Economie américaine : récession ou ralentissement ?

Par Ivan Best  |   |  1017  mots
Janet Yellen, présidente de la Réserve fédérale
Compte tenu des incertitudes sur la croissance américaine, la Fed n'a annoncé aucun changement de sa politique monétaire ce mercredi soir. Les experts les plus pessimistes voient l'Amérique sortir de sept années de croissance pour plonger dans la récession. Mais la plupart des prévisionnistes tablent sur un simple ralentissement

Où va l'économie américaine ? A voir les indicateurs avancés, ceux qui donnent notamment le pouls de l'industrie, le verdict est évident : la récession s'annonce. L'indicateur fréquemment mis en avant, l'ISM (enquête auprès des directeurs d'achat dans l'industrie) est le principal indice de cette catastrophe désormais inléuctable. Il se situe sous l'indice 50, ce qui annonce, historiquement, une récession. Sachant qu'il faut s'entendre sur la définition d'une telle évolution économique : si en Europe, on estime qu'une économie se trouve en récession quand le PIB trimestriel recule deux fois de suite, aux Etats-Unis, cette situation fait l'objet de débats récurrents.

Outre-Atlantique, certains estiment que l'économie est en récession quand la croissance annuelle tombe sous les 1,5%. Une récession alimentée notamment par la chute des prix pétroliers, qui mine littéralement le secteur du gaz et du pétrole de schiste, qui n'avait pas peu contribué à doper l'économie américaine depuis trois ans. Ce secteur a littéralement plongé depuis le début de l'année. Mais quel est effet global sur l'économie ? Les services ne prennent-ils pas le relais ?

Ce qui est certain, c'est que le PIB a progressé moins vite au quatrième trimestre 2015 -il était sur une pente de 2% en rythme annuel au troisième trimestre, la progression serait retombée à 0,7% selon les prévisions de la Fed d'Atlanta- ., et que le ralentissement se poursuit en 2016. Sans compter l'effet négatif de la tempête de neige. Une première estimation du dernier trimestre de 2015 sera publiée ce vendredi. Dans ces conditions, la Fed, qui se réunissait ce mercredi soir, a maintenu ses taux d'intérêt à un très faible niveau, l'objectif des fonds fédéraux restant entre 0,25 et 0,5%.

De mauvais indicateurs à relativiser

Les optimistes, eux, relativisent ces « mauvais indicateurs », tels que l'indice ISM. Ils ne concernent que l'industrie, insistent ces conjoncturistes, majoritaires, qui ne croient guère à l'hypothèse d'une récession. « Il s'agit d'indicateurs très imprécis de la production manufacturière » soulignent les économistes de Bank of America Merrill Lynch (BAML). Une industrie impactée actuellement par la récession que connaît effectivement le secteur pétrolier. Mais il faut la relativiser. Certes, 11.000 emplois ont été perdus chaque mois dans ce secteur, depuis le début de l'année. Mais cela n'a pas empêché l'ensemble de l'économie américaine de contribuer, en net, à la création de 230.000 postes par mois (en moyenne), en 2015. Quant à la chute de l'investissement dans le pétrole et du gaz, son impact a été surtout sensible au cours des premier et deuxième trimestre.

L'effet positif de la baisse des prix pétroliers

Surtout, il ne faut pas oublier l'effet positif de la chute du prix de l'essence pour les ménages. Si l'on compare le revenu disponible des ménages depuis que le prix du pétrole baisse, soit depuis 17 mois, à la période des 17 mois précédents, on constate une stabilité dans la progression du revenu disponible. Mais, grâce à la baisse du prix de l'essence, le pouvoir d'achat de ce revenu a connu une forte accélération. Sa progression est passée de 2,2% pendant la période avant la baisse des prix pétroliers à +3,2% pour les 17 mois qui ont suivi le pic des prix de l'essence. Cela a permis de faire passer la croissance de la consommation de 2,4% en rythme annuel à 3% depuis que le pétrole baisse, une accélération notable qui a soutenu la croissance.

Les vents contraires...

De quoi éviter à tous coups la récession ? Il ne faut pas négliger les vents contraires, qui font de la reprise américaine, depuis sept ans, une phase atypique, eu égard aux redémarrages précédents. Atypique par sa relative faiblesse. La croissance de 2015 a été limitée à 2,3 ou 2,4%, un niveau élevé en regard de l'Europe, mais qui n'a rien à voir avec les taux d'expansion américains constatés durant les années 90 et même 2000, bien supérieurs. Une croissance plutôt faible, qui s'explique notamment en raison d'un partage du revenu très inégalitaire : la petite minorité des 1% de ménages américains qui se sont enrichis vraiment sur la période 2009-2014, contrairement aux autres, ne peuvent pas tout consommer. A ce facteur , s'est ajoutée la hausse du dollar vis-à-vis de la plupart des devises, qui entraîne une baisse des exportations -d'autant plus marquée que les partenaires commerciaux des Etats-Unis se trouvaient en phase de ralentissement.
En termes réels, inflation déduite, la hausse du dollar par rapport à l'ensemble des devises, dépasse les 20 % par rapport la mi-2014, calcule Denis Ferrand, économiste à Rexecode, qui en analyse les conséquences, dans la dernière lettre de l'institut de conjoncture:

Cette appréciation pèse sur la compétitivité de l'industrie américaine : le coût salarial horaire dans l'industrie dépasse désormais de plus de 3 % le coût salarial horaire en zone euro. Il lui était inférieur de 18 % début 2014. La période actuelle s'apparente à la troisième grande vague d'appréciation du dollar depuis les années 1970. Lors des deux premières, intervenues de 1980 à 1985 puis de 1996 à 2002, la demande extérieure nette avait amputé la croissance chaque année en moyenne de 0,5 et de 0,7 point de PIB respectivement. Ce frein à la croissance paraît s'exercer à nouveau désormais et pénalise tout particulièrement l'industrie.

Faiblesse de l'investissement, gains de productivité en baisse

A cela s'ajoute la faiblesse persistante de l'investissement des entreprises, sans parler d'un affaiblissement constant des gains de productivité.
Autant de facteurs qui expliqueraient une croissance faiblarde, autour de 1,5% en 2016, une fois passé l'effet positif de la chute des cours pétroliers. Ou une récession ? Les économistes de BAML voient bien le mot revenir en force dans les discussions avec leurs clients, mais les indicateurs habituels n'annoncent pas une probabilité en hausse de récession. Notamment le plus courant, l'écart entre taux d'intérêt à long terme et taux courts.