Quel avenir pour l'Etat-Providence en Europe ?

Par Fabien Piliu  |   |  735  mots
Maintien de l'Etat-Providence ou équilbre des finances publiques ? Certains gouvernements doivent choisir.
La course effrénée des pays européens à l'équilibre des finances publiques signe-t-elle la fin de l'Etat-Providence ? Des économistes européens tentent d'ébaucher des solutions pour tenter de préserver les avantages du modèle actuel. L'un deux s'inquiète notamment de "la montée des inégalités sanitaires (...), capable de faire exploser la légitimité sociale de l'Etat".

Les objectifs communautaires dans le domaine des finances publiques feront-elles rendre gorge à l'Etat-Providence ? Réunis au Sénat la semaine passée à l'initiative du Cercle de Belem et de l'Institut Jean Lecanuet, des économistes européens formulent une série d'idées pour conserver l'essentiel de ce modèle de redistribution économique et sociale sur lequel pèse notamment le respect de la règle d'un déficit public inférieur à 3% du PIB que s'imposent les pays de la zone euro.

"Penser que l'on puisse fortifier l'euro en faisant moins de social, en sacrifiant l'Etat-Providence sur l'autel de la rigueur est une grave erreur ", a déclaré en préambule du colloque Yves Pozzo di Borgo, le président de l'Institut Jean Lecanuet et sénateur UDI de Paris. "Il est regrettable que l'Europe s'interroge sur la nécessité d'harmoniser les règles fiscales en Europe, et délaisse la question de l'alignement des règles sociales", a-t-il poursuivi, estimant que certaines dépenses sociales, notamment dans l'éducation et la formation devaient être considérées avant tout comme des investissements d'avenir.

La France n'est pas épargnée

Pourtant, de la France à la Grèce en passant par l'Italie et l'Espagne, cette question est bel et bien au centre des discussions. Dans tous ces pays, l'Etat remet en cause le maintien de certaines de ses fonctions, jusqu'ici intouchables, pour espérer tenir ses engagements budgétaires communautaires. Un exemple : la décision prise en 2014 par le gouvernement de Manuel Valls de moduler les allocations familiales est pour beaucoup un certain coup de canif au contrat social tricolore. En Grèce, la forte diminution du salaire minimum dès 2012 a provoqué l'envolée du taux de pauvreté.

Pour la plupart, les économistes étaient globalement sur la même longueur d'ondes, tout en appelant à une réforme du modèle actuel. Citant le cas de l'Italie, Stefano Adama, professeur à l'université de Banja Luka en Bosnie, estime que l'Etat-Providence est au pied du mur.

"Le malaise social est extrêmement fort. Chez les jeunes, l'exaspération est une réalité. La nostalgie de l'Etat-Providence qui, jusque dans les années 1980, assurait l'essentiel des besoins de la population, est très vive. Elle l'est d'autant plus que cet âge d'or est révolu et que les récentes réformes censées restaurer la compétitivité de l'économie italienne et dynamiser le marché du travail n'ont pas encore produit les effets escomptés", observe l'économiste.

Déléguer certaines missions au secteur privé

"C'est la raison pour laquelle l'Etat Providence doit évoluer", avance Pierre Bentata, professeur à l'ESC Troyes et cofondateur avec Nicolas Bouzou du Cercle de Belem:

"Pour faire face au remboursement de la dette, certaines missions non régaliennes pourraient être déléguées au secteur privé. Sinon, ce remboursement ne sera assumé que par une seule classe de citoyens, mettant en péril la cohésion sociale", poursuit-il.

Alexander Fink, professeur à l'université de Leipzig, est également favorable à ce que l'action de l'Etat se concentre « sur ce qu'il sait faire de mieux », à savoir les fonctions régaliennes : défense, police, justice, éducation. En revanche, la couverture des "petites catastrophes", en particulier dans le domaine de la santé devrait être pris en charge par les individus, via un système d'assurances privées.

"Même chose dans certains domaines de la protection sociale. Ne faudrait-il pas mettre fin à la retraite obligatoire pour laisser les individus gérer eux-mêmes le financement de leur retraite future ?", s'interroge l'économiste.

Relever les défis des inégalités sanitaires

"S'il ne se réforme pas, l'Etat-Providence ne pourra pas faire face aux défis majeurs qui se posent à nous et sur lequel aucune réflexion n'est actuellement menée. Citons notamment la montée en puissance des indépendants, qui remet en cause le salariat et la relation employeurs-employés, et le vieillissement de la population ", explique l'économiste.

Sur ce sujet, Pierre Bentata redoute que le modèle de santé ne puisse assumer le coût financier des prochaines avancées technologiques, participant de ce fait à l'émergence d'une médecine à deux vitesses, les personnes aux revenus les plus élevés ayant seules la capacité financière de recourir aux soins les plus performants.

"La montée des inégalités sanitaires est capable de faire exploser la légitimité sociale de l'Etat", avance Pierre Bentata.