Pourquoi la croissance française est si molle

Par Fabien Piliu  |   |  1371  mots
La stratégie économique du gouvernement est encore floue. Parce que qu'elle à définir ?
Le PIB a progressé de 1,1% en 2015, soit 0,1 point de plus que ce qu'anticipait le gouvernement. Les marges de progression paraissent assez faibles.

Pari tenu ! En 2015, le PIB a progressé de 0,2% au quatrième trimestre ! Grâce à cette performance, la croissance annuelle s'est élevée à +1,1%. L'objectif gouvernemental est dépassé. Il aurait même pu l'être davantage si le climat avait été moins doux, ce qui aurait fait remonter les dépenses énergétiques, et si la peur des attentats n'avait pas paralysé une partie des citoyens.

Tout est dit ? Ce serait formidable. Ce le serait d'autant plus si le taux de chômage n'avait pas atteint 10,2% de la population active au troisième trimestre et si celui des 16-24 ans ne flirtait pas avec les 20%...

Certes, l'objectif du gouvernement a été dépassé et il faut s'en réjouir. C'est trop rarement le cas. La prudence de Michel Sapin, le ministre des Finances a payé. Cet éternel optimiste a dû se tordre le bras pour ne pas réviser à la hausse l'estimation officielle du PIB au début de l'année 2015. La chute des prix des matières premières, et notamment du baril de brut, la dépréciation de l'euro face au dollar, deux éléments qui ont permis le redressement de la compétitivité prix du made in France, ainsi que la politique expansionniste de la Banque centrale européenne (BCE) qui offre des conditions d'emprunts attractives, pouvaient inciter à l'optimisme. Un tel alignement des planètes est si rare. Et pourtant, il a tenu bon !

Toutefois, dépasser de 0,1 point un objectif si peu élevé n'est pas un exploit incroyable. Comment expliquer la faiblesse de la reprise française, inférieure à celle affichée par la plupart des membres de la zone euro et du Royaume-Uni ?

Deux moteurs sur trois sont allumés

Pour quelles raisons l'économie française ne décolle-t-elle pas ? Le problème est structurel. Sur les trois moteurs de la croissance, deux seuls tournent actuellement. Plutôt au ralenti. Stimulée par la chute des prix du brut qui allège leur facture énergétique, la consommation des ménages résiste. En hausse de 1,4 point, elle a accéléré de 0,8 point entre 2014 et 2015. C'est un progrès réel. Mais il convient de rappeler que cette progression se situe bien loin de celle affichée pendant une bonne partie des années 2000. Jusqu'en 2008, la consommation annuelle des ménages augmentait en moyenne à un rythme supérieur à 2%.

Par ailleurs, cette bonne tenue - relative - de la consommation a un impact limité sur l'activité, le taux de couverture export/import étant négatif depuis 2003. En clair, quand les ménages consomment, les entreprises françaises ne sont pas les seules à en profiter. C'est donc sans surprise que le commerce extérieur pèse statistiquement sur l'activité. En 2015, il a retiré 0,2 point de PIB à la croissance, en dépit de la chute des cours du pétrole et du repli de l'euro face au dollar.

Seule bonne nouvelle figurant au bilan de l'exercice 2015, l'investissement des entreprises repart. Il a ainsi augmenté de 0,9% au premier trimestre puis de 0,5% au cours des deuxième et troisième avant de signer un bond de 1,9% au quatrième trimestre ! En 2015, la formation brute de capital fixe (FBCF) a progressé de 2%, comme en 2014.
Malheureusement, ce rebond de l'investissement privé ne compense pas le repli continu de l'investissement public (-3,1% après -6,9%) et de l'investissement des ménages (-3% après -5,3%). Pour résumer, la consommation et l'investissement - partiellement - stimulent l'activité quand le commerce extérieur la plombe.

Politique de l'offre ou politique de la demande ?

Dans ce contexte, le gouvernement a-t-il les moyens de rééquilibrer le modèle de croissance tricolore ?

