Conflit commercial sino-américain : Pékin revient à la case départ

Par David Lawder, Jeff Mason et Michael Martina (Reuters)  |   |  892  mots
Donald Trump recevant le vice-Premier ministre Liu He, négociateur en chef chinois, à la Maison-Blanche le 4 avril dernier. (Crédits : Reuters)
En revenant sur son engagement de légiférer sur les points de désaccords commerciaux avec les Etats-Unis, arguant de procédures trop longues, Pékin remet en cause la signature d'un accord cette semaine, à l'occasion de la venue ce jeudi aux Etats-Unis du vice-Premier ministre Liu He. En rétorsion, l'administration Trump va appliquer une hausse de certains tarifs douaniers à partir de vendredi.

La réponse de Pékin est arrivée à Washington tard vendredi soir sous la forme d'un pli diplomatique avec des passages supprimés à quasiment chaque point du projet d'accord de près de 150 pages qui devait couronner des mois de négociations commerciales, a appris Reuters auprès de trois sources gouvernementales américaines et trois autres sources au courant des discussions. Dans chacun des sept chapitres du projet d'accord, la Chine a retiré son engagement à légiférer pour répondre aux griefs qui ont amené l'administration Trump à déclencher une guerre commerciale: le vol de propriété intellectuelle et de secrets commerciaux, le transfert forcé de technologies, la politique de la concurrence, l'accès aux marchés financiers et la manipulation de sa devise.

L'offensive de Trump

Le président Donald Trump a répondu dimanche en annonçant que 200 milliards de dollars de produits chinois jusque-là soumis à des droits de douane de 10% seraient taxés à hauteur de 25% à partir de vendredi - soit au beau milieu de la visite prévue à Washington du négociateur en chef chinois, le vice-Premier ministre Liu He.

La suppression par la Chine de toute mention d'obligation législative a été jugée inacceptable par le représentant américain au Commerce, Robert Lighthizer, pour qui un cadre contraignant est indispensable après des années de promesses non tenues. Le principal négociateur américain pousse depuis le début pour une stricte obligation d'application, sur le modèle des sanctions économiques imposées à la Corée du Nord ou l'Iran, plutôt que pour un simple accord commercial. "Cela mine l'architecture de base de l'accord", a dit une source basée à Washington au sujet de la position chinoise. Aucun commentaire n'a pu être obtenu auprès des porte-parole de la Maison blanche, de la représentation au Commerce ou du Trésor.

Revirement chinois

A Pékin, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères a expliqué que les divergences dans les relations commerciales devaient être surmontées dans le cadre d'une procédure de négociation et que la Chine ne cherchait pas à "éviter les problèmes". Robert Lighthizer et le secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin, ont été abasourdis par le revirement chinois. Tous deux ont évoqué lundi un recul de la Chine pour expliquer le coup de sang du président Trump mais sans apporter de précisions. Selon deux sources, Liu He a déclaré la semaine dernière aux deux négociateurs américains qu'ils devaient faire confiance à la Chine pour qu'elle honore ses promesses par la voie de changements administratifs et réglementaires. Mnuchin et Lighthizer s'y sont opposés, rappelant que Pékin a reculé par le passé sur des promesses de réformes.

Une source du secteur privé informée des discussions a précisé que la dernière série de négociations s'était mal passée car la partie chinoise avait commencé à revenir sur ses positions. "La Chine a reculé sur une dizaine de points, si ce n'est plus (...) La véritable surprise, c'est que Trump ait attendu jusqu'à dimanche pour exploser", a-t-elle dit. "Après 20 ans où elle a pu se jouer des Américains, la Chine semble toujours sous-estimer cette administration."

Chute des marchés financiers

La menace de Donald Trump a fait chuter les marchés financiers qui, jusqu'à dimanche, croyaient les deux parties proches d'un accord. Certains observateurs se sont demandés si le président américain tentait un coup de poker pour obtenir de nouvelles concessions mais les sources ont assuré à Reuters que le recul chinois était grave et justifiait le durcissement de ton. Selon une source gouvernementale, les négociateurs chinois ont fait valoir qu'ils ne pourraient pas modifier le droit. Changer une loi est une procédure longue et compliquée en Chine, a dit un responsable chinois lui aussi au fait des négociations. Il a contesté l'idée d'un recul de la Chine sur ses engagements, affirmant que les demandes américaines devenaient plus "dures" et la voie vers un accord "plus étroite".

Liu doit arriver jeudi à Washington pour une nouvelle série de pourparlers qui, il y a une semaine encore, était présentée comme une ultime rencontre avant la conclusion d'un accord historique. Désormais la partie américaine doute que le vice-Premier ministre puisse relancer le processus de négociation, selon deux des sources. Pour éviter une escalade, a dit l'une des sources, Liu He devra revenir sur les modifications du texte proposées par Pékin et accepter le principe de nouvelles lois. La Chine devra aussi faire des concessions sur des demandes américaines qui restaient des points d'achoppement dans les négociations, comme la limitation des subventions chinoises à l'industrie ou la simplification de la procédure d'approbation des importations d'OGM américains.

La hausse des tarifs douaniers décidée par le président Trump doit prendre effet vendredi à 00h01 heure de Washington. Le recul chinois pourrait faire le jeu des "faucons" de l'administration Trump, à commencer par Robert Lighthizer. Steven Mnuchin, qui était partisan d'un accord moins contraignant, a semblé se ranger derrière Lighthizer quand les deux se sont exprimés devant la presse lundi, tout en laissant ouverte la possibilité d'une entente de dernière minute qui éviterait une escalade.