on s'interroge sur la pertinence de rendre obligatoires certaines qualifications pour des centaines d'activités.

Et le ministère de l'Économie de multiplier les exemples : "Celui qui répare un moteur de voiture, on comprend qu'il doive être qualifié, mais celui qui lave les voitures? Celui qui perce des murs porteurs contre celui qui repeint les volets ; celui qui utilise des produits toxiques de coloration des cheveux contre celui qui tresse des nattes..."

La formation professionnelle est également dans le viseur, l'idée étant de permettre aux travailleurs des filières les moins dynamiques de se former aux nouveaux métiers créés par la révolution numérique.

Un gros travail de conviction

Si la loi Macron 1 a fait hurler certaines catégories de professionnels libéraux, notamment les notaires et les greffiers, le nouveau millésime semble présenter un potentiel explosif encore plus important. En effet, pour intégrer les changements que les nouvelles technologies imposent, le ministre devra compter sur la coopération des autres ministères.

Comment imaginer lancer cette révolution sans la pleine coopération du ministère du Travail ? Réformer, développer le télétravail, l'auto-entrepreneuriat, le travail indépendant, repenser le temps de travail, les temps de repos, tout cela ne sera pas de la seule responsabilité de Bercy. On comprend pourquoi Emmanuel Macron avait tenté, sans succès, de rapatrier cet été le ministère du Travail à Bercy.

Des fonds de pension "à la française"

Le ministère de l'Economie et le ministère des Finances seront également mis à contribution pour repenser la chaîne de financement des entreprises.

"La France présente une structure de financement qui fait la part belle au financement bancaire intermédié, alors qu'une économie d'innovation, avec des investissements à la fois plus lourds, plus rapides, plus immatériels, plus risqués, nécessite d'abord et avant tout des financements en fonds propres. C'est pourquoi nous devons améliorer leur capacité à financer les investissements et leur changement d'échelle qui leur permettront d'acquérir une taille internationale", explique Bercy.

Selon le ministère, cette chaîne de financement expliquerait en partie pourquoi la France ne figure qu'en 5e position en Europe dans le classement du nombre de "licornes" - c'est-à-dire les startups valorisées plus de 1 milliard d'euros -, derrière le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Suède et les Pays-Bas.

Faut-il permettre le développement de fonds de pension ? Emmanuel Macron y est favorable.

" Il faut ramener le capital, qui est celui de nos épargnants, vers le financement de l'économie réelle. Il faut développer une forme de fonds de pension à la française et adapter notre cadre fiscal », a-t-il déclaré lors des échanges avec la salle.

Casser les habitudes

Au sein même de l'appareil d'Etat, il faudra trouver les mots pour changer les pratiques, les habitudes.

" La France possède encore un cadre de régulation souvent peu favorable au développement de nouveaux modèles d'affaires. Par exemple, les procédures de validation des essais cliniques, dans le secteur de la santé, sont beaucoup plus longues en France qu'à l'étranger. L'objectif est de moderniser les outils de régulation et de lever les barrières qui empêchent les acteurs « traditionnels » de se positionner favorablement face à l'émergence de nouveaux acteurs", explique le ministère.

Il faudra aussi convaincre les acteurs en place, notamment les fédérations professionnelles et les syndicats professionnels. Quand on voit les remous provoqués par la loi Macron 1, les polémiques musclées entre les taxis et les VTC, les hôteliers et les particuliers qui louent leur logement sur Airbnb.

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Ce n'est pas tout. Emmanuel Macron devra également demander aux entreprises de faire leur aggiornamento dans le domaine du management. Comment ? Il s'agirait de lutter contre le présentéisme et sa conséquence la plus fréquente, le "bore-out", qui frappe ceux qui s'ennuient sur le lieu de travail.

Il faudrait également leur demander de repenser le lien de subordination qui lie les dirigeants d'entreprises et leurs salariés. Qu'en pensent les partenaires sociaux et en particulier le patronat ?

Un projet de loi sera présenté en janvier

Pour convaincre, quels sont les atouts en poche du ministre de l'Economie ? Ils sont bien maigres. Pour l'instant, il évoque surtout les bénéfices à attendre d'une telle révolution en termes de créations de richesses. Mais il pointe aussi les conséquences d'une éventuelle inertie.

"La France a perdu la bataille de l'automatisation. La bataille du numérique est en cours. Rien ne permet d'indiquer que nous la remporterons ou que la France y jouera un premier rôle", a-t-il déclaré.

Est-ce assez convaincant ? On le saura bientôt. Un projet de loi, intitulé Noé, sera présenté en janvier en conseil des ministres après la présentation d'une série de propositions mi-décembre et un mois après le texte sur le numérique orienté vers la gestion des données personnelles porté par Axelle Lemaire, la secrétaire d'Etat au numérique.