Le "big-bang" fiscal et social de Nicolas Sarkozy résiste-t-il aux faits ?

Par Ivan Best et Jean-Christophe Chanut  |   |  2280  mots
Nicolas Sarkozy propose de réduire de 10% l'impôt sur le revenu dès l'été 2017 pour créer un "contre-choc fiscal"
Nicolas Sarkozy dévoile son programme économique. Il joue à la fois sur les réduction d'impôts, des économies à hauteur de 100 milliards dans les dépenses publiques et une réforme du marché du travail. Décryptage des mesures.

La campagne pour la primaire à droite a vraiment commencé... et le tempo s'accélère. Nicolas Sarkozy, François Fillon et Alain Juppé - dans une moindre mesure - se livrent à une sorte de course à l'échalote. C'est à qui sera le plus "réformateur" afin de séduire les futurs électeurs qui les départageront les 20 et 27 novembre prochains. Actuellement, en retard dans les sondages par rapport à Alain Juppé, Nicolas Sarkozy a décidé de passer la surmultipliée. Après la parution de son livre « La France pour la vie » et de nombreuses interventions télévisuelles - dont jeudi 4 octobre sur France 2 à l'émmission "des paroles et des actes" sur France 2 - , il a accordé aux quotidien « Les Echos » un entretien où il expose son programme économique et social.

Sur France 2, jeudi soir,  comme au quotidien "Les Echos", Il explique tout de go que, en cas de retour aux affaires en 2017, il ferait immédiatement adopter un « contre-choc fiscal » à hauteur de 25 milliards d'euros, basé notamment sur une forte baisse de l'impôt sur le revenu. Parallèlement, il engagerait un plan de 100 milliards d'économies dans les dépenses publiques et réformerait le marché du travail. Retour sur les principales propositions de l'ancien chef de l'État.

 Baisser de 10% l'impôt sur le revenu

 Arriver ou plutôt revenir au pouvoir, avec pour promesse économique emblématique une baisse de l'impôt sur le revenu : c'est ce qu'avait fait Jacques Chirac en 2002, c'est ce que tente Nicolas Sarkozy pour 2017. A l'heure de la rupture libérale, rien là que du très classique. L'ancien chef de l'Etat affirme juste vouloir doubler la mise. Jacques Chirac avait baissé toutes les tranches d'imposition de 5% lors sa réélection. Pour Nicolas Sarkozy, ce sera donc 10% d'allègement, soit environ 7 milliards.

Une hausse décidée pour moitié par François Hollande.... et Nicolas Sarkozy

Une façon d'effacer le « matraquage des classes moyennes depuis quatre ans », selon l'expression de l'ex maire de Neuilly ? A la vérité, l'impôt sur le revenu n'a pas commencé à augmenter avec l'arrivée de François Hollande au pouvoir. Les premières hausses ont été décidées à l'automne 2010 par François Fillon et Nicolas Sarkozy. Et, selon les estimations du très officiel Conseil des Prélèvements obligatoires, l'ancien et l'actuel chef de l'État font jeu égal en la matière.

L'impôt sur le revenu a été augmenté d'un peu moins de 20 milliards d'euros depuis la première loi de finances pour 2011 (soit +40% au total), dont la moitié à l'initiative de Nicolas Sarkozy -le seul gel du barème sur deux ans a occasionné une hausse de 3,5 milliards, selon l'Insee- et la moitié sur décision de François Hollande. Nicolas Sarkozy l'a fait en supprimant de nombreuses niches, son successeur a joué sur des mesures plus générales, comme la baisse de l'avantage maximal lié au quotient familial. Jusqu'en 2012, chaque demi-part de quotient pouvait générer jusqu'à 2.360 euros d'impôt en moins, désormais le plafond est de 1.500 euros.

Cette mesure frappe principalement les 10% de ménages les plus aisés, a relevé l'Insee. Pour eux, le supplément d'impôt a atteint 810 euros par an en moyenne, en 2014. Ces 10% de foyers les plus aisés constituent-ils le cœur de la classe moyenne ? Ce point sera débattu sans doute indéfiniment.

Un des impôts les plus faibles des grands pays occidentaux

En revanche, ce qui ne peut faire l'objet de débat, c'est que l'impôt sur le revenu reste en France l'un des plus faibles des grands pays occidentaux, même si la CSG est intégrée dans le calcul. Il représente 8,4% du PIB, selon l'OCDE, contre 9,8% de la richesse nationale aux Etats-Unis, 9,5% en Allemagne, et 9,1% en Grande-Bretagne. En Italie, il atteint 11,7% du PIB. L'argument de l'harmonisation internationale ne tient donc pas.

100 milliards d'euros d'économies: où?

