Une majorité de Français veut qu'Emmanuel Macron garde Edouard Philippe à Matignon

Par Philippe Mabille  |   |  1430  mots
(Crédits : GONZALO FUENTES)
SONDAGE. Emmanuel Macron va-t-il se séparer d'Edouard Philippe ? Alors que les rumeurs de remaniement battent le pavé, notre sondage exclusif IFOP La Tribune-Europe 1-Public Sénat fait apparaître qu'Edouard Philippe est la personnalité politique la plus populaire pour "réinventer" la France. Une majorité de Français souhaite qu'il reste Premier ministre, selon un sondage Elabe pour BFMTV et Berger Levrault.

Malgré la crise sanitaire, nulle malédiction de Matignon ne semble atteindre l'actuel Premier ministre, si l'on en croit notre sondage Ifop pour La Tribune et Europe 1. Interrogés pour savoir en qui ils ont confiance pour « réinventer la France », les Français ont placé Édouard Philippe largement en tête avec 45% des répondants, sur une liste de 40 personnalités (voir le tableau ci-dessous).

L'écart se creuse nettement avec Emmanuel Macron qui apparaît au neuvième rang à 32%, talonné par le Général de Villiers, l'ancien chef d'État-major des Armées qu'il avait viré manu militari en 2017. Édouard Philippe, choisi au début du quinquennat pour incarner le « en même temps » macronien par une belle « prise » à droite, est en train de réaliser un joli contrepied de boxeur en imposant sa carrure dans l'opinion face à un président dont il devient en quelque sorte le caillou dans la chaussure, celui qui fait mal quand on marche trop longtemps avec, mais que l'on ne peut que difficilement enlever.

Selon Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l'Ifop, Édouard Philippe connaît « un véritable état de grâce » : 94% des sympathisants LREM ont confiance en lui pour réinventer la France et malgré la « trahison » de 2017, le Premier ministre qui n'a jamais rallié En Marche, le parti du président, il bénéficie de la confiance de 65% des sympathisants LR. Quels que soient les scénarios pour son avenir, maintien à Matignon ou retraite dans sa ville du Havre, il semble donc devenu incontournable. Il est en tout cas devenu plus difficile pour Emmanuel Macron de justifier son départ, sinon pour se débarrasser d'un rival. Le chef de l'Etat, sans que rien ne perce de ses intentions, a salué dimanche soir la "belle victoire" de son Premier ministre et l'a reçu lundi "en tête à tête" avant l'échange prévu avec les 150 Français membres de la convention citoyenne pour le climat.

Confirmant notre sondage Ifop,réalisé les 18 et 19 juin, un autre sondage réalisé par Elabe pour BFM TV et Berger Levrault, une majorité de Français se prononce, à 57%, en faveur d'un maintien d'Edouard Philippe à la tête du gouvernement, seulement 42% souhaitant un renouvellement. Si celui-ci devait avoir lieu, il pourrait être remplacé par l'actuel ministre des affaires étrangères, le breton Jean-Yves Le Drian. Mais la défaite de la gauche à Lorient, la ville au port militaire dont le maire PS était soutenu par l'ancien ministre de la Défense de François Hollande, est une épine. "Promouvoir un perdant en virant un vainqueur", difficile à justifier confie un proche du pouvoir... D'autres noms, comme celui de Florence Parly, actuelle ministre de la Défense, ou Jean-Louis Borloo, qui vient de démissionner du conseil d'administration de Huawei France, sont cités.

Selon notre sondage, les personnalités issues de la droite l'emportent nettement dans l'opinion pour réinventer la France. Le président de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand, devenu le premier opposant du président de la République, sort du lot en quatrième position avec 38% de confiance devant Nicolas Sarkozy (5e à 36%), François Baroin, Bruno Le Maire ou Valérie Pécresse. « Un nouvel espace politique semble en train de s'ouvrir pour la droite modérée », souligne Frédéric Dabi.

Quant à la gauche, « elle souffre toujours de son absence d'incarnation » souligne Frédéric Dabi: on ne trouve dans les quinze premiers de la liste que Jean-Yves Le Drian, possible successeur d'Édouard Philippe à Matignon (8e place avec 35% de confiance) et Arnaud Montebourg (12e avec 26%), qui fait son come-back sur la dé-mondialisation ambiante. De même, analyse Frédéric Dabi, « la crise sanitaire ne semble pas avoir profité aux partis tribuniciens » : Marine le Pen (RN) y apparaît à la quinzième place et Jean-Luc Mélenchon (LFI) à la 29e.

