Malgré Strasbourg et les annonces de Macron, les "Gilets jaunes" prêts pour l'"Acte V"

Par latribune.fr  |   |  1380  mots
(Crédits : STEPHANE MAHE)
Un mois après le début de leur mouvement, les "Gilets jaunes" maintenaient la pression vendredi à la veille d'un "acte V" qui fait débat après une semaine marquée par les annonces d'Emmanuel Macron et l'attentat de Strasbourg.

Les mesures dévoilées lundi par le chef de l'Etat - hausse de 100 euros des revenus au niveau du Smic, exemption de la hausse de la CSG pour les retraités gagnant moins de 2.000 euros par mois... - et les appels à "suspendre" le mouvement après l'attentat du marché de Noël mardi soir n'ont guère entamé la détermination des "gilets jaunes".

"C'est le moment où justement il ne faut pas lâcher (...). On doit continuer", a exhorté jeudi Eric Drouet, un des initiateurs du mouvement, dans une vidéo sur Facebook : "Ce que Macron a fait lundi, c'est un appel à continuer parce qu'il commence à lâcher quelque chose et, venant de lui, c'est inhabituel."

"Dans l'Ariège, ça ne désarme pas, les annonces de Macron ne suffisent pas. Les gens au pouvoir sont très déconnectés de ce que les Français vivent", estime Guilhem Boudon, pasteur à Mirepoix venu à Paris dès vendredi en vue de l'"Acte V".

Après quatre samedis de mobilisation, dont trois émaillés de spectaculaires violences et dégradations, certains prônent toutefois l'apaisement. Le collectif des "Gilets jaunes libres", qui a fait dissidence du "canal historique" qu'ils jugent trop radical, appelle ainsi à une "trêve", estimant que "le temps du dialogue est venu".

L'association Robin des Bus, qui a amené des "gilets jaunes" nordistes depuis trois weekends, a, elle, annulé les départs prévus samedi, signe que les manifestants ne "se sont pas mobilisés pour aller à Paris", a déclaré Thibault Vayron, son président.

Mais sur Facebook, principal canal de mobilisation de ce mouvement, les nombreux appels à un "Acte V" réunissent toujours plusieurs milliers de "participants".

Samedi dernier, la quatrième journée de mobilisation a rassemblé 136.000 manifestants en France, selon le ministère de l'Intérieur, et s'est soldée par un nombre record d'interpellations (près de 2.000), plus de 320 blessés et des dégâts et affrontements dans plusieurs villes, comme Paris, Bordeaux et Toulouse.

Le dispositif policier dans la capitale sera "assez semblable" à celui du 7 décembre, avec 8.000 forces de l'ordre déployées et appuyées notamment par 14 véhicules blindés à roues (VBRG), a indiqué le préfet de police Michel Delpuech.

Le weekend dernier, un total de 89.000 forces de l'ordre avait été déployé sur le territoire.

La CGT déboussolée tente de se faire entendre

Déboussolée par le mouvement des "Gilets jaunes", qui a obtenu des concessions de l'exécutif, la CGT bat le pavé vendredi pour réclamer des hausses de salaires et essayer de se faire entendre. La CGT a critique les annonces lundi d'Emmanuel Macron, avec notamment une hausse de la rémunération des salariés au Smic sans mettre à contribution les entreprises.

"Nous allons de nouveau interpeller le président de la République et le Premier ministre pour que des négociations s'ouvrent sur l'augmentation du Smic", a déclaré Philippe Martinez, dont le syndicat réclame un salaire minimum à 1.800 euros brut (contre près de 1.500 actuellement).

"Les mobilisations ne s'opposent pas. C'est bien qu'il y ait des actions collectives, des 'Gilets jaunes', 'Gilets rouges', 'Gilets bleus', peu importe. Maintenant, il faut que ces actions puissent converger", s'est exclamé son numéro un Philippe Martinez, juste avant de manifester à Paris, de la place de la République à celle de la Nation.

Solidaires et la FSU, premier syndicat dans l'Education nationale, participent au mouvement, ainsi que les étudiants de l'Unef et les lycéens de l'UNL. Des unions départementales de FO sont également présentes dans les cortèges.

Mot d'ordre du jour: "Tous mobilisés pour le libre accès à l'éducation, l'emploi, les salaires, les services publics, la retraite par répartition".