On peut l'espérer. A condition qu'il ait une vision, un cap et qu'il respecte les objectifs qu'il se fixe. Pour l'instant, n'en déplaise aux ténors de Bercy, la stratégie reste encore à établir. Coincé entre des idéaux de gauche et des impératifs de résultats en matière de croissance et d'emploi, le gouvernement ne sait comment s'y prendre. Depuis 2012.

Cette reprise désynchronisée de l'investissement illustre parfaitement cette absence de stratégie claire et précise. La reprise de l'investissement des entreprises s'explique en partie par la politique de l'offre menée par le gouvernement depuis 2012. Conjugués à la chute des cours du brut, le lancement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), les allégements de cotisations patronales intégrés dans le Pacte de responsabilité - d'autres interviendront en avril - la mesure temporaire de suramortissement décidée en avril, ont permis le redressement du taux de marge des entreprises. Après plusieurs années de désinvestissement, elles ont enfin les moyens de renouveler une partie de leur parc de machines.

Mais cette reprise de l'investissement privé est fragile. D'une part, rien n'indique que l'investissement restera dynamique, une fois la mesure de suramortissement stoppée, en avril 2016. D'autre part, les carnets de commande sont plombés par l'austérité imposée par l'exécutif, qui fait plonger l'investissement public. Quant à l'investissement des ménages, il reste faible. Faut-il rappeler que six millions de personnes sont inscrites à Pôle emploi ? Par ailleurs, les allers-retours du gouvernement dans le domaine de l'accession à la propriété ont désorienté les ménages et en particulier les primo-accédants.

Bref, que ce soit pour des raisons politiques - le gouvernement ne veut pas donner trop de gages au patronat - ou pour des raisons budgétaires - bien que la France emprunte depuis un an à des taux négatifs - la politique de l'offre menée par l'exécutif n'est pas franchement assumée. Ce que donne le gouvernement d'une main, il le reprend de l'autre, selon le principe des vases communicants.

C'est également le cas de la politique de la demande. La question de sa légitimité ne se pose pas. Pour être efficace, une politique de l'offre doit avoir pour pendant un soutien à la demande. Mais là encore, les impératifs budgétaires limitent les effets de cette stratégie. Les allègements d'impôts accordés aux ménages les plus modestes de la classe moyenne ne permettent pas réellement à la consommation de décoller, on l'a vu.

Quel est le cap ?

Aux errements de la politique économique gouvernementale, qu'un certain nombre de citoyens considèrent comme un volontarisme mou et désordonné, s'ajoutent les malentendus et donc les inquiétudes que provoquent certaines déclarations ministérielles. Quand Emmanuel Macron, le ministre de l'Economie porte haut les couleurs de l'entrepreneuriat, encourage les plateformes « collaboratives » de type Uber à continuer à se développer, il provoque l'inquiétude, sinon la colère de ceux qui subissent de plein fouet leur concurrence jugée déloyale.

Après le petit commerce, l'hôtellerie-restauration, les taxis, quels seront les prochains métiers touchés par l'arrivée des nouvelles technologies ? Pour l'instant, le gouvernement n'a pas encore donné de réponse officielle même si des rumeurs bruissent d'une déréglementation de certaines professions artisanales.

La loi sur les Nouvelles opportunités économiques (Noé) devait en apporter. Intégrées dans le projet de loi sur la réforme du droit du travail et dans la loi sur la République numérique, ses mesures pourraient permettre, espérons-le, d'y voir plus clair sur la vision gouvernementale sur ce sujet de société. Il y a urgence car l'inquiétude des chefs d'entreprises est vive.

Les enjeux ne sont pas seulement microéconomiques. Ils sont également sociétaux. Si ces activités ne sont pas encadrées par la loi, si la fin du salariat est entérinée, l'exécutif a peut-être trouvé la martingale pour réduire le nombre de demandeurs d'emplois, ce qui lui permettrait d'augmenter ses chances de rester au pouvoir en mai 2017.
Mais si telle est l'option choisie, comment peut-on espérer que le modèle social français puisse financièrement survivre ? Si le robinet des cotisations est coupé, la protection sociale est en danger. Tout simplement. Quant à l'objectif de réduction du déficit public de la France, fixé à 3% du PIB en 2017, il devient encore plus hypothétique qu'il ne l'est actuellement.