Le compte personnel d'activité ou la genèse d'une sécurité sociale professionnelle

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1151  mots
Le compte personnel d'activité permettra notamment à toute personne de garder ses droits sociaux et de se former en cas de réorientation professionnelle.
Le compte personnel d'activité (CPA) doit, à l'avenir, permettre de faciliter la mobilité des salariés et des non salariés en leur assurant de ne pas perdre une partie de leurs droits sociaux. Un rapport remis au Premier ministre jette les bases de ce qu'il pourrait être concrètement.

« La protection des actifs est née des métiers. Elle s'est développée sur la base du salariat, dans le cadre d'appartenances professionnelles stables et définies (...). Sans dénier son caractère collectif, il s'agit maintenant de l'organiser autour de la personne ». Ainsi débute le rapport de France Stratégie sur le futur « compte personnel d'activité » (CPA),  remis aujourd'hui au premier ministre.

Annoncé par le président de la République en avril dernier, le CPA est alors qualifié par François Hollande "de plus grande réforme sociale du quinquennat". Sa création a été actée par la loi Rebsamen d'août 2015 sur le dialogue social. Le sujet doit faire l'objet d'une table ronde lors de la conférence sociale du 19 octobre qui réunira les organisations patronales et syndicales et le gouvernement. Ensuite, syndicats et patronat devront se prononcer avant le 1er décembre sur leur souhait ou non d'ouvrir une vaste négociation sur le CPA, sachant que ce nouveau dispositif doit commencer de voir partiellement  le jour au 1er janvier 2017.

Permettre la portabilité des droits tout au long de la vie même en cas de changement de statut

Voilà pour le calendrier. Reste à essayer de comprendre ce qu'est le CPA, c'est tout l'objet du volumineux rapport (près de 160 pages) du rapport de France Stratégie.

La réforme proposée est extrêmement ambitieuse et vient bousculer toute l'architecture sociale actuelle. Il s'agirait selon France Stratégie d'instituer un système universel à points dont chaque personne résidant en France, salariée ou non, serait dotée dès l'âge de 16 ans. Ce compte comporterait des droits « portables » tout au long de la vie afin de sécuriser les parcours professionnels. L'idée est donc de regrouper les comptes existants (formation, pénibilité, épargne-temps, voire assurance chômage avec les droits rechargeables...), pour constituer un "capital" attaché à la personne plus qu'au statut professionnel. Les droits se conserveraient tout au long de la vie, quelles que soient les ruptures sur le marché du travail. Et le titulaire disposerait d'un droit de tirage, notamment pour se former, se réorienter faire une pause dans sa carrière, etc. . Un dispositif qualifié par Manuel Valls de "sécurité sociale professionnelle"... une expression chère à la CGT.

Le CPA serait financé par plusieurs sources publiques (Etat, régions, sécurité sociale, etc.), via un redéploiement de certaines dépenses actuelles, et privées (entreprise et personne porteuse du compte), via, par exemple, l'argent de la formation professionnelle ou des mécanismes d'épargne.

Trois scénarios envisageables

Concrètement, selon France Stratégie, le CPA pourrait prendre trois formes.

Un premier scénario préconise un CPA orienté vers la formation pour permettre « la capacité d'évolution professionnelle ». Mais, pour France Stratégie, ce premier scénario « ne permet pas à lui seul d'atteindre complètement les objectifs poursuivis par le CPA ».

Il s'agirait de regrouper le compte personnel de formation (CPF), le compte personnel de prévention et pénibilité (CPP), le compte épargne temps (CET), voire l'épargne salariale et les jours de RTT...  Tous ces droits seraient convertis en points qui pourraient être utilisés pour financer des actions de formation, d'accompagnement d'aide à la mobilité, d'aide à la création d'entreprise. Le tout pour inciter à davantage de mobilité professionnelle.

Deuxième scénario: un CPA « ciblé sur la liberté de l'usage des temps au long de la vie ». L'objectif principal de cette vision du CPA est « la liberté des individus dans et par le travail grâce à une meilleure articulation de leurs différents temps de vie et une reconnaissance de leurs activités, y compris non marchandes (soins aux proches, engagement syndical, associatif, service civique) ». Une sorte de « banque du temps » en fait. Sous cette forme de CPA, la notion de capacité (pouvoir faire) est préférée à celle d'employabilité. Seraient alors mobilisés les droits à la formation et les droits à congés (congés payés, RTT, etc.) qui seraient utilisés pour mieux articuler les différents temps de vie (professionnel, personnel, familial, social, etc.).

Pour France Stratégie, cette forme de CPA :

« offre aux personnes davantage de liberté dans l'exercice de leurs responsabilités. Cela se traduira par des articulations renouvelées entre les temps consacrés à l'emploi rémunéré et aux autres sphères de la vie. Pour les employeurs, cette flexibilité accrue dans la gestion des temps peut également être un atout, dans la mesure où elle permet plus de fluidité et de souplesse face aux variations des commandes ou de la conjoncture ».

Troisième scénario: un CPA ciblé « sur l'accès aux droits et la sécurité des transitions ». Selon France Stratégie, « Il inscrit le CPA dans une vision plus large visant à donner à chacun une meilleure connaissance et un accès plus simple à ses droits sociaux afin de lui permettre d'être davantage acteur de son parcours ».

 Cela suppose donc d'assurer la continuité des droits sociaux de manière à éviter les ruptures et pertes de droits entre deux statuts. Cette forme de CPA regrouperait l'ensemble des droits (CPF, CET, mais aussi assurance maladie, retraite, assurance chômage). Il permettrait aussi d'avoir accès aux informations utiles en termes de droits sociaux : famille, maladie, chômage, etc. Dans ce scénario, France Stratégie qualifie le CPA de « compte-ressources ».

Cela permettrait, par exemple, à un salarié qui veut passer en indépendant de savoir quel impact aura ce changement sur sa retraite. Où à un travailleur qui risque d'être licencié de connaître ses droits au chômage. Le numérique jouerait un rôle prépondérant avec la création d'une plateforme. France Stratégie développe d'ailleurs énormément sur l'importance de l'outil numérique pour faire fonctionner le CPA.

On le voit, le sujet est vaste, il mérité encore d'être affiné et précisé. Le chantier devrait s'étendre sur plusieurs années selon France Stratégie. Le 1er janvier 2017 ne constituera qu'une première étape de son application. A cet égard, le rapport suggère qu'à l'horizon 2017, l'effort se concentre sur trois aspects du CPA :

« − les droits nouveaux, sous forme d'abondements au compte, pour les personnes fragilisées par un éloignement durable de l'emploi ou un manque de qualifications (jeunes décrocheurs et chômeurs de longue durée, notamment) et d'une portabilité étendue de certains droits ;

− le développement, en lien avec les futurs utilisateurs, d'un site et d'une application regroupant les principaux droits et les informations et services qui auront été jugés les plus utiles ;

− la mise en œuvre d'un accompagnement renforcé et rénové, qui pourrait dans un premier temps passer pour les jeunes décrocheurs par une extension de la garantie jeune par le CPA et pour les autres actifs par un accès renforcé au conseil en évolution professionnelle ».