Le "rapport Terrasse" propose de crédibiliser et d'encadrer l'économie collaborative

Par Mathias Thépot  |   |  1176  mots
Un rapport sur l'économie collaborative différencie les modèles Blablacar de Uber
Le député PS Pascal Terrasse rend ce lundi un rapport qui propose de mieux encadrer l'économie collaborative, et tente de lui rendre ses lettres de noblesse en rappelant qu'elle ne se limite pas aux très polémiques Uber et Airbnb mais concerne près de 300 plateformes.

Dans un rapport rendu public ce lundi à 18 heures, le député Pascal Terrasse (PS) propose au gouvernement de mieux encadrer l'économie collaborative, qui représente aujourd'hui un chiffre d'affaires de 2,5 milliards d'euros en France. Il exige notamment plus de transparence pour les plateformes numériques de type Airbnb, Uber ou BlaBlaCar.

Du reste, le député tente d'exclure la spécificité du modèle Uber, l'entreprise de véhicules de tourisme avec chauffeur, qui a le plus fait polémique ces derniers mois, du cadre de l'économie collaborative.

« L'économie collaborative ce n'est pas l'ubérisation", indique-t-il. Il souhaite en quelque sorte redorer le blason d'une économie qui a vu la médiatisation des plateformes géantes comme Uber et Airbnb concentrer les critiques.

« Les plateformes d'économie collaborative ne se limitent pas aux deux secteurs les plus médiatiques que sont l'hébergement (Airbnb) et la mobilité (Uber) mais interviennent dans de nombreux secteurs de l'économie », indique le rapport, qui rappelle qu'au total, la France compte 276 plateformes dans les secteurs des transports, du logement, du financement, de l'habillement, de l'équipement, de l'alimentation, de la logistique, du divertissement et du caritatif.

Uber fait-elle partie de l'économie collaborative ?

Pascal Terrasse déplore notamment qu'avec Uber, « on a polarisé le débat autour des « travailleurs » de l'économie collaborative, alors que la question qu'il soulève (nature du lien entre la plateforme et les chauffeurs), si elle se pose régulièrement dans le cadre de la profession de taxis, semble beaucoup moins représentative de l'économie collaborative dans ce qu'elle a de spécifique ». D'ailleurs, Pascal Terrasse « se demande si les plateformes de services de type Uber relèvent effectivement de l'économie collaborative ».

Bref, il souhaite rappeler que les plateformes de l'économie collaborative sont aussi « une alternative crédible à un modèle de consommation qui s'essouffle » qui peuvent prendre l'apparence d'associations sans but lucratif comme d'entreprises capitalistes. Ainsi l'économie collaborative promet beaucoup, notamment en termes de partage et de création de lien social.

Mais tout de même, au-delà des deux grandes sociétés qui font le plus polémiques, les plateformes collaboratives restent souvent perçues par les professionnels comme une forme de concurrence déloyale.

Tenir ses promesses

Le député Terrasse en est conscient. « Pour tenir ces promesses, l'économie collaborative doit elle-même prendre ses responsabilités », indique -t-il. Il suggère au gouvernement 19 propositions pour mieux l'encadrer, notamment sur le plan fiscal, et pour obtenir plus de transparence sur les sites. « L'économie collaborative n'est pas une zone de non droit » , insiste le parlementaire, qui propose « d'assurer la contribution des plateformes aux charges publiques de la France » . « Alors que les entreprises numériques sont appelées à capter une part importante de la création de valeur (...), certaines mettent en œuvre des stratégies d'évitement de l'impôt », regrette Pascal Terrasse, en référence aux géants du net, dont certains font partie de l'économie collaborative.

« Sans préjuger de la légalité des montages fiscaux mis en oeuvre, il faut relever que les plateformes Uber et Airbnb, dont les sièges sociaux sont situés aux États-Unis, pilotent leur activité européenne depuis des sociétés implantées respectivement aux Pays-Bas et en Irlande, qui sont celles avec lesquelles contractent les utilisateurs. Ces plateformes s'acquittent de l'impôt sur les sociétés sur la base du résultat imposable de leur établissement implanté en France, qui n'est pas représentatif du volume d'activité réalisé par ces plateformes sur le marché français », déplore-t-il.

Différencier Uber de Blablacar

Le parlementaire appelle ainsi l'Etat « à agir pour que ces grandes entreprises étrangères paient leurs impôts en France ». Sur la même ligne, le rapport demande une clarification de la distinction entre « revenu et partage de frais et celle de l'administration sociale sur la notion d'activité professionnelle ». Il souhaite concrètement différencier les acteurs qui relèvent selon lui de l'économie du partage sans poursuite de but lucratif, dans laquelle il inclut notamment Blablacar et Guest to Guest, des entreprises capitalistes.

« L'administration devra expliquer que certaines activités ne créent pas de revenu imposable (comme le covoiturage) et que, quand elles dépassent la pratique amateur, ces activités exigent que l'utilisateur s'enregistre en tant que professionnel », affirme-t-il.

Pascal Terrasse suggère d'ailleurs que « les plateformes qui ont connaissance des revenus dégagés par leurs utilisateurs (puissent) en communiquer les montants aux administrations sociales et fiscales en vue de fiabiliser les déclarations des contribuables ». Ce sujet très polémique, car les plateformes qui rechignent pour l'instant à ouvrir leurs bases de données au fisc. Or une transmission directe de ces données au fisc pourrait grandement faciliter l'équité fiscale, et serait même cohérente, dit le rapport Terrasse, avec le basculement attendu vers le prélèvement de l'impôt à la source en 2018.

Meilleure information des consommateurs

Pour que les sites soient plus transparents, le député énumère également une série de propositions. Il souhaite notamment la création d'un « espace de notation des plateformes » et que le consommateur dispose « d'une information claire, lisible et accessible sur les responsabilités de la plateforme, la qualité de l'offreur et les garanties associées à son statut ». Le rapport constate aussi que « les systèmes de notation et d'avis en ligne ne sont pas parfaitement fiables » et préconise que « le consommateur puisse évaluer la confiance qu'il peut accorder à ces dispositifs ».

Parmi les autres propositions, Pascal Terrasse évoque la création d'un observatoire de l'économie collaborative ou encore de promouvoir des « territoires collaboratifs expérimentaux » afin de « mettre en place des outils locaux de partage de biens et services à l'échelle locale, en particulier dans les territoires ruraux ».

Rien sur la protection sociale

Enfin, concernant, le sujet épineux de la protection sociale, le rapport Terrasse propose de ne rien créer de nouveau, puisqu'il existe déjà plusieurs dispositifs permettant de sécuriser les parcours des travailleurs indépendants. Pourtant les travailleurs indépendants cotisent de fait moins que les salariés. Et même si seuls 5 % des Français perçoivent aujourd'hui plus de la moitié de leurs revenus de l'économie collaborative, la protection de ces travailleurs n'est pas un sujet à prendre à la légère.

De même le rapport n'entre pas dans le détail concernant l'encadrement des relations de travail, notamment pour les plateformes de services et leurs utilisateurs-prestataires dont elles tirent leurs revenus. Il renvoie cette question aux discussions entre les partenaires sociaux qui ont choisi d'inscrire la question de l'économie numérique à l'agenda social 2016.

Bref, il se dégage de ce rapport un certain évitement des sujets les plus épineux qui découlent du développement exponentiel des plateformes de l'économie collaborative, à qui l'on reproche de trop mettre en avant leurs bonnes intentions, alors que certaines ne souhaitent que mettre en œuvre un idéal mercantile.

(Avec AFP)