Le maquis des niches fiscales dans le viseur de la Cour des comptes

Par Grégoire Normand  |   |  926  mots
D'après un récent rapport de la Cour des comptes, les niches fiscales, qui ont été évaluées à plus de 100 milliards d'euros pour 2018, souffrent "d'une stratégie de pilotage lacunaire et d'un défaut d'appropriation".

Les niches fiscales font une nouvelle fois l'objet de vives critiques. Dans son dernier rapport sur l'exécution du budget de l'État pour 2018 publié la semaine dernière, la Cour des comptes a pointé l'explosion du coût de ces dispositifs et le manque de pilotage dans la gestion de ces outils régulièrement débattus dans l'espace public. Lors de son intervention le 25 avril dernier, Emmanuel Macron a expliqué que la baisse de l'impôt sur le revenu de 5 milliards d'euros qui devrait concerner plus de 15 millions de foyers fiscaux pourrait être financée en partie par la suppression de certaines niches dédiées aux entreprises. Ces pistes d'économies ont rapidement suscité la colère de certaines organisations patronales comme le Medef qui avait réagi dans un communiqué :

« Le financement de cette baisse par une suppression de crédits d'impôt (niches fiscales) des entreprises est totalement inacceptable et revient à augmenter les impôts au moment où les entreprises françaises connaissent le taux de prélèvements obligatoires le plus haut des pays de l'OCDE. Les chefs d'entreprise du Medef seront très vigilants à ce que les principales réductions d'impôts soient maintenues et en particulier le Crédit d'impôt recherche, vital pour l'économie du pays. »

Le gouvernement, qui a pendant longtemps défendu une politique de l'offre censée favoriser la compétitivité des entreprises, s'est retrouvé sous le feu des critiques dans ce contexte d'exaspération fiscale. Les ministres de Bercy, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin, doivent bientôt rendre leur copie au Premier ministre pour préciser les niches qui pourraient potentiellement disparaître. En attendant, les craintes se multiplient chez les principaux bénéficiaires des niches aussi bien chez les ménages que pour les entreprises.

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Une explosion des coûts

Le document présenté par les magistrats de la juridiction administrative indique que le coût de ces dépenses fiscales a explosé entre 2013 et 2018 passant de 72,1 milliards à 100,2 milliards d'euros. Il a ainsi progressé de 34% sur cette période et de 0,9 point de PIB depuis 2013, et s'établit à 4,3% du PIB en 2018. Cette forte augmentation des coûts s'explique en grande partie par la montée en puissance du Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).

En 2014, ce dispositif mis en place sous François Hollande représentait 6,4 milliards d'euros contre 20,1 milliards en 2018. « Depuis 2013, le déploiement de ce crédit d'impôt destiné aux entreprises explique 72% de la hausse du coût total des dépenses fiscales », expliquent les auteurs du document. Ce crédit fait lui aussi l'objet de controverses sur son efficacité malgré la multiplication des évaluations qui donnent parfois des résultats contradictoires.

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Sur l'ensemble des niches fiscales (474) recensées par la Cour des comptes, 15 concentrent une majorité des coûts. Outre le CICE, il s'agit par exemple du crédit d'impôt recherche (6 milliards dans le PLF 2019), le crédit d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile (4,6 milliards) ou de nombreuses dérogations pour la taxe sur la valeur ajoutée (médicament, travaux pour les logements sociaux,...). En 2018, 22 niches fiscales représentaient un coût supérieur à 1 milliard d'euros. « Le coût global de ces mesures est chiffré à 67,37 milliards d'euros dans le PLF pour 2019. » Par ailleurs, « la concentration du coût des dépenses fiscales ne doit donc pas occulter la multitude de petits dispositifs, dont l'efficacité, la pertinence ou l'impact ne sont pas établis », ajoute la Cour.

Des dépenses peu modifiées

Outre le coût des niches fiscales, les travaux des fonctionnaires signalent que de nombreux dispositifs n'ont pas été modifiés depuis des années, voire des décennies alors que les conditions économiques et sociales du modèle français ne sont plus les mêmes.

« Ainsi, plus de 110 dépenses fiscales recensées dans l'annexes "Voies et moyens" du PLF pour 2019 n'ont pas été actualisées depuis 2000. Parmi elles, trois dépenses fiscales créées avant 1940 n'ont ainsi pas été modifiées depuis plus de vingt ans comme l'exonération d'IS des chambres de commerce maritime par exemple. »

Un défaut de pilotage et d'évaluation

La multiplication des niches depuis plusieurs décennies n'a pas facilité non plus la maîtrise et le pilotage de tous ces outils. Sur ces deux derniers sujets, la juridiction exprime un jugement particulièrement sévère dans son dernier rapport :

« Les dépenses fiscales souffrent d'un défaut de pilotage et d'appropriation. Par ailleurs, comme pour 2017, la Cour relève un défaut d'évaluation et l'insuffisante articulation des dispositifs avec les objectifs des politiques publiques auxquelles ils sont rattachés. Les critères permettant de s'assurer de leur efficience ne sont donc pas réunis. »

Le manque d'évaluation au fil du temps de certaines niches alimente également les critiques et met parfois en cause leur légitimité. « Au-delà des seuls chiffrages, qui demeurent imparfaits, les dépenses fiscales doivent faire l'objet d'évaluations afin de s'assurer de leur efficacité et de leur efficience. Or, à l'exception du suivi annuel du CICE, celles-ci sont quasi inexistantes et incomplètes. » Ce défaut d'évaluation se traduit par exemple par un déficit de connaissances des bénéficiaires des niches fiscales. Sur les 474 dépenses fiscales répertoriées, l'identification des bénéficiaires n'est disponible que pour 252 d'entre elles. Dans le maquis des niches fiscales, les fonctionnaires de Bercy peuvent rapidement s'y perdre.