La Pologne, les pays Baltes et la République tchèque demandent un embargo européen sur les céréales russes

Par latribune.fr  |   |  1000  mots
En Algérie, la part de marché de la France, qui avoisinait 90% des importations algériennes de blé en 2019-2020, est tombée à 20% pour la campagne en cours (2023-2024). (Crédits : Reuters)
Les ministres de l'Agriculture polonais, tchèque, lituanien, letton et estonien ont adressé un courrier à l’Union européenne ce mercredi pour demander un embargo sur les céréales en provenance de Russie et du Belarus. Les céréaliers français s’affichent aussi inquiets par rapport à la « menace russe », appelant aussi l’Europe, ainsi que l’État français, à agir.

[Article publié le jeudi 21 mars 2024 à 8h52, mis à jour à 10h01] Limiter les importations de céréales en provenance de Russie et même de son alliée, la Biélorussie, voilà la demande qu'ont exprimé la Pologne, les trois États baltes et la République tchèque, ce mercredi 20 mars à l'Union européenne.

« En temps que membres de l'UE, nous considérons comme impératif de remplir notre obligation morale de bloquer toute activité pouvant potentiellement renforcer » la Russie et le Bélarus, ont déclaré les ministres de l'Agriculture polonais, tchèque, lituanien, letton et estonien dans une lettre commune reçue par l'AFP.

Il est également « crucial de mettre en place des mesures destinées à empêcher des céréales potentiellement volées en Ukraine d'entrer sur le marché de l'UE », ont-ils ajouté.

Ils ont par ailleurs rappelé que les revenus des exportations de céréales contribuent à l'effort de guerre de la Russie. « Les ressources financières sont affectées à la production de missiles, drones, et d'autres armes qui (...) ne mèneront qu'à davantage de morts de citoyens ukrainiens », ont-ils alerté.

Ce n'est pas la première fois que ces pays se positionnent sur ce sujet. Le mois dernier, la Lettonie a interdit l'importation de produits d'alimentation de Russie et du Bélarus, y compris ceux transitant par des pays tiers. Et le Premier ministre polonais a appelé en mars l'UE à imposer des sanctions « totales » sur les importations de produits agricoles et d'alimentation de Russie et du Bélarus.

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Les céréaliers français inquiets

Selon la lettre, l'UE a importé 1,53 million de tonnes de céréales de Russie pour un montant de 437,5 millions d'euros en 2023. Les cinq ministres ont souligné que les importations de céréales en provenance de ces pays « exercent une pression » sur les marchés européens et « concurrencent directement la production des agriculteurs de l'UE », au moment où ces derniers manifestent dans différents points de l'Europe pour défendre leur secteur d'activité.

Une alerte aussi lancée en France. Alors que la crise agricole, calmée mais loin d'être solutionnée, couve toujours, les céréaliers français ont également tiré la sonnette d'alarme ce mercredi. Le pays fait face à « un certain nombre d'obstacles » qu'il faut regarder en face, a prévenu Jean-François Loiseau, président de l'interprofession des céréales, Intercéréales, à l'occasion d'une journée de réflexion à Paris ayant réuni 500 professionnels du secteur (producteurs, exportateurs ou encore coopératives).

« La Russie a développé une armada extraordinaire de combat pour, excusez-moi du terme, envahir le terrain de jeu des acheteurs de céréales dans le monde et principalement l'Afrique », a-t-il indiqué.

Et de préciser.

Elle « œuvre de façon extrêmement violente, désintègre un peu les fondamentaux du marché et nous met dans une position difficile. Donc nous devons réagir. La France doit réagir. L'Europe doit réagir ».

Un message bien reçu par le ministre délégué au Commerce extérieur Franck Riester, présent lors de ce rendez-vous. « Nous devons avec vous faire bloc (...) pour faire en sorte que demain, il y ait davantage encore de marchés ouverts aux exportations » au Maghreb, en Afrique subsaharienne ou en Chine, a-t-il assuré. Une question cruciale quand on sait que la France est le premier pays producteur et exportateur de céréales en Europe.

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La Russie à l'assaut de l'Afrique

Encouragée par les difficultés de l'Ukraine à livrer ses céréales et grains de tournesol, la Russie a lancé une vaste offensive commerciale en Afrique et au Moyen-Orient. Geste symbolique, elle a livré gratuitement quelque 200.000 tonnes de blé à six pays africains. Mais, comme l'a souligné Yann Lebeau, responsable du bureau d'Intercéréales couvrant l'Afrique subsaharienne, le blé destiné à la Centrafrique, transformé en farine dans des moulins au Cameroun, n'a pas été gratuit pour les populations. Pour lui, on peut parler de « dons » à un régime, « à la population, non ».

Plus dommageable pour la filière française : l'offensive russe en Algérie, désormais « dans le top 5 des pays importateurs de blé russe », a indiqué Roland Guiragossian, responsable d'Intercéréales pour ce pays. Graphique à l'appui, il a montré l'évolution rapide des échanges : la part de marché de la France, qui avoisinait 90% des importations algériennes de blé en 2019-2020, est tombée à 20% pour la campagne en cours (2023-2024).

Simplifier les exportations

La filière céréalière française a conscience d'être au cœur « d'un jeu politique » et a pour cela « besoin d'un accompagnement politique face à la puissance et à l'agressivité russes », a plaidé Philippe Heusèle, céréalier en Seine-et-Marne chargé des relations internationales pour l'interprofession.

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Le ministre délégué au Commerce extérieur a assuré ne pas ménager ses efforts, avec le gouvernement, pour « bâtir un plan spécifique de simplification pour les exportateurs ».

« Nous avons besoin de baisser les droits de douane, de sécuriser les échanges », a-t-il expliqué.

La situation pourrait être pire encore si la Russie gagnait la guerre qu'elle a lancée il y a plus de deux ans en Ukraine. « Imaginez demain si Vladimir Poutine a dans sa main le blé non seulement russe, mais le blé ukrainien (...) Cette question de la Russie en Ukraine est absolument [un élément] clé pour l'avenir de votre filière », a-t-il averti. Ensemble, la Russie et l'Ukraine représentent plus du quart de l'offre mondiale de blé, soit, selon les prévisions du ministère américain de l'Agriculture, près de 70 des 212 millions de tonnes exportées sur la campagne 2023-2024. Une capacité colossale, qui augmenterait encore en temps de paix.

(Avec AFP)