
L'économie américaine est-elle en situation de plein emploi? Apparemment, la question ne se pose même pas. Avec un taux de chômage tombé à 5 %, comme annoncé ce vendredi, un taux correspondant au chômage dit frictionnel, c'est à dire celui lié à l'ajustement entre offreurs et demandeurs d'emploi, la première économie mondiale n'a pas de problème de ce côté. 211.000 emplois n'ont-ils pas été créés en novembre aux Etats-Unis? "Le marché du travail américain est sous tension" écrit Chris Williamson, chef économiste de Markit.
On ne comprend donc pas vraiment, a priori, les hésitations de la Banque centrale américaine, la Fed, à relever les taux d'intérêt, toujours proches de zéro: une économie en plein emploi tourne bien, et les risques d'inflation peuvent surgir, il est donc logique de relever les taux d'intérêt afin de refroidir la machine.
Et si la réalité était plus complexe, justifiant le report des hausses de taux envisagées depuis le début de l'année? S'appuyant sur des données officielles, le cabinet parisien indépendant PrimeView a tenté d'estimer la réalité du chômage américain. Quelle est-elle?
Chômeurs découragés
Pour être chômeur, selon les définitions internationales admises de longue date, il ne faut pas avoir de travail et en chercher un, de façon active. Le taux de 5 % du BLS, l'organisme américain de statistiques chargé des données concernant l'emploi, est calculé selon le principe. Mais peut-on parler de plein emploi quand de nombreux ex salariés renoncent à s'inscrire sur les listes des organismes américains équivalents à Pôle Emploi, car ils n'ont droit à aucune indemnisation, et que l'aide apportée dans la recherche d'un job est quasi nulle? Quand ils sont interrogés, ces chômeurs découragés disent bien pourtant vouloir un job. Si on les intègre dans les statistiques, le taux de chômage grimpe à 8,6 %, selon PrimeView.
Temps partiel contraint
Pour évaluer la réalité du sous emploi, le cabinet ajoute en outre les travailleurs se trouvant en temps partiel contraint. Certes, ils travaillent quelques heures -voire moins, puisque le BLS estime en temps partiel et donc hors du chômage toute personne ayant travaillé au moins une heure pendant la semaine!- et ne sont pas donc totalement chômeurs. Mais cette situation correspond de fait à du sous emploi: ils ne sont pas occupés autant qu'ils le voudraient, leurs capacités de travail sont sous-utilisées.
Si l'on intègre ces salariés en temps partiel contraint pour calculer une estimation élargie du chômage, on parvient à un taux de chômage de 12,1%, selon PrimeView . Bien loin des 5 % officiels, donc.
Un taux de participation en baisse
Bien sûr, ce calcul est discutable, on peut estimer que les personnes ne cherchant pas activement un emploi n'ont pas de raison d'appartenir à la catégorie "chômeurs". Mais, ce qui est incontestable, c'est que la capacité de travail est sous employée aux Etats-Unis. En témoigne aussi l'évolution du "taux de participation". Il s'agit simplement de la proportion de la population participant au marché du travail (population active, selon la terminologie française), c'est à dire travaillant ou étant en recherche d'emploi. Ce taux de participation a chuté aux Etats-Unis avec la crise de 2008. Il est passé de 66 % à un peu plus de 64 % début 2010. Ce qui n'est pas étonnant outre mesure: l'emploi s'est alors dégradé violemment, beaucoup de salariés ont renoncé à s'inscrire sur les registres du chômage, faute de perspective.
Mais ce qui surprend plus, c'est qu'après cinq ans ou presque de croissance continue aux Etats-Unis -rien à voir avec l'Europe!- , ce taux de participation ne s'est toujours pas redressé. Au contraire. Il a continué de baisser, tombant à près de 62 %.
La fausse explication du vieillissement de la population
Les optimistes insistent sur une explication structurelle. Ce taux de participation concerne toute la population âgée de plus de 15 ans. Or celle-ci vieillit. Les plus de 65 ans, de plus en plus nombreux en proportion de la population, "participent" évidemment moins au marché du travail. D'où cette baisse tendancielle de la proportion d'actifs, qui a commencé d'ailleurs avant la crise de 2008.
Le problème, c'est que les autres catégories d'âge sont aussi concernées. Les 25-54 ans n'ont aucune raison de quitter le marché du travail. Pourtant, la proportion d'actifs dans cette catégorie, qui atteignait 83,5 % en 2006, a baissé jusqu'en 2012, et s'est tout juste stabilisée depuis, au dessus de 80,5 %. Dans un contexte de croissance, elle aurait bien évidemment dû remonter...
Comme le soulignent les économistes de PrimeView:
"L'évolution du taux de participation du cœur de la population active est probablement le facteur qui traduit le mieux l'incapacité nouvelle du marché de l'emploi de répondre aux besoins de la population américaine"
De moins en moins de jobs pour les jeunes
On peut ajouter que les jeunes, les 16-24 ans, sont aussi de moins en moins actifs. Leur taux de participation qui était de 60 % en 2008, a chuté à 54 %, et ne semble pas vouloir se redresser. Certes, cela s'explique par la volonté de nombre d'entre eux de poursuivre leurs études. Mais pas seulement. Il y a une vraie difficulté à entrer sur le marché du travail.
Comment, dans ces conditions, parler de plein emploi aux Etats-Unis?
Je remercie la Tribune pour ces articles un peu décalés, qui nous aident à penser "out of the box"
A mediter
En France, pendant les 4 derniers trimestres connus sur internet (mi 2014-mi 2015), il n'y a eu AUCUNE création d'emploi. L'Insee annonce même une perte de 17400, et la tendance s'est poursuivie depuis. On peut discuter les chiffres américains, mais à côté, les nôtres sont lamentables.
A quoi correspond ce chiffre de 2,2 millions e créations d'emplois? Le savez vous ou rapportez vous bêtement une conversation de comptoirs?
La baisse du taux de participation évoquée dans l'article semble plutôt indiqué que les créations d'emplois ne compensent pas les créations.
Situation de l'emploi:
http://www.bls.gov/news.release/empsit.a.htm
La population civile active:
https://research.stlouisfed.org/fred2/series/CLF16OV
Nombre d’Américains au chômage:
https://research.stlouisfed.org/fred2/series/UNEMPLOY
La population civile non-institutionnelle de la nation, composée d’individus âgés entre 16 ans et plus en âge de travailler ne faisant ni partie de l’armée ni d’une institution
https://research.stlouisfed.org/fred2/series/CNP16OV
Nombre d’américains en âge de travailler et ne travaillant pas:
https://research.stlouisfed.org/fred2/series/LNS15000000
A vous, de vous faire une idée.
Un même terme, (PIB, taux de chômage, inflation etc. ) peut recouvrer des réalités très différentes, suivant la manière de considérer les données et la manière de les collecter. Rien qu'en France, il y a une différence substantielle entre le taux de chômage calculé par Pole-Emploi et par l'INSEE.
D'autre part, aux USA, il y a un problème supplémentaire, qui est le calcul de l'inflation. Les USA appliquent un indice dit hédonique, qui minore l'inflation, et en retour, augmente la progression du PIB, par rapport à la majorité des autres pays qui n'appliquent pas ce genre d'indice.
D’après les calculs, la progression du PIB serait majorée d'environ 1.5 % chaque année.
Si on soustrait ces 1.5 % , on se rend compte que la croissance américaines n'est pas du tout aussi forte que cela.
D'où les hésitations de la Fed.