Pourquoi la Loi Santé rend furieux les médecins libéraux

Par Fabien Piliu  |   |  1052  mots
Opposés au projet de texte porté par Marisol Touraine, les principaux syndicats de médecins pourraient se mobiliser le 3 octobre
Plusieurs syndicats de médecins continuent de s'opposer au projet de Loi Santé porté par Marisol Touraine, la ministre des Affaires sociales. Pour quelles raisons ?

La rentrée s'annonce chaude. Très chaude. Toujours fermement opposés au projet de loi Santé, les syndicats de médecins enchaînent les conférences de rentrée musclées. Après la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), le 26 août, c'est au tour du Syndicat des médecins libéraux (SML) et de l'UMESPE (qui représente les spécialistes) de se déchaîner sur les mesures contenues dans le texte porté par Marisol Touraine, la ministre des Affaires sociales.

Voté en juillet par les députés, le projet de loi Santé est actuellement en débat au Sénat. Prévu en décembre, son adoption définitive à l'Assemblée nationale devrait plutôt intervenir en janvier, compte tenu de l'embouteillage législatif.

" Pendant cette période, nous avons un boulevard pour convaincre le gouvernement, les élus et les citoyens des défauts majeurs de ce texte ", explique Eric Henry, le président du SML.

Vers une étatisation de la médecine libérale ?

Quels sont les reproches faits au texte ?

Globalement, le SML redoute la mainmise de l'Etat sur la médecine libérale, la mise en place d'une médecine "sur-administrée" et éloignée de la réalité du terrain, des préoccupations des patients et des professionnels.

"Parce qu'il n'est pas omniscient, l'Etat ne peut être omnipotent", assène Guilaine Kieffer-Desgrippes au SML.

De fait, le syndicat réclame la réécriture pure et simple de l'alinéa 5 de l'article 1 du projet de texte qui accorde au seul Etat la responsabilité dans le domaine de la santé publique et que soit également mentionnée la responsabilité des professionnels de santé.

Les Autorités régionales de santé (ARS) dans le viseur

La montée en puissance des Autorités régionales de santés (ARS), qui sont le bras armé de l'Etat dans les territoires, est également redoutée.

"La montée en puissance des ARS se traduit progressivement par une perte d'autonomie pour les professionnels et les patients dont les choix en matière de santé se réduisent comme une peau de chagrin. La liberté d'exercer et la liberté d'installation sont clairement menacées pour les professionnels qui ne suivront pas les injonctions des autorités régionales de santé en matière d'organisation des parcours de santé dans les territoires ", poursuit Guilaine Kieffer-Desgrippes.

En clair, le syndicat craint que les ARS n'accordent des subventions qu'aux seuls professionnels conciliants. Ceux qui accepteront d'intégrer les « communautés professionnelles territoriales de santé », par exemple. Le SML souhaite donc la suppression de l'article 12 bis du texte qui renforce, exagérément selon lui, le pouvoir des ARS, et restreint la liberté d'installation des médecins libéraux.

Accès pur et simple "des données de santé des patients"

L'article 47 du texte, qui rend obligatoire la mise à disposition des données de santé des patients à la Caisse nationale d'assurance-maladie, est également dans le viseur du SML.

"Cet article donne purement et simplement l'accès des données de santé des patients aux compagnies d'assurances, au mutuelles, aux GAFAM [les géants de l'informatique que sont Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft] qui pourront les utiliser à des fins commerciales. C'est un marché extrêmement juteux. Selon les estimations, le dossier d'un patient est évalué aux alentours de 600 dollars aux Etats-Unis", explique Sophie Bauer au SML, qui regrette que les patients ne puissent refuser de voir leurs données de santé collectées et que les professionnels de santé n'en aient que très difficilement l'accès.

Sur ce point, le SML remet également en cause la sécurisation des données. " Les gages donnés par le gouvernement sont insuffisants. Il n'existe à l'heure actuelle aucune protection contre les pirates informatiques qui pourront facilement 'casser' les pseudonymes qui masqueront l'identité des patients. L'anonymat complet des dossiers est mille fois préférable mais le gouvernement ne veut pas en entendre parler car il veut pouvoir identifier les patients », ajoute-t-elle. En toile de fond, le SML déplore que des acteurs extérieurs au monde de la santé puissent utiliser ces données à des fins commerciales, alors que cette pratique leur est interdite.

L'opposition au tiers payant est toujours aussi vive

A ces griefs s'ajoutent bien sûr la mise en place du tiers payant qui fait l'unanimité contre lui chez les représentants de médecins. Lors de sa conférence de rentrée, la CSMF, comme l'UMESPE, a appelé à " la désobéissance civile, en n'appliquant pas le tiers payant pour l'aide à la complémentaire santé instauré au 1er juillet, cette mesure étant trop complexe à mettre en œuvre. Nous restons favorables au tiers payant social à la discrétion du médecin". "Cette désobéissance civile se poursuivra à chaque étape d'application obligatoire du tiers payant ", a expliqué le premier syndicat de médecins français estimant que sa généralisation " ouvre la voie à un désengagement de l'assurance maladie obligatoire au profit des assureurs complémentaires et sera techniquement une usine à gaz administrative supplémentaire ".

La CSMF n'est pas la seule à mettre la pression sur le gouvernement. Le SML prévoit de faire feu de tout bois. Comme la Fédération des médecins de France (FMF), l'Union française pour une médecine libre (UFML) et le Bloc, le syndicat de médecins spécialistes, il menace d'une journée d'action le 3 octobre avec une fermeture illimitée des cabinets à partir de cette date. Par ailleurs, quel que soit le syndicat qui en sera à l'initiative, il sera solidaire des prochains mouvements de grève. Les institutions seront interpellées. Le SML manifestera devant le Sénat les 14 et 22 septembre pour interpeller les élus sur les enjeux du texte. Les citoyens le seront également. Le SML viendra à leur rencontre le week-end prochain à la braderie de Lille et lors des Journées du patrimoine.

Une rentrée agitée

Si l'on ajoute à ces combats l'éventuelle mobilisation des urgentistes, inquiets après la présentation du rapport du rapport rédigé par Jean-Yves Grall, le directeur général de l'Agence régionale de santé (ARS) du Nord-Pas-de-Calais, et la mobilisation qui pourrait en découler, il n'y a pas de doute : la rentrée sera chaude.