Aux États-Unis, la fin des prisons privées

Par Laszlo Perelstein  |   |  801  mots
Aux Etats-Unis, la dernière saison de la série télévisée Orange Is The New Black met en lumière les problèmes rencontrées dans une prison privatisée : gardes peu entraînés, manque de moyen et surpopulation carcérale.
Créées pour faire face à une augmentation importante du nombre de détenus dans les prisons fédérales, ces établissements privés ne répondent pas aux exigences du ministère de la Justice en matière de sécurité, notamment. La baisse du nombre de personnes incarcérées représente ainsi une opportunité pour les États-Unis.

Les États-Unis vont mettre un terme au recours aux institutions privées correctionnelles, a annoncé jeudi 18 août le département américain de la Justice. Sur les quelques 123 prisons que comptent les États-Unis, 13 d'entre elles sont gérées par des entreprises privées. D'ici à l'année prochaine, leur nombre devrait être réduit à 10 ou moins. Pour l'heure, ces établissements rassemblent environ 15% de la population carcérale aux États-Unis, soit près de 30.000 personnes, d'après le mémo du Département de la justice.

Faire face à l'explosion du nombre de détenus

Comme le rappelle la ministre américaine de la Justice Sally Q. Yates, le nombre de personnes détenues dans les prisons fédérales a explosé entre 1980 et 2013, augmentant de 800% sur cette période. Grâce notamment à des recalibrages de sanctions (particulièrement en matière de drogues), la tendance s'est depuis inversée et le nombre de détenus est repassé cette année sous la barre des 200.000 (195.000 actuellement).

Crédits : Domaine public/Wikimedia Commons à partir des données du Bureau des statistiques de la Justice.

"Les prisons privées ont servi un rôle important pendant cette période difficile", souligne d'ailleurs le mémo, avant toutefois d'expliquer que "le temps a montré que [ces institutions] ne tiennent pas la comparaison avec les propres établissement du Bureau fédéral des prisons".

Détecteurs de métaux inutilisés, prisonniers qui servent de "gardes du corps" officieux, absence d'activités et de psychiatre à temps plein ou encore cas de gangrène. En juin, une longue enquête réalisée sous couvert par un journaliste du bi-mestriel Mother Jones avait ainsi révélé les conditions très difficiles et des détenus et des gardiens dans un de ces établissements pénitentiaires privés.

Un marché à plusieurs centaines de millions de dollars

Moins sécurisées et moins efficaces, ces prisons privées ont pourtant un coût important et même s'il est, des mots même de Sally Q. Yates, "difficile de déterminer si elles sont moins chères" que les prisons fédérales classiques, il est tout à fait possible de le chiffrer. Pour la seule année fiscale 2014, 639 millions de dollars ont ainsi été dépensées pour ces établissements, selon un rapport de l'Inspecteur général du département cité par le Washington Post.

À l'heure actuelle, ces 13 prisons sont réparties entre GEO Group (7) qui s'occupe aussi de centres de détention et gère des affaires similaires en Australie, Afrique du Sud et Royaume-Uni et a enregistré 1,84 milliard de dollars de chiffre d'affaires (CA) en 2015 ; Corrections Corporation of America (4) qui est également en charge de centres de détentions et a enregistré l'an passé 1,79 milliard de dollars de CA ; et Management and Training Corporation (2), spécialisé dans l'impact social (services communautaires et emplois des jeunes).

Après l'annonce, GEA et Corrections Corp. (CCA), toutes deux côtés en Bourse, ont d'ailleurs vu le cours de leur action s'effondrer, comme le rapporte Bloomberg. L'action de CCA a ainsi chuté de 35% (à 17,57 dollars), tandis que GEA perdait 40% dans le même temps (à 19,51 dollars). Pour autant, soulignent des analystes, l'impact devrait être moins important que prévu. Sur son site, CCA a d'ailleurs réagi en expliquant que ce secteur ne représentait que 7% de ses revenus, permettant à l'action de remonter de l'ordre de 10% dans les échanges avant ouverture, à l'image de celle de GEA.

En France, une privatisation de plus en plus soutenue des prisons

Dans l'Hexagone, les nouvelles prisons sont construites depuis près de trente ans en partenariat-public-privé (PPP), l'État loue donc les murs, parfois avec une option d'achat. Si le gardien de prison reste un fonctionnaire d'État dépendant de l'administration pénitentiaire, 26 ans après l'ouverture du premier centre de détention privé à Bapaume, de plus en plus de prisons sont gérées partiellement ou totalement par des groupes privées. Le 19 février 2008, Rachia Dati, alors ministre de la Justice, a signé avec Bouygues un premier partenariat-public-privé (PPP) concernant la construction, la gestion et l'entretien de trois nouvelles prison, déclarant que cela permettrait de "diminuer le coût global".

Une affirmation qui reste encore à prouver, comme le souligne un rapport très critique de la Cour des comptes publié en 2010. L'institution de la rue Cambon critique particulièrement l'absence de comparaison réelle entre gestion public et privée, soulignant les marges importantes réalisées par les prestataires dans les cantines au détriment des détenus, le manque de réelles activités dans les ateliers, ou encore l'écart de prix du simple au double entre le coût d'une heure de formation professionnelle en gestion publique (7,28 euros) et en gestion déléguée (17,23 euros).