Sur un autre volet essentiel de la gestion des finances publiques, Nicolas Sarkozy prend une position désormais courante à droite, en promettant de ramener les dépenses publiques de 57% du PIB aujourd'hui à 50% à l'issue du prochain quinquennat. Pour ce faire, 100 milliards d'euros d'économies seraient nécessaires, estime l'ancien chef de l'Etat. Où seraient-elles réalisées ? Nicolas Sarkozy avance la somme de 6 milliards liées au non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant en retraite. Ce principe serait appliqué aux collectivités locales, ce qui contredirait d'ailleurs celui de leur indépendance.

Et où seraient trouvés les 94 autres milliards ? Est évoquée mais non chiffrée, une nouvelle réforme des retraites, qui rapporte avec le passage de l'âge légal à 63 ans puis 64 ans.

A la vérité, il ne s'agirait certainement pas de réduire la dépense de 100 milliards. Il est bien sûr possible d'y parvenir, mais en réduisant la part du secteur public dans notre système d'assurance: la France se caractérise avant tout par un poids important de la dépense sociale, d'abord s'agissant des retraites -assurance vieillesse- et dans une moindre mesure de l'assurance maladie.

Très concrètement, avec une assurance vieillesse largement privatisée -fonds de pension-, une assurance maladie elle aussi dé-nationalisée, il serait possible de parvenir à réduire la dépense de 100 milliards. Cette privatisation a peu ou prou a été engagée par nos voisins, les Allemands par exemple, qui ont adopté au milieu des années 2000 une réforme drastique des retraites, qui a permis de diminuer le poids des pensions.

Mais aucun candidat en France ne s'avance dans une telle remise en cause de notre organisation sociale.

 Réformer le  marché du travail

Sur le terrain social, le président du parti « Les Républicains » (LR), semble, en apparence, avoir mis - un peu- d'eau dans son vin par rapport à un précédent entretien accordé aux « Echos » le 30 septembre 2015. A l'époque, il évoquait ouvertement son souhait d'instituer le referendum d'entreprise afin de faire valider (ou non) un projet d'accord d'entreprise directement par les salariés. Une façon de contourner les syndicats. Cette fois ci, cette idée n'est plus évoquée. Exactement comme la redéfinition du licenciement économique qu'il réclamait il y a quatre mois... et qu'il ne mentionne plus maintenant. Ceci dit, cela ne veut absolument pas dire que l'ancien chef de l'Etat a renoncé à ces réformes. D'ailleurs, dans une phrase, il rappelle son intention de faire voter une réforme du marché du travail « ... pour mettre fin à l'insécurité juridique qui pèse aujourd'hui sur les entreprises et améliorer les conditions du dialogue social »... Tout est dit, en fait.


la "vraie fin" des 35 heures

Sur les 35 heures, en revanche, l'ex président de la République ne dévie pas : cette fois, promis juré, ce sera fini. A l'avenir, il préconise donc que chaque entreprise puisse négocier « la sortie des 35 heures. Mais avec une règle, 35 heures payées 35, 37 payées 37, etc. ». On remarquera donc que Nicolas Sarkozy mettra également fin aux heures supplémentaires bonifiées, c'est certes logique dès lors qu'il n'y a plus de durée légale du travail mais c'est très loin de l'esprit de la loi « Tepa » qu'il avait fait voter en 2008. A cette époque, non seulement les heures supplémentaires majorées avaient été sauvegardées mais, en outre, elles bénéficiaient d'allégements de cotisations sociales salariales et d'une exonération d'impôt sur le revenu. La roue tourne.

Passage aux 37 heures pour les fonctionnaires


A noter que Nicolas Sarkozy gardera tout de même une durée légale du travail - fixée à 37 heures - mais pour les seuls fonctionnaires. Ce qui signifie concrètement qu'il compte faire travailler les agents deux heures de plus sans majoration de rémunération... à l'exception des enseignants du secondaire. Une vieille idée partagée par la quasi-totalité des ténors de la droite... et par certains de la gauche qui n'osent pas trop la mettre en avant.

Le retour du remplacement d'un fonctionnaire sur deux... mais étendu à la territoriale

Toujours au chapitre des fonctionnaires, l'ancien président, s'il revenait aux affaires, promet de rétablir la règle du non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partants à la retraite. Son successeur à l'Elysée, François Hollande, lui, s'était juste engagé à ne pas augmenter le nombre des fonctionnaires. Ce qui est d'ailleurs globalement le cas dans la fonction publique d'Etat. En revanche, les effectifs de la fonction publique territoriale ont progressé de 1,5% (0,8% hors contrats aidés) en 2014 passant à 1,98 million. C'est pour cette raison que Nicolas Sarkozy souhaite étendre sa règle du non remplacement d'un retraité sur deux aux collectivités territoriales. Il se dit prêt à modifier la Constitution s'il le faut pour y parvenir. De fait, le principe de la libre administration des collectivités locales, confirmé par la révision constitutionnelle de mars 2003, semble devoir interdire d'imposer une telle règles aux collectivités locales. En outre, ce serait remettre en cause l'une des grandes règles de la décentralisation. Nicolas Sarkozy risque de se mettre à mal de nombreux élus.

