Création d'entreprises : pourquoi les Corses sont meilleurs

Par Sarah Belhadi  |   |  965  mots
La Corse enregistre un taux de création d'entreprises et de survie sur les trois premières années plus élevé qu'ailleurs. (Crédits : Reuters)
Une enquête de l'Insee, publiée en début de semaine, révèle que les entreprises créées en Corse sont plus souvent pérennes que sur le continent. Explications.

Les Corses seraient-ils plus tenaces et déterminés dans leur projet de création d'entreprise que les continentaux ? Dans son enquête, l'INSEE révèle que, 3 ans après leur création, au premier semestre 2010, 75% des entreprises (hors-auto-entrepreneurs) insulaires sont toujours actives, contre 71% au niveau national. Si l'écart n'est pas exceptionnel, il est néanmoins révélateur d'une dynamique économique qui se distingue des autres territoires du continent.

Ainsi, les grandes entreprises étant peu présentes sur l'île, les offres d'emplois y sont donc assez rares, pour ne pas dire inexistantes. En 2013, on ne comptait que 120 entreprises de plus de 50 salariés, à peine 10 de plus de 250 salariés, d'après les données fournies par Gecodia. Le tissu économique insulaire est donc constitué en majorité de très petites entreprises, de petits agriculteurs et producteurs, d'artisans, de commerçants.

La création d'entreprise en Corse, une nécessité pour échapper au chômage

"Le marché du travail insulaire est restreint : 120.000 actifs dont 72.000 emplois salariés dans le secteur privé. La création d'entreprise est parfois le seul moyen de s'insérer sur le marché du travail, ou l'unique solution pour rester dans l'emploi", explique Guillaume Guidoni, spécialiste de l'économie insulaire, et fondateur du site Corse-Economie.

La conséquence, c'est que le taux de création d'entreprises est élevé : presque 6 pour 1.000 habitants en Corse, à peine 3 pour le Limousin ou la Bretagne.

Pourtant, les régions qui enregistrent un nombre important de créations d'entreprises ont habituellement des taux de survie plus faibles, rappelle l'INSEE. Mais pas en Corse...

La modestie est-elle la clé de la réussite ?

Contre toute attente, ce sont les projets les plus « modestes » qui s'en sortent le mieux. Et si un investissement financier est souvent un gage de solidité, la Corse semble échapper à la règle :

"Dans la région, quels que soient les moyens financiers mis en oeuvre à la création, le taux de survie des entreprises est stable (75%) alors qu'au niveau national, il croit en fonction des montants investis. Il passe de 66% pour les créations ayant nécessité moins de 4.000 euros d'investissement initial à 75% pour celles qui ont occasionné plus de 16.000 euros".

Cette résistance des entreprises se retrouve dans tous les secteurs, même si l'économie corse est largement dominée par deux pôles d'activités qui représentent 70% de l'activité insulaire. " Le tourisme (services, restauration, activités de loisirs) et la construction arrivent en tête. Les 30% restants concernent des secteurs variés comme les technologies de l'information ou les services aux entreprises", détaille ainsi le spécialiste.

Le tourisme dope l'économie insulaire : en 2014, l'Organisation mondiale du tourisme rapporte que les revenus touristiques représentent le tiers du PIB de la Corse. L'INSEE observe d'ailleurs que les créations d'entreprises dans les services sont plus importantes en Corse.

Le chiffre d'affaires des entreprises corses est plus faible qu'ailleurs

Les Corses investissent moins dans leur entreprise, et connaissent un développement plus restreint. Le secteur de la construction est particulièrement concerné  par ce phénomène.

« A peine trois entreprises insulaires de construction sur cinq dépassent 32.600 euros de chiffre d'affaires contre quatre sur cinq en moyenne nationale », indique l'INSEE.

Pour Guillaume Guidoni, cela tient au fait que les entreprises insulaires ont d'abord vocation à assurer un emploi à leur créateur :

"Une fois que ces chefs d'entreprise ont réussi, pourquoi vouloir conquérir un nouveau marché ? Il faudrait recruter un ou plusieurs salariés, ce qui peut être vécu comme une grosse prise de risques. De plus le marché corse n'est pas extensible à l'infini, l'île ne compte que 320.000 habitants".

Le coût du transport, frein au développement des entreprises

Est-ce révélateur pour autant d'un manque d'ambition des entrepreneurs ou de la conjoncture ? "Il est logique que les secteurs de la construction et du tourisme se concentrent sur l'île. Pour les autres, la situation géographique de la Corse pose un vraie problème pour l'export, y compris sur le continent", détaille Guillaume Guidoni.

 Et ce problème, c'est d'abord le coût prohibitif du transport : "Le coût détruit la compétitivité : dès qu'on parle de transport,vous rajoutez 15 à 30% sur le prix de vente", explique l'économiste.

"Si vous avez de gros volumes à l'instar de Pietra (marque de bière d'une brasserie corse), la dépense est envisageable, autrement le coût est trop élevé. Les jeunes entreprises y voient un frein, et ne préfèrent pas prendre ce risque", analyse-t-il.

Les publics peu qualifiés résistent mieux en Corse

L'isolement est peut-être un gros handicap, mais le développement de petites affaires permet aussi à un public plus inattendu de miser sur l'entrepreneuriat. Dans son étude, l'INSEE rapporte que les chômeurs corses ayant créé une entreprise maintiennent plus souvent leur activité au-delà de 3 ans que leurs homologues continentaux.

"L'explication que l'on peut tirer c'est que les moins qualifiés n'ont souvent pas d'autre option, soit ils quittent leur île, ce qui peut constituer un déchirement, ou alors ils montent une petite affaire, comme une buvette de bord de route, ou un camion-pizza. Ce qui explique aussi un chiffre d'affaires et un développement restreint", détaille Guillaume Guidoni.

 Les pistes pour son développement

Enfin, si l'étude ne le mentionne pas, la Corse bénéficie d'un vivier d'entreprises innovantes. Mais pour Guillaume Guidoni, elle n'investit pas assez dans le développement numérique qui permettrait de compenser l'éloignement géographique et le coût des transports élevés :

"En Corse, seulement 0,3% du PIB est consacré à la recherche et au développement. Il faut mettre en place un plan de financement qui permettra de booster les entreprises innovantes et traditionnelles", assure-t-il.