Loi Travail : le FN face à ses contradictions économiques

Par Mathias Thépot  |   |  1168  mots
Les amendements des sénateurs FN à connotation très libérale révèlent de fortes contradictions idéologiques en interne du parti.
La polémique autour des amendements des parlementaires FN « libéraux », retirés par l'Etat-major du parti sur une ligne économique plus « sociale », marque les contradictions au sein du parti d'extrême droite. Pourtant, celui-ci tente de donner une impression d'unité à son électorat.

Le Front national serait-il, enfin, rattrapé par ses contradictions idéologiques en matière d'économie ? Les débats parlementaires autour de la loi Travail auront en tout cas permis de faire éclater au grand jour les divisions internes au sein du parti d'extrême droite sur ce sujet. Le journal Marianne a récemment rapporté que des amendements à la loi Travail déposés par deux parlementaires frontistes, David Racheline et Stéphane Ravier, respectivement sénateurs du Var et des Bouches-du-Rhône, et maires de Fréjus et du 7ème arrondissement de Marseille, étaient mystérieusement passés à la trappe.

Ces amendements prônaient des mesures pour le moins libérales : le relèvement des seuils sociaux, l'encadrement de l'activité syndicale, la facilitation des accords d'entreprises ou la défiscalisation des heures supplémentaires... Or ces propositions s'inscrivent à contre-courant de la ligne politique développée ces dernières années par la présidente du parti Marine Le Pen, et son très influent vice-président Florian Philippot, qui a par ailleurs déclaré que la loi Travail était une « loi infâme », qui « précarise les travailleurs ». C'est pourquoi la direction du FN a fait supprimer ces amendements, ainsi que ceux de la députée du Vaucluse Marion-Maréchal Le Pen et du député du Gard Gilbert Collart, qui étaient similaires aux amendements de leurs collègues sénateurs.

Contradictions idéologiques

Certes, la direction du Front national pourra toujours avancer, du haut de sa posture de parti « hors système », qu'elle ne voulait pas participer à l'élaboration d'une loi gouvernementale et donc qu'elle a fait retirer les amendements. Mais il n'en reste pas moins que le contenu des amendements des parlementaires frontistes fait état d'une contradiction idéologique profonde à l'intérieure du parti. Avec d'un côté les tenants d'une ligne économique libérale plus « historique », et de l'autre les partisans d'une ligne plus « sociale » développée plus récemment, dans le cadre de la stratégie de "dédiabolisation" du parti entreprise par Marine Le Pen et l'ancien « chevènementiste » Florian Philippot.

Il est en fait assez rare que ces contradictions éclatent sur la place publique, car les élus qui représentent la frange la plus libérale du parti frontiste s'expriment peu sur l'Economie. Sur ces sujets sensibles, c'est bien la direction du parti qui à la mainmise. Il faut dire que le virage vers une politique économiquement plus sociale basée sur la « protection des travailleurs » a une importance majeure dans les « succès » récents du parti d'extrême droite dans les urnes. Cette opération séduction des électeurs déçus par les partis politiques de gauche a permis, en premier lieu, de récolter les voix de ceux qui ont subi les ravages de la désindustrialisation des années 1980-1990, notamment dans le grand quart Nord-est de la France.

Virage social

Ainsi le FN mise désormais sur un Etat stratège protecteur et dénonce la « politique économique ultralibérale » européenne qui laisse des « milliers de travailleurs sur le carreau ». Le parti fondé par Jean-Marie Le Pen s'est ainsi érigé en parti du peuple, s'opposant aux intérêts des grandes entreprises mondialisées. Ce « virage social » est même clairement assumé par Marine Le Pen. Elle déclarait ainsi dans un excellent reportage de France 3 datant de 2014* avoir changé d'opinion sur le rôle de l'Etat en France, dont elle dénonçait pourtant la gabegie dans les années 1980 et 1990.

Pour justifier l'importance de l'Etat, la présidente du FN citait dans ce reportage l'exemple de la grand-mère espagnole habitant en campagne qui ne pouvait plus recevoir son courrier après la privatisation de la Poste en Espagne. Des propos d'une portée hautement symbolique quand on sait que son père Jean-Marie Le Pen, tenant de la ligne économique libérale plus « historique » du parti, écrivait dans les années 1980 que « les monopoles comme les postes (...) devraient être transformés en société privées ». A l'époque, Margaret Thatcher et Ronald Reagan étaient les maîtres à penser du fondateur du parti frontiste.

Rhétorique de gauche

L'État serait donc devenu, selon Marine Le Pen, indispensable face aux dérives du capitalisme financier. Une rhétorique de gauche qui ne fait évidemment pas que des heureux en interne. Et au-delà de l'exclusion fracassante de Jean-Marie Le Pen du parti, on vient donc de constater dans le cadre des discussions sur la loi Travail que les parlementaires frontistes du Sud-Est restent très attachés au « moins d'Etat ».

Il faut dire que le bastion électoral historique du FN dans le Sud-est est constitué d'une part plus importante de CSP + et de retraités. Cette zone est en outre bien moins touchée par le chômage que l'autre bastion du FN, le grand quart Nord-est, où les ouvriers prennent une part prépondérante dans le vote frontiste. Économiquement, les besoins de ses populations sont donc bien différents. Ils s'opposent parfois. Et sur des questions comme la flexibilité de l'emploi, la taxation des hauts revenus, voire la sortie de l'euro, le Front national aura le plus grand mal à satisfaire globalement son électorat s'il arrivait au pouvoir.

Un parti hors système ?

Or ces sujets majeurs sont volontairement omis par la direction FN qui souhaite poursuivre sa stratégie de dédiabolisation, sans pour autant perdre un électorat historique. Elle marche donc sur des œufs. Mais jusqu'ici, le Front national y arrive notamment parce qu'il exerce des responsabilités limitées. Il est certes à la tête de dix mairies, mais ce sont au mieux des villes de taille moyenne. Le FN ne gouverne ni région, ni grande ville, là où les responsabilités impliquent des choix politiques forts en matière d'économie, et où l'on ne peut pas indéfiniment se réfugier derrière les décisions contraignantes de l'Etat. Dans sa stratégie de premier parti d'opposition du pouvoir établi, le Front national a donc jusqu'ici pu camoufler ses contradictions en matière d'Economie.

Comme les deux principaux partis français de gauche et de droite, le FN est donc perclus de divergences internes. Et ces divergences sont au moins aussi, si ce n'est plus, importantes qu'à l'intérieur du PS et des "Républicains". Comme eux pourtant, le FN tente savamment de masquer à son électorat ses divergences pour donner une impression d'unité. Il persiste à s'ériger en parti « hors système » qui refusera tout compris « pour le peuple ». Mais en tant que parti à dimension nationale, l'hétérogénéité de son électorat lui imposera d'en faire, notamment en matière d'Economie. Sur ce point, au regard des différents courants qui le compose, le FN est donc un parti comme les autres. Et lorsqu'il sera rattrapé par les responsabilités politiques, une frange importante de son électorat se trouvera fort déçue.

* Ravis pour Marine, de Frédéric Biamonti France 3