Réformes territoriales : le Sénat réclame des clarifications... et du temps

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1028  mots
En matière de réforme territoriale, le Sénat estime qu'il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. Il faudra du temps pour que les acteurs locaux puissent "digérer" les très nombreuses réformes territoriales adoptées durant le quinquennat de François Hollande.
Nouvelles régions, nouvelle répartition des compétences, développement des intercommunalités... Une commission sénatoriale dresse un premier bilan - mitigé - des diverses réformes territoriales intervenues durant le quinquennat. Beaucoup de temps va être nécessaire pour "digérer" les changements.

En matière de réforme territoriale, le quinquennat de François Hollande se caractérise par une abondance de textes. Loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Maptam) en 2014, loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) en 2015, loi modifiant le statut de Paris en 2017... Les compétences exercées par chaque niveau de collectivités locales ont été redéfinies. La région, notamment, a hérité de toutes les compétences économiques. Les intercommunalités ont été regroupées pour atteindre la taille minimale de 15.000 habitants fixée par le législateur (sauf dérogations pour les territoires ruraux ou montagneux). Les communes ont fusionné pour donner naissance à des « communes nouvelles ». Plus de vingt métropoles ont été créées ou vont prochainement l'être. Le département, après avoir failli disparaître a finalement été conservé. Enfin, pour tenir compte de toutes ces transformations, la carte des services déconcentrés de l'Etat a été modifiée.

Une mission d'évaluation créée par le Sénat

C'est pour tenter d'analyser les conséquences de tous ces changements que le Sénat a institué une « mission de contrôle de la mise en œuvre des dernières lois de réforme territoriale » regroupant des sénateurs de diverses familles politiques. Un rapport sur le sujet doit être adopté avant la fin du mois de mars. Mais après quinze mois de déplacements et l'audition de plus de 250 élus locaux et 200 représentants de l'administration territoriale de l'Etat, la commission a déjà émis quelques souhaits et recommandations.

Sur les communes et l'intercommunalité, la commission constate que « tout a été très vite ». Les nouveaux schémas ont été connus à l'été 2016 et les nouvelles intercommunalités sont censées être opérationnelles depuis le 1er janvier 2017. Or, d'après Mathieu Danaud, sénateur « Les Républicains » de l'Ardèche, "les élus disent, ça va trop vite pour que les intercommunalités puissent réellement exercer leurs nouvelles compétences en matière d'urbanisme, de la gestion de l'eau et de l'assainissement". Il y a aussi manifestement un « problème de proximité ». Certaines intercommunalités regroupent largement plus de 50 communes. Le Sénateur a pris l'exemple de la Haute Garonne ou une intercommunalité regroupe... 144 communes et où siège... 250 conseillers. Il y a donc un risque de voir les petites communes diluées.

S'agissant des métropoles, les rapporteurs constatent qu'il faut absolument revoir la question de "l'articulation des départements et des métropoles en raison de la multiplication de celles-ci [la loi créant le nouveau statut de Paris a en effet instauré sept nouvelles métropoles], sans que les impacts en matière d'équilibre des territoires aient été évalués ». De fait, certaine métropoles « mordent » sur des territoires ruraux, et un conflit de compétences risque de se produire avec les départements.

Par ailleurs, la commission constate que le phénomène des communes nouvelles semble « prendre », avec le regroupement d'environ 1.700 communes qui ont donné naissance à 517 communes nouvelles.

" Ne pas aller trop vite"

Sur les relations départements/nouvelles régions, le sénateur socialiste du Nord, René Vandierendonck, estime que les « choses ne se passent pas trop mal dans la répartition des nouvelles compétences ». Ainsi, s'agissant des transports scolaires dont les régions ont hérité, en Occitanie, par exemple, la nouvelle région a déjà passé avec 13 départements sur 14 des conventions de délégation de cette compétences. Dans le Grand Est, des agences territoriales disposant des compétences économiques ont été instituées. Mais, là aussi, la commission réclame du temps dans l'application des nouveaux « schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation » qui devaient être adoptés avant le 31 décembre 2016 mais qui nécessitent une (longue) phase de contractualisation avec les départements appartenant à la région.

Surtout, les rapporteurs plaident pour « une application pragmatique des dernières réformes » ce qui devrait permettre à des régions de lancer des expérimentations sur le long terme et d'innover. Concrètement, cela devrait signifier que l'organisation territoriale pourrait ne pas être la même sur l'ensemble du territoire.

Les services déconcentrés de l'Etat n'ont pas été regroupés dans le chef-lieu de région

Enfin, quelles ont été les conséquences de la restructuration territoriale sur les services déconcentrés de l'Etat ? Selon, Pierre-Yves Collombat, le sénateur « Rassemblement démocratique et social européen » du Var, il y a incontestablement eu des points positifs. D'abord, il y a eu peu de « mutations forcées » d'agents, géographiques ou professionnelles. En 2016, une évaluation faisait état d'environ 2.200 « mobilités contraintes ». Ensuite, le gouvernement a eu la bonne idée de ne pas centraliser l'ensemble de ses services déconcentrés dans les nouveaux chefs-lieux de régions et, au contraire, de les répartir sur l'ensemble du territoire des nouvelles régions, via une organisation en « multi-sites spécialisés ». Par exemple, dans la nouvelle région Occitanie, 45% des implantations de l'Etat se trouvent dans l'ancienne région Languedoc Roussillon et 55% sur le territoire de l'ancienne Midi-Pyrénées. Pour le sénateur, cette multiplication des sites a ainsi permis de « booster » le développement du numérique.

Cependant, ce fragile équilibre risque de ne pas perdurer selon la commission. Car il y a tout de même une tendance à l'œuvre de voir progressivement muter vers les chefs-lieux de région diverses administrations. Pour l'instant, ce mouvement concernerait essentiellement les grandes associations sportives ou culturelles qui veulent se rapprocher du siège du pouvoir local...

Un dernier point, et pas des moindre, est également soulevé par la commission : à ce stade, la nouvelle organisation territoriale ne permet pas de réaliser des économies, ce qui était tout de même l'un des buts des réformes, notamment via la clarification des compétences qui devait permettre de supprimer les doublons. Mais, les différents rapporteurs reconnaissent qu'il est peut-être trop tôt, en pleine phase de démarrage, pour déjà envisager des économies.