Les discriminations accentuent fortement le chômage des immigrés

Par Grégoire Normand  |   |  980  mots
En France, le taux de chômage des immigrés est supérieur d'environ 8 points par rapport au taux de chômage total.
Les immigrés et leurs enfants, notamment maghrébins, sont plus touchés par le chômage que les personnes nées en France selon une étude de l'Ined publiée ce mercredi. L'institut a mis en évidence une corrélation entre leur sentiment de discrimination et leur situation objective.

Les discriminations à l'embauche pour les populations immigrées (*) ne résultent pas seulement d'une perception subjective. D'après une étude menée par l'institut national d'études démographiques (Ined), publiée ce mercredi 12 juillet, l'excès de chômage chez les immigrés et leurs enfants s'explique bien par des données objectives et pas seulement par le ressenti des victimes de discriminations à l'embauche.

Un chômage bien plus prononcé chez les immigrés

Dans son enquête intitulée "Le chômage des immigrés : quelle est la part des discriminations ?", la chercheuse Dominique Meurs rappelle que le taux de chômage est plus élevé parmi les immigrés et fils et filles d'immigrés d'origine non européenne que parmi les actifs de la population générale. Selon les données de l'Insee et du ministère de l'Intérieur, le taux de chômage des immigrés est supérieur d'environ 8 points par rapport au taux de chômage total sur la période 2011/2015 et l'écart s'accroît même sur les deux dernières années disponibles.

Une partie de ces écarts de chômage peut s'expliquer par ce que l'universitaire appelle "des effets de composition". Elle rappelle qu'il faut prendre en compte les effets d'âge ou d'éducation mais également d'autres caractéristiques personnelles comme "le niveau de français (pour les immigrés), la possession d'un permis de conduire, l'état de santé." D'autres variables comme la situation familiale (être en couple, avec ou sans enfants), peut jouer sur l'activité, surtout pour les femmes. Et même en tenant compte de tous ces facteurs, le taux de chômage des immigrés reste néanmoins supérieur de 4 ou 5 points par rapport aux autres. "En d'autres termes, le constat de surchômage se maintient même après la prise en compte d'un très grand nombre de variables."

Un ressenti des discriminations

Les études concernant les discriminations à l'embauche se concentrent régulièrement sur le ressenti des victimes. Dominique Meurs souligne dans son travail que "les immigrés et fils et filles d'immigrés non européens déclarent plus que les autres avoir vécu des situations de refus injustifiés d'emploi". Dans une enquête publiée à l'automne dernier par le Défenseur des droits, les répondants rappelaient que les origines représentaient le premier motif de discrimination rencontré habituellement, suivi du nom de famille et/ou du prénom et enfin de la couleur de peau. Sur l'échantillon retenu (758 personnes), plus de 60 % des personnes interrogées indiquaient avoir été "souvent" ou "très souvent" confrontées aux discriminations dans l'accès au travail au cours des cinq dernières années.

 > Lire aussi : Discriminations à l'embauche : un recours très faible aux droits

Par ailleurs, l'enquête Trajectoires et Origines (TeO), réalisée en 2008 (**) par l'Ined et l'Insee illustrait déjà les discriminations subies par cette population. A la question "Au cours des cinq dernières années, est-il arrivé qu'on vous refuse injustement un emploi? ", les immigrés et fils et filles d'immigrés non européens déclaraient plus que les autres avoir vécu des situations de refus injustifiés d'emploi. Mais là encore, si des caractéristiques individuelles peuvent expliquer une partie des écarts, la prise en compte de ces facteurs n'expliquent pas toutes les discriminations. Il peut y'avoir un fossé très important (jusqu'à 13 points) entre les deux groupes étudiés (immigrés non européens et population majoritaire) comme l'illustre le graphique ci-dessous.

Lecture : la proportion d'individus ayant déclaré avoir fait l'objet de discrimination en matière d'emploi au cours des cinq dernières années parmi les fils d'immigrés nés au Maghreb est supérieure de 13 points de pourcentage à celle du « groupe majoritaire » (hommes nés en France métropolitaine de parents français).

Une corrélation entre le ressenti et la situation des discriminés

Pour aller au delà de la collecte des sentiments et perceptions de discriminations, l'Ined a comparé le ressenti de chaque personne à sa situation objective sur le marché du travail.

"Par exemple, si, dans un groupe d'actifs, un homme diplômé, avec le permis de conduire, une bonne santé, etc. est au chômage alors que ses homologues sont massivement en emploi, cela signale une anomalie qui peut être indicatrice d'une discrimination à l'encontre de cette personne".

Au final, l'institut observe bien une "correspondance entre ce que les individus déclarent avoir vécu comme discrimination dans l'accès à l'emploi et la mesure objective de l'injustice de leur situation actuelle". Malgré la campagne de sensibilisation lancée par l'ancien gouvernement il y a plus d'un an, les phénomènes de discriminations à l'embauche restent bien ancrées dans les pratiques de recrutement des entreprises françaises.

_____

(*) Selon la définition adoptée par le Haut Conseil à l'Intégration, un immigré est une personne née étrangère à l'étranger et résidant en France. Les personnes nées françaises à l'étranger et vivant en France ne sont donc pas comptabilisées.

(**) L'enquête Trajectoires et Origines (TeO), réalisée en 2008 parl'Inedetl'Insee, vise à décrire e tanalyser les conditions de vie et les trajectoires sociales des individus en fonction de leurs origines sociales et de leur lien à la migration. L'enquête TeOa été réalisée auprès d'environ 21000 personnes nées entre 1948 et 1990, vivant dans un ménage ordinaire en France métropolitaine en 2008. Pour les individus fils ou filles d'immigré ou d'une personne née dans un DOM, le champ de l'enquête est limité aux personnes nées après 1958.

_____

> Pour aller plus loin, lire l'opinion de Marie-Anne Valfort, membre associé à PSE-Ecole d'économie de Paris et maître de conférences à l'Université Paris 1 Panthéon-SorbonneMusulmans : la réalité des discriminations au travail