Le trio de tête qui ressort du sondage Ifop est aussi très signifiant puisque juste derrière Édouard Philippe vient en second Nicolas Hulot, l'ancien ministre de l'Écologie qui a quitté avec fracas le gouvernement pour dénoncer l'impuissance de l'État sur la transition énergétique. Avec 44% de confiance pour réinventer la France, c'est tout un symbole alors que les municipales de 2020 ont permis à EELV de conquérir plusieurs grandes villes. En troisième position, avec 42% de confiance, et ce n'est sans doute pas qu'anecdotique, on retrouve Didier Raoult, le vibrionnant médecin épidémiologiste marseillais, qui incarne désormais mieux que personne le camp des « anti-système » en brandissant son remède miracle contre la Covid-19 et son bon sens de praticien face aux lobbys du médicament. Une conviction très "Gilets Jaunes", la couleur de la chevelure de notre Panoramix du Sud.

A qui saura le mieux incarner la réinvention de la France appartiendra sans doute le sceptre dans deux ans. Et ce d'autant que notre sondage Ifop donne une feuille de route assez claire à l'actuel président comme à ses compétiteurs.

La feuille de route pour réinventer la France

Dernière partie de notre grand sondage Ifop, que veulent les Français maintenant que la crise sanitaire est peut-être finie, mais que le pays entre dans une longue et sans doute douloureuse récession ? Plus optimistes sur la situation sanitaire en raison de la réussite, à date, du déconfinement, les Français sont franchement pessimiste sur la situation économique et sociale du pays et le taux de chômage qui seront les sujets de la rentrée. Alors que la consommation reprend lentement, les trois-quarts des Français sont inquiets pour leur niveau de vie et 86% sont pessimiste pour l'emploi face à la multiplication des annonces de plans sociaux.

Très naturellement en découle une feuille de route pour les mois qui viennent : priorité à la relance de l'économie (94%), mais aussi à la protection de l'emploi et à la limitation des plans de licenciements (95%). Des attentes largement anticipées par le gouvernement qui outre les plans sectoriels pour l'aéronautique, l'automobile, la culture ou le tourisme, travaille sur un plan de relance à la rentrée, pour aider les entreprises et les plus fragiles à traverser une crise inédite. Sur les licenciements, la généralisation du chômage partiel de longue durée apporte aussi une réponse avec la perspective d'accords de sauvegarde de l'emploi dans les secteurs et les entreprises impactées.

Priorité à la reconstruction de l'économie, mais aussi projection dans un monde nouveau et différent : les Français, critiques de la mondialisation, réclament des politiques de souveraineté dans la défense des industries stratégiques, l'indépendance sanitaire et alimentaire. Ils ne pardonneront pas deux fois l'histoire des masques manquants et les mensonges sur leur utilité sanitaire. Les Français réclament aussi plus de solidarité, avec la revalorisation des plus bas salaires, des métiers qui ont démontré leur « utilité commune » pendant le confinement et attendent plus de moyens pour l'hôpital et les personnels soignants. L'impréparation sanitaire a frappé les esprits et a même fait penser à « l'étrange défaite » de 1940, référence au livre de l'historien Marc Bloch. A 78%, les Français appellent à une plus grande décentralisation pour transférer les pouvoirs de décision au niveau local, au plus près des réalités du terrain. Les défaillances de l'Etat centralisateur et les lourdeurs bureaucratiques constatées pendant l'épidémie ne sont pas passées inaperçues.

Reste l'éternelle question fiscale : qui va payer la facture de la crise ? Alors qu'Emmanuel Macron a écarté toute hausse des impôts à l'automne, afin de ne pas pénaliser le pouvoir d'achat, le sujet divise les Français. 7 sur 10 considèrent comme tout à fait ou plutôt prioritaire de rétablir l'impôt sur les grandes fortunes et de faire « payer les riches » au travers de la taxe « Jean Valjean » (du nom d'un personnage des Misérables de Victor Hugo) revendiquée par l'acteur Vincent Lindon pour taxer de façon exceptionnelle les patrimoines supérieurs à 10 millions d'euros. Derrière ces sujets fiscaux traditionnels totems à gauche, on retrouve la question centrale de la lutte contre des inégalités aggravées par la crise.

RETROUVEZ CE VENDREDI EN KIOSQUES ET SUR LATRIBUNE.FR DANS NOTRE EDITION SPECIALE ETE 2020 LES RESULTATS COMPLETS DE NOTRE SONDAGE IFOP LA TRIBUNE EUROPE 1 AVEC LES CHANGEMENTS ATTENDUS SUR LES MODES DE VIE. ET NOS ANALYSES POLITIQUES? ECONOMIQUES, SECTORIELLES ET REGIONALES SUR LES CONSEQUENCES D'UNE CRISE INEDITE.