A Rennes, près de 400 personnes ont défilé sans incident dans le froid et sous un grand soleil, dont des enseignants, des pompiers-secouristes, des personnels des hôpitaux, a constaté un journaliste de l'AFP. Ils étaient quelque 500 (selon la préfecture) au Puy-en-Velay, le cortège mêlant salariés et syndicalistes (notamment de Michelin et de la SNCF), enseignants, lycéens et quelques rares "Gilets jaunes". A Grenoble, 1.400 personnes ont manifesté (selon la préfecture), de même qu'à Saint-Etienne.

Les lycéens étaient nombreux partout, affichant des banderoles comme "Sélection, piège à cons" ou "Notre plus beau patrimoine, c'est notre jeunesse". Certains chantaient "un pas en avant et deux pas en arrière, c'est la politique du gouvernement".

A Paris, des dizaines d'entre eux se sont agenouillés mains sur la tête, en écho aux interpellations de Mantes-la-Jolie la semaine dernière, avec une pancarte: "Alors les CRS, ça gaz ?"

En interne, plusieurs fédérations ont souhaité que "des discussions puissent se tenir partout" avec les "Gilets jaunes" pour que "chacun contribue dans son domaine à développer le rapport de force". "La CGT ne peut pas détourner le regard de cette colère sociale", ont écrit plusieurs dizaines de ses militants, dont l'ancien délégué des "Conti" Xavier Mathieu, dans une "lettre ouverte" relayée par le quotidien Libération.

Le 1er décembre, alors que le mouvement des "Gilets jaunes" avait démarré depuis deux semaines, la CGT a rassemblé 2.100 personnes selon la police - 15.000 de source syndicale - pour une journée traditionnelle de mobilisation en faveur des précaires et des chômeurs.

Les sites marchands ou le risque des centre-villes ?

"On dirait que les gens ont oublié que Noël est dans dix jours", confiait cette semaine La Grande Récré. L'enseigne de jouet évoquait jeudi un "décalage des ventes du dimanche au vendredi", mais pas d'arrêt depuis le début du mouvement des "Gilets jaunes."

Lourdement touchés par quatre samedis de blocages des accès aux centres commerciaux, de fermetures de magasins et de violences, les commerçants faisaient grise mine vendredi à la veille de "l'acte V" des "gilets jaunes", alors que pour certains, les ventes réalisées en fin d'année peuvent représenter jusqu'à 50% du chiffre d'affaires annuel.

Président de la Fédération pour la promotion du commerce spécialisé Procos, François Feijoo a carrément appelé jeudi à "l'union sacrée de l'écosystème du commerce", en évoquant une "situation très difficile pour les équipes des magasins qui la vivent très durement".

"Personne ne pensait que (le mouvement des "gilets jaunes") prendrait cette ampleur, ni le gouvernement, ni les acteurs économiques, ça a surpris tout le monde", analyse auprès de l'AFP Yves Marin, consultant au sein du cabinet Bartle.

La poursuite des manifestations, combinée au sentiment d'insécurité engendré par l'attaque à Strasbourg mardi, pourraient avoir des conséquences sur la consommation, alors que Noël constitue traditionnellement un pic en termes de dépenses, avec un budget global (cadeaux, repas, transports, décorations) estimé, selon une étude Cofidis/CSA, à 571 euros, déjà en baisse de 178 euros par rapport à 2017.

"Très concrètement, cela signifie moins de déplacements, ou des déplacements moins dangereux, c'est-à-dire vers son clavier ou son centre-ville" plutôt que les gros centres commerciaux, explique Yves Marin.

"Les reports se feront sur internet, c'est un peu la solution de facilité", assure aussi à l'AFP Nathalie Damery, co-fondatrice de l'Observatoire Société et Consommation (Obsoco). Elle pense aussi qu'il y aura peut-être au pied du sapin davantage d'enveloppes garnies d'espèces ou de bons-cadeaux que les années précédentes.

"Il n'y a clairement pas de report des achats sur internet", affirme en revanche Marc Lolivier, délégué général de la Fédération de l'e-commerce et de la vente à distance Fevad. Il évoque un "effet de sidération" chez les consommateurs, incitant plus à s'informer qu'à dépenser sur la Toile.

"Tout cela n'est effectivement pas très propice à l'achat plaisir et génère un climat tendu, comme on l'avait déjà constaté en 2015", après les attentats à Paris, poursuit-il. "Les remontées que l'on a depuis dix jours font état d'un impact négatif sur la croissance" des sites de e-commerce interrogés par la Fevad, de l'ordre de 6 à 7% au lieu des 14% prévus en novembre-décembre à périmètre non constant.

(avec agences)