Au G20, la Turquie veut promouvoir la finance islamique

Par Sarah Belhadi, à Bodrum  |   |  650  mots
L'ambassadrice du G20 en Turquie, Ayşe Sinirlioğlu, assure que le G20 est une occasion de promouvoir la finance islamique "qui constitue une opportunité pour l'économie mondiale". Ici, l'ambassadrice en conférence de presse à Bodrum, le 15 juin 2015.
La Turquie, 17e puissance économique mondiale, accueillera le sommet du G20 en novembre prochain. Parmi ses trois objectifs affichés pour soutenir la croissance, le pays plaide pour une économie plus "inclusive". La finance islamique –une finance alternative conforme aux principes de la charia- pourrait, selon la présidence du G20 turc, répondre au problème du financement des entreprises. Pour autant, la promotion de cette finance trouvera-t-elle un écho chez les autres puissances mondiales ?

"La Turquie souhaite promouvoir la finance islamique auprès des membres du G20". Au Mozambique, le 11 juin dernier, lors d'une réunion de la banque islamique de développement (BID) à Maputo,  Burhanettin Aktas, le vice-conseiller au Trésor a donné le ton. Mais un tel type de financement a-t-il des chances de se développer dans les pays occidentaux ? A Bodrum, en pleine préparation du G20 qui aura lieu à Antalya en novembre, l'ambassadrice du G20 en Turquie, Ayşe Sinirlioğlu en est convaincue : "Notre usage (de cette finance) est encore très limité en Turquie. Mais d'autres pays, comme la Grande-Bretagne sont de grands utilisateurs. Le G20 est une occasion de promouvoir ce type de financement qui constitue une opportunité pour l'économie mondiale".

Quant aux éventuelles réticences, l'ambassadrice turque n'y croit pas : "Il y a une attitude très positive de nombreux pays autour de ce financement parce qu'en réalité, plusieurs d'entre eux utilisent déjà ces actifs et ce n'est pas un problème". Emre Deliveli, économiste de formation, chroniqueur économique pour le Hurriyet Daily News, présent aux réunions préparatoires du G20 assure que le développement de cette finance est stratégique pour le pays : " En Turquie, le gouvernement veut commencer par créer une grande place financière à Istanbul. Dans ce domaine, ils veulent se concentrer sur les actifs islamiques. En effet,  nous sommes un pays musulman et c'est un avantage à mettre en avant".

La Turquie, à la croisée de deux civilisations, ambassadrice de la finance islamique

La finance islamique, apparue sous sa forme moderne au début des années 1970, pèserait aujourd'hui près de 2.000 milliards de dollars, selon le Al Huda Center of Islamic Banking and Economics (CIBE). Si cette finance enregistre une croissance à deux chiffres (entre 20 et 25%) , elle ne représente que 2% de l'économie mondiale des affaires, d'après la spécialiste de la finance islamique Kaouther Jouaber, également maître de conférences à Paris-Dauphine. Ce segment a aussi bien mieux résisté à la crise de 2008, puisque cette finance prohibe la spéculation et le prêt à intérêt. Une opportunité à saisir pour Ankara : "La Turquie a raison de poser ce thème sur la table car elle a une expertise dans ce domaine, et elle est à la croisée de deux civilisations. De plus, elle le fait dans un cadre laïque, ce qui lui donne plus de crédibilité", décrypte Kaouther Jouaber.

 De plus, si la Turquie souhaite que les regards des puissances mondiales convergent en ce sens, elle a presque mis de côté la dimension première qui est religieuse : "En Turquie, on ne parle pas de finance islamique mais on utilise le terme de finance participative. Cela permet de parler du thème avec plus d'aisance", détaille la spécialiste. Et malgré son appellation "finance islamique", elle n'est pas réservée exclusivement à un public qui pratique l'islam.

 La finance islamique n'est pas réservée aux musulmans

Ainsi, cette finance, qui n'a pas vocation à supplanter la finance conventionnelle mais à être un complément, séduit aussi des pays non musulmans depuis plusieurs années, assure Emre Deliveli, "Singapour utilise la finance islamique et pourtant ce n'est pas un pays majoritairement musulman, au même titre que la Grande-Bretagne". Elle pourrait aussi intéresser d'autres pays : " En Europe, où vivent de nombreux musulmans, ce type de financement pourrait trouver son public. La France en fait partie », poursuit-il.

 En Malaisie, pays pionnier en la matière, et qui concentre près de deux tiers des émissions mondiales de sukuk (équivalent des obligations), cette finance séduit aussi d'autres communautés, explique Kaouther Jouaber : "La Malaisie est un pays où plusieurs communautés et religions se côtoient. Et la finance islamique s'adresse à tout le monde, les malaisiens d'origine chinoise sont d'ailleurs de grands utilisateurs de cette finance".