Pauvreté : comment Mélenchon gonfle les bilans de Hollande et Sarkozy

Par Grégoire Normand  |   |  991  mots
En présentant le chiffrage de son programme, Jean-Luc Mélenchon a amplifié le bilan des anciens présidents en matière de pauvreté.
[Fact-Checking] Jean-Luc Mélenchon a présenté le week-end dernier le chiffrage de son programme économique pour la présidentielle. Lors de cette présentation, il en a profité pour relayer des chiffres sur la pauvreté sous les mandats de Nicolas Sarkozy et François Hollande en s'appuyant sur des statistiques qui sont difficilement comparables.

Pour appuyer son programme économique et ses mesures de relance, le candidat de la France insoumise a diffusé sur Twitter des chiffres sur l'évolution du nombre de pauvres entre 2007 et 2015 (+ 1 million) et entre 2012 et 2015 (+ 300.000).

Quelle définition de la pauvreté ?

Le Conseil européen a adopté une définition de la pauvreté qui précise que doivent être considérés comme pauvres "les personnes dont les ressources (matérielles, culturelles ou sociales) sont si faibles qu'elles sont exclues des modes de vie minimaux acceptables de l'État membre où elles vivent". Les instituts de statistiques nationaux et Eurostat mesurent la pauvreté monétaire de manière relative en utilisant un seuil de pauvreté. Ce dernier est défini par rapport aux niveaux de vie d'une population. L'Insee rappelle à ce titre qu'"une personne est pauvre si son niveau de vie est inférieur à 60 % du niveau de vie médian de la population française."

Une comparaison difficilement tenable

En France, la pauvreté est essentiellement mesurée par l'Insee. L'Observatoire national de la pauvreté (ONPES) ou l'Observatoire des inégalités fournissent également des chiffres et analyses sur le nombre de pauvres dans l'Hexagone. Mais les chiffres les plus commentés demeurent ceux fournis par l'Insee chaque année.

Dans une étude publiée en septembre dernier sur les niveaux de vie, l'Insee dresse un tableau avec plusieurs indicateurs consolidés relatifs à la pauvreté :

Crédits : Insee

Dans une approche en valeur absolue, le tableau indique que le nombre de pauvres est passé de 7,836 millions en 2008 à 8,76 millions en 2014. Pour 2015, les derniers chiffres publiés sont encore des estimations. Le taux de pauvreté aurait augmenté passant de 14,1% à 14,3% entre 2012 et 2015. Avec une simple règle de trois, cela signifie qu'il y aurait 8,88 millions de pauvres en France en 2015. Si on s'appuie sur les chiffres de 2008 et ceux encore non définitifs de 2015, cela correspond à une hausse de un million comme l'indique le tweet de Jean-Luc Mélenchon. De même que si l'on regarde le premier chiffre de 2012 (8,54 millions) et celui de 2015, cela correspond peu ou prou aux 300.000 évoqués dans les chiffres relayés par M.Mélenchon.

Sauf que que la comparaison entre les chiffres de 2015 et les chiffres antérieurs à 2012 n'est pas pertinente en raison d'un changement de méthodologie opéré par l'institut. En effet, le tableau de l'Insee pour l'année 2012 comporte deux entrées avec deux chiffres différents pour cette même année. L'institut de statistiques a changé de méthodologies en indiquant sous son tableau,

"** Cette série a été recalculée à partir des données de l'année 2012 en cohérence avec les modifications méthodologiques intervenues sur les données de 2013 ."

Outre la mention d'un changement de calcul, les auteurs de l'étude apportent peu de précisions. Contacté par la Tribune, l'Insee renvoie à son enquête Revenus fiscaux et sociaux (ERFS) de 2013. Ce document indique clairement que "l'enquête Revenus fiscaux et sociaux (ERFS) a connu en 2013 des améliorations méthodologiques importantes". L'organisme de statistiques poursuit :

"Ces innovations, de nature méthodologique, modifient le niveau des indicateurs fournis par l'enquête. Leur effet doit donc être neutralisé pour analyser proprement l'évolution de ces indicateurs d'une année sur l'autre. C'est pourquoi une nouvelle estimation de l'enquête Revenus fiscaux et sociaux 2012 a été produite, selon les mêmes procédures que celles retenues pour l'ERFS 2013. Elle conduit à de légères révisions des résultats publiés en septembre 2014 sur les niveaux de vie en 2012. En particulier, le taux de pauvreté pour l'année 2012 est révisé à la hausse de 0,4 point (de 13,9 % avec l'ancienne méthodologie à 14,3 % avec la nouvelle). L'indice de Gini est lui aussi revu à la hausse, de 0,303 à 0,305. "

Cela signifie que l'équipe de Mélenchon a sélectionné le premier chiffre de 2012 sur le nombre de pauvres alors que pour réaliser une comparaison entre 2012 et 2015, il aurait été plus pertinent de sélectionner le second chiffre. Si l'on s'appuie sur ce dernier chiffre et l'estimation de 2015, la hausse s'élève à environ 56.000 et non 300.000 comme l'affirme le député européen. Au delà des chiffres sélectionnés, c'est la méthode employée par l'équipe de campagne de l'ancien sénateur qui sème le doute sur l'honnêteté des chiffres présentés.

Un changement de périmètre à partir de 2008

Afin d'établir des comparaisons dans le temps, les approches en valeur relatives sont souvent considérées comme des outils plus pertinents.  A ce titre, les derniers chiffres publiés indiquent que le taux fin 2015 (14,3%) équivaut à celui de fin 2012(14,3%) mais reste bien supérieur à celui de 2007 (13,7%). Mais là encore, ces chiffres sont à interpréter avec précaution. Dans une tribune publiée en octobre dernier sur le site de l'Observatoire des inégalités, le sociologue Louis Maurin revenait sur le changement d'approche et de périmètre dans les méthodes de calcul de la pauvreté qui ont engendré des conséquences sur les chiffres publiés :

"Jusqu'en 2008, le seuil de pauvreté le plus souvent utilisé était équivalent à la moitié du revenu médian, revenu qui partage en deux la population, autant gagne davantage, autant gagne moins. Depuis 2008, l'Insee utilise la définition européenne de la pauvreté, c'est-à-dire le seuil à 60 % du revenu médian. Ce saut de 50 à 60 % change tout : il fait augmenter le seuil de pauvreté mensuel de 840 à 1 008 euros (pour une personne seule), le nombre de personnes concernées de 5 à 8,8 millions et le taux de 8,1 à 14,1 %."

 Ces changements rendent ainsi les comparaisons antérieures à 2008 encore plus compliquées. En annonçant plus de 1 million de pauvres en plus, l'équipe de Mélenchon aurait dû mentionner un changement de périmètre à partir de 2008.

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