En 2035, le nombre d'exploitations agricoles en France métropolitaine pourrait être inférieur de 30% à celui d'aujourd'hui et s'établir en dessous de 275.000. C'est ce que prévoit une étude sur la « Transformations de l'agriculture et des consommations alimentaires » publiée mardi 27 février par l'Insee. Sa projection se fonde sur une hypothèse : que « les tendances en matière de création, de disparition et d'agrandissement des exploitations observées entre 2011 et 2021 se maintiennent dans les années à venir ».
Dans ce cas, la surface agricole utilisée (SAU) moyenne des exploitations augmenterait, elle, de 45%, en dépassant les 90 hectares en 2035, selon un chiffre partagé avec La Tribune par l'Institut national de recherches pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae). Ce seraient d'ailleurs surtout les exploitations individuelles qui seront vouées à disparaître, en diminuant de moitié et, parmi celles-ci, notamment les plus petites, qui deviendraient de 10% moins nombreuses qu'aujourd'hui, souligne l'Insee. Le nombre d'exploitations de statut juridique sociétaire, lui, ne baisserait que de 1%, et le nombre des grandes, de plus de 200 hectares, augmenterait même de 34%.
Résultat: en 2035, les exploitations sociétaires, aujourd'hui minoritaires (42%) deviendraient majoritaires (59%). Et les exploitations de 100 hectares ou plus constitueraient 36% du total, contre 26% en 2020. Inversement, les exploitations de moins de 20 hectares passeraient de 38% à 30% du total.
Une « restructuration » continue
Cette évolution correspond en réalité non seulement à la tendance depuis 2011, mais à un mouvement constant et bien plus ancien, souligne l'étude. Entre 1970 et 2020, le nombre d'exploitations agricoles en France métropolitaine a en effet été divisé par plus de quatre, en passant de 1,6 million à 389.000. Dans les dernières décennies, la baisse annuelle du nombre d'exploitations a même plutôt ralenti, note l'Insee.
Pendant le même demi-siècle, la superficie agricole utile moyenne a été multipliée par plus de trois, en passant de 19 à 69 hectares. Une croissance qui a concerné tous les territoires, puisque « la SAU moyenne (...) dépasse presque partout 40 hectares en 2020 », selon l'étude.
Cette « restructuration » continue s'est accompagnée d'une concentration croissante de la main-d'oeuvre, et d'une spécialisation progressive des exploitations.
« Aujourd'hui, 35 % d'entre elles n'ont qu'une seule production économiquement significative, contre 19 % en 1988 », note l'Institut national de statistiques.
Mais l'inégalité de la distribution des terres est restée globalement « stable dans le temps », calcule l'Insee. Si le quart des exploitations les plus grandes totalisaient 66% de la SAU en 1970, elles en concentrent aujourd'hui un pourcentage très proche : 68%.
Une question existentielle
Bien que les syndicats agricoles et les pouvoirs publics insistent sur leur inquiétude face au défi du renouvellement des générations, la trajectoire qui se dessine n'est donc pas foncièrement nouvelle, souligne Cécile Détang-Dessandre, directrice scientifique adjointe Agriculture à l'Inrae. Les exploitants de plus de 55 ans, qui étaient 43% en 2020, étaient d'ailleurs déjà 45% en 1970, note-t-elle. Puisque le modèle de rationalisation et de recherche de productivité des fermes, qui a sous-tendu l'évolution des dernières décennies, ne fait plus l'unanimité aujourd'hui, et a atteint selon certains observateurs un plafond, ces projections posent toutefois une nouvelle question, existentielle: « quel type d'agriculture veut-on en France demain? », interroge la chercheuse.
Le taux de remplacement recherché, qui exprime le rapport entre les arrivées de nouveaux exploitants et les départs (de 7 sur 10 depuis 20 ans) variera en effet en fonction du modèle agricole qu'on poursuivra. Et si aujourd'hui les agrandissements des fermes se poursuivent -bien que souvent dans un cadre familial-, le nombre de nouveaux agriculteurs non issus du monde agricole augmente aussi, note Cécile Détang-Dessandre. On estime en effet qu'ils représentent désormais plus de la moitié des 22.000 nouveaux exploitants potentiels -dont un tiers n'aboutit pas- reçus chaque année par les points d'accueil et d'installation déployés par les Chambres d'agriculture dans chaque département. Et parmi les 6.000 qui reçoivent une dotation jeunes agriculteurs, un tiers s'installent hors cadre familial.
Une ouverture d'Emmanuel Macron
Une telle réflexion stratégique fait partie d'ailleurs des demandes des Jeunes agriculteurs depuis les dernières élections présidentielles, expliquait le 25 février dans La Tribune Dimanche le président du syndicat agricole.
« On a une vraie réflexion à avoir (...) sur comment repositionner la " ferme France " sur les marchés. Il s'agit d'abord d'identifier ces marchés. L'enjeu est ensuite de déterminer de combien d'agriculteurs on a besoin dans toutes nos filières (...) », détaillait Arnaud Gaillot.
« Une telle réflexion, d'ailleurs, n'intéresserait pas que les jeunes. Ceux qui sont actifs ou qui veulent transmettre leurs entreprises ont aussi besoin d'imaginer l'avenir de leurs exploitations », soulignait-il.
Samedi, au Salon de l'agriculture, en répondant aux délégués syndicaux qui l'interrogeaient, le président de la République semble avoir ouvert la porte à une telle idée, se réjouit Arnaud Gaillot. Mais les intentions d'Emmanuel Macron à ce propos n'ont pas encore été précisées.