Barcelone : la nouvelle guerre au tourisme de masse

Par Constant Méheut  |   |  1080  mots
La célèbre plage de la Barceloneta reçoit chaque année entre mai et septembre 3 millions de visisteurs
La nouvelle maire de Barcelone Ada Colau, ex-porte-parole d'une association militant pour le droit au logement et proche du parti anti-austérité Podemos, s'est engagée depuis un an dans un plan massif de reconfiguration urbaine de l'industrie touristique. Avec un objectif clair : freiner le tourisme de masse qui dévore à petit feu la ville.

"Tourist Go Home!". Voilà ce qu'on peut lire sur certains murs de la capitale de la Catalogne. Longtemps ville emblématique du tourisme européen (plus de 9 millions de visiteurs l'année dernière), Barcelone voit apparaître depuis plusieurs mois des signes d'exaspération face à un tourisme de masse qui dénature la ville. Ada Colau, la nouvelle maire proche de Podemos, a fait de la lutte radicale contre ce phénomène une mesure phare de son programme politique.

Une urbanisation destinée au tourisme de masse

Ce devait être la clé de la résurrection économique de Barcelone. Et ce le fût. Depuis que la ville a hébergé les Jeux Olympiques de 1992, sa popularité comme destination touristique n'a fait que croître. De 1,7 millions de visiteurs étrangers accueillis à Barcelone en 1990, ce chiffre est monté à 3,1 millions en 2000 et 7,5 millions l'année dernière. Barcelone est aujourd'hui une ville où chacun se doit d'être allé au moins une fois.

La raison de ce succès? Une politique urbaine impulsée dans les années 1990 et orientée explicitement vers le tourisme de masse. Les motivations culturelles, économiques et sociales qui sous-tendaient la stratégie touristique jusqu'alors ont été balayées au profit d'un aménagement urbain visant à faire de Barcelone une capitale mondiale du tourisme.

"Prétendant au rôle de place internationale, Barcelone n'a eu de cesse de faire écho aux modes en matière d'image urbaine. L'effet urbanistique de ceci saute aux yeux dans le nord-est de la ville, avec les opérations du type « 22@ » ou « Diagonal Mar » où triomphe un urbanisme frontal, générant une ségrégation sociale aiguë et un paysage de centres commerciaux géants" peut-on lire dans une étude publiée par l'Université de Pau et des Pays de l'Adour.

Confrontée à la désindustrialisation, à la concurrence économique de l'éternelle rivale Madrid et à une perte d'audience culturelle, Barcelone s'est rapidement mû en ce que certains qualifient aujourd'hui de "Disneyland catalan", présentant côte-à-côte boîtes de nuit, fast-food et tours d'hôtels.

"L'aménagement urbain récent de Barcelone fait en effet penser à une mise en scène où un décor est planté pour imposer une certaine image de la ville" commente l'étude.

Le secteur du tourisme génère aujourd'hui 14% de la richesse de Barcelone, emploie 120.000 personnes et rapporte autour de 20 millions d'euros par jour à la ville.

Une population locale exaspérée

Face à cette nouvelle configuration urbaine qui attire des hordes de touristes, la population locale montre des signes de mécontentement de plus en plus fréquents. En 2014 les habitants de la Barceloneta, un quartier très prisé par les touristes, ont manifesté à plusieurs reprises pour protester contre les dérives de ce phénomène. Nombreux sont les visiteurs retrouvés éméchés en train de vomir ou d'uriner dans les cages d'escaliers. La plage de Barcelone, longue de 5 kilomètres, et à seulement quelques minutes du centre-ville est devenue par endroits une décharge géante. Chaque jour les services de nettoyage ramassent deux tonnes de déchets éparpillés sur le sable pour une facture annuelle de 1,5 millions d'euros.

En parallèle, le tourisme de masse fait s'envoler les prix de l'immobilier. Dans le très visité Barrio Gothico, l'offre de logements touristiques atteint 50% de l'ensemble du parc immobilier. Beaucoup de petits magasins mettent la clé sous la porte et les habitants de Barcelone quittent les quartiers emblématiques de la ville du fait de l'explosion des loyers. La capitale catalane risque donc de perdre cette identité culturelle si particulière qui faisait son succès.

"Le tourisme est une richesse pour Barcelone, mais nous souhaitons éviter la création de ghettos. Notre ville risque de devenir un parc d'attraction : cela irrite les habitants et pourrait décevoir les touristes" s'inquiétait l'année dernière Ada Colau.

Un nouveau plan d'urbanisme qui lutte contre le tourisme de masse

La nouvelle maire de Barcelone, élue le 24 mai 2015, a donc mis sur pied un vaste plan d'urbanisme pour logements touristiques (Peuat) qui propose de découper la ville en trois cercles concentriques. Dans le premier, le centre-ville historique, plus aucune licence hôtelière ne sera attribuée afin de favoriser une "décroissance naturelle" du secteur. Le second cercle vise la "croissance zéro" : les hôteliers qui souhaiteraient construire ou augmenter leur offre de logements devront récupérer des licences d'établissements qui disparaissent. Enfin le dernier cercle, en périphérie de la ville, est le seul épargné puisqu'il sera disponible pour le développement de projets immobiliers.

"L'activité économique devrait être limitée et Barcelone ne peut pas supporter une croissance illimitée. Nous ne voulons pas que les locaux quittent leurs quartiers. Car si c'est le cas, les touristes les quitteront aussi" a commenté Agustí Colom, conseiller pour l'emploi, l'entreprise et le tourisme à la mairie.

Ada Colau, déjà connue pour son activisme pour défendre le droit au logement pendant la crise, a fait adopter en plus des mesures fortes et symboliques pour freiner les dérives immobilières liées au tourisme. Elle a décrété un moratoire de un an sur toutes les attributions de licence touristique pour les appartements de particulier et les hôtels. Une vaste campagne d'inspection est par ailleurs menée depuis 2015 pour détecter les logements illégaux (sous-location sur des plateformes comme Airbnb, fraude fiscale, usurpation d'identité). Plusieurs centaines d'appartements auraient depuis été "fermés", débouchant sur de très nombreuses amendes et demandes de remise aux normes.

Cet ensemble de mesures ne plaît évidemment pas à tout le monde et fait grincer des dents les milieux économiques. Les 28 projets d'hôtels bloqués par le moratoire représenteraient selon la Chambre de Commerce de Barcelone un investissement de plus de 3 milliards d'euros et 10.000 postes de travail. Certains critiquent un plan inutile voire contre-productif puisque la suspension des licences et le moratoire feraient renchérir le prix de l'immobilier touristique et alimenteraient une bulle que la mairie prétendait justement combattre.

Barcelone n'est pas la seule ville européenne où  la gestion des touristes commence à s'imposer. Depuis le 1er mai, Berlin, autre capitale du tourisme européen, interdit à la plateforme Airbnb de diffuser les annonces pour des locations de meublés avec pour objectif d'enrayer la pénurie de logements dans la capitale allemande et de freiner l'inflation des loyers.