"Nationaliser" l'assurance chômage


L'ancien Chef d'Etat maintient également son intention de nationaliser l'assurance chômage si les partenaires sociaux, gestionnaires de l'Unedic, ne parviennent pas à rétablir les comptes et s'ils n'adoptent pas la dégressivité des allocations chômage. Ce serait une première. L'Unedic a été créée en 1958 par les organisations patronales et syndicales. C'est une association loi 1901 et donc un organisme de droit privé chargé d'une mission de service public. Si l'idée de Nicolas Sarkozy entrait en application, ce  serait la première fois qu'il serait ainsi mis fin au paritarisme au profit d'une reprise en mains directement par l'Etat... On retrouve là la méfiance séculaire de Nicolas Sarkozy envers les corps intermédiaires.

Porter l'âge de la retraite à 63 ans, puis 64 ans


Outre la suppression du compte pénibilité - ce qui ne constitue pas une surprise -, Nicolas Sarkozy prône également une révision des retraites. Il veut porter l'âge légal de départ à 63 ans en 2020 puis à 64 ans dès 2025. Chez lui, cette idée n'est pas neuve. Mais, surtout, elle va entrer en application avant même que Nicolas Sarkozy revienne éventuellement aux affaires. En effet, le 30 octobre dernier, afin de soulager les finances des régimes complémentaires de retraite Arrco et Agirc, les organisations patronales et syndicales ont décidé qu'un salarié, disposant de toutes ses annuités et qui déciderait de prendre sa retraite à 62 ans, verrait sa retraite complémentaire amputée de 10% (la retraite de base n'est pas concernée) par an pendant deux ,voire trois ans, avant de pouvoir de nouveau obtenir une retraite à taux plein à 65 ans. En revanche, si un salarié accepte de travailler quatre trimestres de plus et ne liquide sa retraite qu'à 63 ans, le malus serait annulé. Et, il bénéficiera même d'un bonus de 10% (uniquement pendant sa première année de retraite) s'il travaille jusqu'à 64 ans. Bonus qui grimpera à 20% (toujours pendant un an) pour trois ans de travail de plus et à 30% pour quatre ans de plus.
Concrètement, tout est donc fait pour dissuader un salarié de partir à la retraite avant 63 ans. Or, ce qui a été fait pour les retraites complémentaires aura forcément un impact sur la retraite de base... Donc, de facto, le « projet Sarkozy » s'appliquera d'une façon ou d'une autre, que l'ancien président revienne aux affaires ou pas. Mécaniquement, l'âge du départ à la retraite va reculer.


Aligner les retraites des fonctionnaires sur celles du  privé

Par ailleurs, vieille lune régulièrement remise sur le devant de la scène, le président de LR veut également aligner les règles de calcul des retraites des nouveaux fonctionnaires sur celles des salariés du privé, en prenant en compte non plus les six derniers mois de traitement mais les 25 dernières années. En compensation, les primes seraient incluses. Une réforme à la portée très symbolique. Certes, la prise en compte des seuls six derniers mois de traitement pour les fonctionnaires est régulièrement dénoncée. C'est même la dernière grande différence dans le calcul des retraites entre le public et le privé, depuis que les réformes des retraites de 2010 et 2014 ont décidé d'aligner les taux et la durée de cotisation retraite des fonctionnaires sur ceux du privé. Mais, si l'on y regarde de plus près, il apparaît que, globalement, le taux de remplacement (niveau de la retraite par rapport au salaire antérieur) est grosso modo du même niveau entre les salariés du privé et les agents du public, autour de 70%. Et Nicolas Sarkozy devra bien faire tourner sa calculette s'il veut inclure à l'avenir les primes des fonctionnaires dans le calcul de la retraite sur la base de 25 années de traitement. En effet, en moyenne, les primes représentent 15% de la rémunération des fonctionnaires mais ce taux grimpe à 36% pour certain fonctionnaires « cadres » ou pour les aides-soignants par exemple. Aussi, in fine, inclure les primes pourrait davantage peser sur les finances publiques que les soulager. Mais, étrangement, Nicolas Sarkozy ne dit rien des régimes spéciaux (EDF, RATP, etc.). D'ailleurs, lors de l'émission des "Paroles et des actes " sur France 2, ce jeudi 4 février, il a également éludé la question; c'est vrai qu'à l'époque,pour faire passer  un minimum de réforme, il avait passé une sorte de "deal" avec... la CGT, pourtant honnie.